Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je suis
fait comme
un rat !
C'est pas faux
Ces temps-ci, Dieu dévore inévitablement la démocratie, de sorte que le temps s'enrichit en courant vers le bonheur de l'existence
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

11 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 3 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie – 3ème partie – 4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie



31/10/1793 : Les girondins

La Convention, qui gouvernait la France depuis la proclamation de la république en septembre 1792, comprenait plus de 700 députés et siégeait dans la salle du manège aux Tuileries. On pouvait la diviser en trois parties :
- Les Girondins, ainsi appelés parce que beaucoup d’entre eux venaient du sud-ouest de la France, étaient le plus souvent issus de la grande bourgeoisie provinciale. Souvent (mais pas toujours) plus modérés que les Montagnards, ils étaient plutôt opposés aux mesures d’exception, et certains d’entre eux étaient pour une monarchie constitutionnelle. Ils dominèrent la Convention de septembre 1792 à juin 1793.
- Les Montagnards, ainsi appelés parce qu’ils siégeaient sur les gradins les plus hauts, étaient davantage issus de la capitale et du peuple. Volontiers extrémistes, ils étaient favorables aux mesures d’exception, et tous ardents républicains. Ils dominèrent la Convention de juin 1793 à la chute de Robespierre, en juillet 1794.
- La Plaine (on disait aussi « Le Marais », péjorativement), ainsi appelée parce qu’ils occupaient les gradins du bas, comprenait tous les autres députés, les plus nombreux. Selon le sujet, ils penchaient du côté des Montagnards ou des Girondins. Ils étaient souvent (mais là encore, pas toujours !) parmi les plus modérés.

Les Girondins furent vaincus par leurs adversaires Montagnards et mis en accusation en juin 1793. Beaucoup quittèrent Paris pour se cacher, mais d’autres refusèrent de le faire. Sous un chef d’accusation grotesque (« traîtres liberticides à la solde de l’étranger »), 21 d’entre eux furent jugés à partir du 24 octobre 1793, et guillotinés une semaine plus tard.
La mort des girondins fut très durement ressentie en province, et des révoltes éclatèrent un peu partout dans les régions dont ils étaient issus.



Brissot et Vergniaud, principaux leaders des girondins


Dans les jours précédant la chute des Girondins, l’accusateur public Fouquier-Tinville prévient le bourreau qu’il doit trouver des aides supplémentaires. Or curieusement, en ces temps où le travail et le pain manquent et où le spectacle des exécutions attire une foule de curieux malsains, en particulier des femmes surnommées « lécheuses de guillotine », Sanson ne trouve personne.
Un se présente pourtant, un certain André Dutruy, surnommé « Jacot », une sorte de saltimbanque, ami d’Hébert. Faisant très mauvaise impression au bourreau, il est éconduit, mais Fouquier-Tinville intervient pour qu’il l’embauche tout de même.

Lorsque Sanson et ses aides viennent prendre possession des prisonniers, ils sont accompagnés d’un huissier du tribunal qui fait l’appel. Plusieurs répondent non sans ironie. Ainsi Vergniaud :
- Présent ! Et si vous m’assurez que notre sang suffira à cimenter la liberté, soyez les bienvenus !
Ou Ducos :
- Je n’aime point les longs discours, je ne sais pas outrager la raison et la justice (il parodie en fait Robespierre)
L’huissier l’interrompant avec humeur, il ajoute :
- Eh bien, présent sans phrases !
Quand l’appel est terminé, tous ensemble crient « Vive la République ! »

Pendant la « toilette », ils continuent de discuter avec animation. Duprat ajoute quelques mots à une lettre que vient d’écrire Mainvielle, destinée à une femme qu’ils ont aimée tous les deux. En coupant les cheveux de Ducos, Sanson lui en arrache quelques uns, ce qui lui fait dire : « Il faut espérer que le tranchant de la guillotine coupe mieux que celui de tes ciseaux ! »

Pour la sