Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
Ah
bon ?
En vérité je vous le dis, l'on escalade irrémédiablement la démocratie, de sorte que la vie se délite en courant vers le néant des sens
Saint Tobustin ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

24 Octobre 2007 ::

« Honi soit qui mal y pense »

:: Histoire médiévale, 1347

L'année 1347 est bien funeste pour le royaume de France. Edouard III, roi d'Angleterre, a mis à genou les français et Philippe VI de Valois en 1340 à la bataille de l'Ecluse[1], puis a récidivé en 1346 à la bataille de Crécy, une défaite comme on en avait rarement connu ! Ce redoutable monarque ne doit d'ailleurs pas sa puissance qu'à la désorganisation française : brillant stratège, politicien impitoyable, il avait commencé son règne en faisant enfermer sa propre mère et exécuter son amant, Roger Mortimer de Wygmore[2].

Depuis septembre 1346, l'armée anglaise assiège durement la ville de Calais : Edouard III veut en faire un lieu stratégique pour un futur débarquement de ses troupes en France, une porte d'entrée permanente vers un royaume dont il réclame la gouvernance. Et c'est chose faite en août 1347 : les calaisiens se rendent, épuisés par la famine[3]. Edouard III veut massacrer tout le monde, mais on l'en dissuade : il exige alors que six bourgeois se présentent devant lui, pieds nus, vêtus d'une simple chemise et une corde autour du cou, afin d'être pendus. La reine Philippa de Hainaut implore la clémence de son royal époux, qui finit par céder.


Les six bourgeois de Calais implorant Edouard III

Devenue possession anglaise, Calais voit une bonne partie de sa population devenir elle-même anglaise. C'est ainsi qu'on y donne un bal, auquel assiste le roi et la reine, mais également la comtesse de Salisbury, une femme dont le roi est très épris[4]... Tandis que les convives dansent, c'est l'incident : la belle comtesse de Salisbury perd une jarretière bleue qui tenait son bas de chausse. Le morceau de ruban tombe au sol, et le roi, galamment, se précipite pour le ramasser. L'assemblée esquisse un sourire railleur devant l'attitude du roi, et, face à cette embarrassante situation, Edouard III déclare avec solennité : « Honi soit qui mal y pense ! Ceux qui rient en ce moment seront un jour très honorés d'en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le rechercheront avec empressement ».

C'est ainsi qu'en 1348, Edouard III institue très officiellement le Très Noble Ordre de la Jarretière, qui prend pour devise la fameuse phrase prononcée lors du bal, Honi soit qui mal y pense[5]. Aujourd'hui encore, le ruban bleu de l'ordre de la Jarretière perdure : il s'agit d'un des plus anciens et des plus prestigieux ordres de chevalerie existant.



_________________________________
1. Cette bataille navale, prémisse de la guerre de cent ans, fit près de 20.000 morts dans le camp français, notamment en raison de son imbécillité tactique. Voir notamment le tome 1 du « Cycle d'Ogier d'Argouges » de Pierre Naudin pour une description édifiante de cette bataille.

2. Sa mère, Isabelle de France, fille de Philippe IV le Bel et reine d'Angleterre, avait fait exécuter son mari le roi Edouard II, le jugeant trop faible. L'exécuteur n'était autre que son propre amant, Roger Mortimer de Wygmore. On comprend dès lors pourquoi Isabelle était surnommée la « louve de France », et pourquoi son fils Edouard III lui tenait pareille rancune. Lire à ce propos l'inénarrable saga de Maurice Druon, « Les rois maudits », et voir le premier paragraphe de la note suivante.

3. Calais ne redeviendra française qu'en 1558 !

4. Dans son Histoire de France, Chateaubriand situe ce bal non pas à Calais, mais à Londres. L'identité de cette fameuse comtesse semble également floue : on la désigne parfois comme Jeanne de Kent, là où Chateaubriand désigne une certaine Alix de Salisbury.

5. L'orthographe actuelle voudrait qu'on octroie deux n au verbe honnir, mais il s'agit ici de l'orthographe d'alors, toujours d'actualité pour cette devise précisément. Notons au passage que le français était la langue parlée à la cour du roi d'Angleterre, origines normandes obligent : Edouard III avait d'ailleurs du mal à échanger deux phrases intelligibles avec ses propres soldats.

finipe, 02h01 :: :: :: [4 pensées profondes]