Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

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Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

6 Mai 2010 ::

« Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 3ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1832

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte trois :
1. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 1ère partie
2. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 2ème partie
3. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 3ème partie


Les limites de « l’humanité » de la guillotine

De 1830 à 1875, la place Viarme[1] succède à la place du Bouffay pour les exécutions publiques à Nantes. Exécuteur à Angers, le bourreau Ganié convoite le poste de Joseph Deibler, exécuteur à Rennes, qui englobe alors Nantes. Il écrit au Ministre de la Justice qu’il « souhaite être nommé en remplacement du nommé Deibler si toutefois il vient à être révoqué pour cause de l’accident survenu à Nantes dans l’exécution du nommé Josset sur la place Viarme ».
Le 15/4/1861, un journal local raconte ainsi cet incident :

« Un incident très regrettable a marqué cette exécution. Le couperet de l’instrument a parfaitement produit la décollation, seulement, par la suite d’un mouvement musculaire, le corps du condamné a exécuté un mouvement de retrait tel que la séparation de la tête et du corps n’a pas été complète. Un des bourreaux a dû appuyer sur le couteau, tandis que l’autre tirait sur le tronc pour opérer la section de la partie charnue adhérente. »


Joseph Deibler non seulement ne sera pas destitué, mais son fils Louis lui succédera à Rennes en 1863, avant de devenir plus tard, en 1879, exécuteur en chef des arrêts criminels[2].
L’explication la plus plausible de cette « jalousie » est la suivante : le territoire englobé par le bourreau de Rennes est plus important que celui englobé par le bourreau d’Angers. Le bourreau de Rennes a donc davantage de « travail ». Aussi barbare que cela puisse paraître, pendant très longtemps, les bourreaux, un peu à la manière des commerciaux d’aujourd’hui, ne touchaient qu’un tout petit salaire fixe, la plus grosse partie de leurs revenus provenant de primes à l’exécution ! Il faudra attendre le début du XXème siècle et l’élection de présidents de la République tels qu’Armand Fallières (1906-1913), qui, opposé à la peine de mort, graciera presque systématiquement les condamnés à mort, pour que l’exécuteur obtienne des appointements fixes.



Carte postale montrant Macé, le bourreau de la Nouvelle-Calédonie,
"à la veille de sa 72ème exécution", nous précise-t-elle fièrement.


Victor Hugo et la peine de mort

Au XIXème siècle, la peine de mort s’est fait un ennemi de marque en la personne de Victor Hugo. Cela lui inspirera deux romans, tous deux des plaidoyers contre la guillotine : "Le dernier jour d’un condamné" (1829), et "Claude Gueux" (1834).
Même en exil, il poursuivra toute sa vie ce combat : il soutiendra les abolitionnistes à Genève, au Portugal, cherchera à obtenir la grâce de condamnés à mort sur les îles de Jersey et Guernesey par des lettres enflammées que lui seul pouvait écrire.
A ma connaissance, c’est lui qui a le mieux stigmatisé l’infamie de la guillotine, et en particulier celle de ses ratages. Au milieu de l’abondance de littérature qu’il a laissée sur le sujet, je choisis de vous livrer cet admirable extrait de la préface de 1832 de « Le Dernier jour d’un Condamné », écrite à l’occasion de la seconde édition :

« Du reste, disons-le, jamais les exécutions n’ont été accompagnées de circonstances plus atroces que depuis cette révocation du sursis de juillet, jamais l’anecdote de la Grève n’a été plus révoltante et n’a mieux prouvé l’exécration de la peine de mort. Ce redoublement d’horreur est le juste châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en vigueur. Qu’ils soient punis par leur œuvre. C’est bien fait.
Il faut citer ici deux ou trois exemples de ce que certaines exécutions ont eu d’épouvantable et d’impie. Il faut donner mal aux nerfs aux femmes des procureurs du roi. Une femme, c’est quelquefois une conscience.
Dans le midi, vers la fin du mois de septembre dernier, nous n’avons pas bien présents à l’esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais nous les trouverons si l’on conteste le fait, et nous croyons que c’est à Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme dans sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes : on lui signifie qu’il faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses membres, car, depuis six mois qu’on l’oubliait, il ne comptait plus sur la mort ; on le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse ; puis on le brouette entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au lieu de l’exécution. Jusqu’ici rien que de simple. C’est comme cela que cela se fait. Arrivé à l’échafaud, le bourreau le prend au prêtre, l’emporte, le ficelle sur la bascule, l’enfourne, je me sers ici du mot d’argot, puis il lâche le couperet. Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui commence, entaille l’homme sans le tuer. L’homme pousse un râle affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le bourreau s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vînt le détacher. La foule, pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce moment-là qu’un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans, monte sur l’échafaud, dit au patient de se tourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est fait. Cela s’est vu. Oui.
Aux termes de la loi, un juge a dû assister à cette exécution. D’un signe il pouvait tout arrêter. Que faisait-il donc au fond de sa voiture, cet homme pendant qu’on massacrait un homme ? Que faisait ce punisseur d’assassins, pendant qu’on assassinait en plein jour, sous ses yeux, sous le souffle de ses chevaux, sous la vitre de sa portière ?
Et le juge n’a pas été mis en jugement ! et le bourreau n’a pas été mis en jugement ! Et aucun tribunal ne s’est enquis de cette monstrueuse extermination de toutes les lois sur la personne sacrée d’une créature de Dieu !
Au dix-septième siècle, à l’époque de barbarie du code criminel, sous Richelieu, sous Christophe Fouquet, quand M. de Chalais fut mis à mort devant le Bouffay de Nantes par un soldat maladroit qui, au lieu d’un coup d’épée, lui donna trente quatre coups de doloire de tonnelier, du moins cela parut-il irrégulier au Parlement de Paris : il y eut enquête et procès, et si Richelieu ne fut pas puni, si Christophe Fouquet ne fut pas puni, le soldat le fut. Injustice sans doute, mais au fond de laquelle il y avait de la justice.
Ici, rien. La chose a eu lieu après juillet, dans un temps de douces mœurs et de progrès, un an après la célèbre lamentation de la Chambre sur la peine de mort. Eh bien ! le fait a passé absolument inaperçu. Les journaux de Paris l’ont publié comme une anecdote. Personne n’a été inquiété. On a su seulement que la guillotine avait été disloquée exprès par quelqu’un qui voulait nuire à l’exécuteur des hautes œuvres. C’était un valet du bourreau, chassé par son maître, qui, pour se venger, lui avait fait cette malice.
Ce n’était qu’une espièglerie. Continuons.
A Dijon, il y a trois mois, on a mené au supplice une femme. (Une femme !) Cette fois encore, le couteau du docteur Guillotin a mal fait son service. La tête n’a pas été tout à fait coupée. Alors les valets de l’exécuteur se sont attelés aux pieds de la femme, et à travers les hurlements de la malheureuse, et à force de tiraillements et de soubresauts, ils lui ont séparé la tête du corps par arrachement. »[3]



Victor Hugo


Autres exécutions ratées avec la guillotine

Liste possiblement non exhaustive :

  • 15 juillet 1793 : Joseph Challier, chef révolutionnaire à Lyon, fut la victime du premier guillotinage à Lyon. Le couperet, manié par des mains néophytes, dut tomber trois fois et le bourreau dut achever la décollation au couteau. Tout ceci coûtera à la ville de Lyon une répression atroce, sous l’égide de Fouché notamment, au cours de laquelle les bourreaux maladroits seront eux-mêmes guillotinés.

  • 19 septembre 1793 : Besse, dit « Piarrissou », un colosse accusé de contre-révolution, fut le premier exécuté par la guillotine en Corrèze, à Uzerche. Le bourreau fit tomber 4 fois le couperet, sans succès. C’est sa femme qui acheva la besogne avec un couteau de boucher !

  • 25 février 1794 : David de Beaudrigue d’Escalone fut exécuté à Toulouse. Le bourreau dut faire tomber deux fois le couperet. Quand on examine l’affaire Calas[4], trente ans plus tôt, on se rend compte que c’était à l’acharnement antiprotestant d’un certain David de Beaudrigue, capitoul de la ville de Toulouse, que l’on devait l’exécution inique de Jean Calas. Alors celui guillotiné en 1794, est-ce lui ou son fils ? Je n’ai pas réussi à le déterminer. En tous cas si c’est lui, je n’aime pas trop dire ça, mais il ne l’a pas volé !

  • 4 juin 1794 : exécution de M. de Püs, du Chanoine Lavaissière et de M. de Gombaud, à Bordeaux. Le bourreau Peyrussan étant ivre, il dut faire tomber le couperet au moins trois fois pour chaque condamné.

  • 15 septembre 1798 : à Reims, le bourreau Jean Simon Demorest, ivre, arriva en retard à l’exécution et le couperet ne coupa pas bien le cou.

  • 23 juillet 1810 : à Sienne, en Italie, le bourreau, Henri Picler, dut faire tomber le couperet trois fois.


En conclusion, on peut dire que la guillotine a, malgré de bien regrettables « ratés », globalement « humanisé » l’application de la peine de mort, dans une société qui n’était de toute évidence pas prête à en exiger l’abolition[5]. Malgré l’horreur de ce spectacle sanglant, il est indéniable que pour le condamné lui-même, la mort était instantanée dans plus de 99 % des cas, ce qui évitait les odieux calvaires de l’Ancien Régime.
Pourtant, en simplifiant l’exécution de la peine capitale, il n’apparaît hélas que trop évident que — tout au moins pendant la période de la Révolution — la guillotine en a multiplié le nombre de façon vertigineuse. Le peuple aurait-il supporté sans rien faire autant de mises à mort durant les mois de Terreur, si celles-ci s’étaient accompagnées à chaque fois d’une longue agonie ?

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1. Quelques dizaines d’années plus tôt, la Place Viarme fut également mortelle pour pas moins de deux généraux de l’Armée Catholique et Royale de Vendée : Jacques Cathelineau y fut mortellement blessé par un coup de feu tiré d’une fenêtre par un ouvrier cordonnier, le 29/6/1793. Quant à François Athanase Charette de La Contrie, plus connu sous le nom de Charette, dernier grand général de la Vendée, il y fut fusillé le 29/3/1796.

2. En 1870, la fonction de bourreau de province est supprimée. Il ne reste plus désormais qu’un seul « exécuteur en chef des arrêts criminels », secondé par plusieurs aides, qui devient responsable des exécutions sur tout le territoire métropolitain. Cette mesure s'accompagne de la suppression de l'échafaud, et bientôt d'une légère modification de la guillotine. Le nouveau modèle sera appelé "la guillotine Berger" et restera en vigueur jusqu'à l'abolition en 1981.

3. Dans la réédition récente de ce livre génial, que je vous recommande chaudement, l’éditeur apporte les précisions suivantes sur la préface de Victor Hugo :
« Le condamné dont il est question au début est en réalité Pierre Hébrard, exécuté en septembre 1831 à Albi.
Christophe Fouquet est en réalité François Fouquet, conseiller d’état sous Richelieu, père du futur surintendant des finances Nicolas Fouquet.
Henri de Talleyrand, comte de Chalais, fut décapité en 1626 pour avoir comploté contre Richelieu. Selon La Porte, il reçut vingt deux coups, selon Aubery, il en reçut trente quatre. Il semble en tous cas que Chalais cria jusqu’au vingtième. »


4. En quelques mots : en 1761, le fils aîné d’une famille protestante de Toulouse, Marc-Antoine Calas, se suicide en se pendant dans la boutique familiale. Afin d’éviter au jeune homme les obsèques infamantes réservées à l’époque aux suicidés, les autres membres de la famille cherchent à maquiller le suicide en meurtre. Mais le père, Jean Calas, est bientôt soupçonné d’avoir lui-même tué son fils, soi disant pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Bien que soumis à la question, Jean Calas proclamera son innocence jusqu’au bout. Marc-Antoine, ironie du sort, reçoit des obsèques de martyr chrétien. Quant à Jean, il sera roué et étranglé, son corps brûlé, son autre fils banni, ses filles mises au couvent. Grâce à un mémoire du Docteur Louis, mais surtout grâce à l’intervention de Voltaire (encore lui), toute la famille Calas est réhabilitée par Louis XV en 1765, et le capitoul David de Beaudrigue est destitué.

5. Il est à peu près de notoriété publique que si Badinter et Mitterrand étaient passés par un référendum, comme beaucoup le réclamaient en 1981, pour essayer d’abolir la Peine de Mort, les français s’y seraient opposés. Je me souviens avoir entendu aux infos, il y a quelques années (ceci était présenté par le journaliste de manière très anecdotique et n’avait pas fait les gros titres) que pour la première fois depuis 1981, un sondage donnait une majorité de français contre la peine de mort. Je ne pourrai pas dater ce sondage précisément, mais c’était plus de 20 ans après l’abolition !

draleuq, 18h52 :: :: :: [6 élucubrations]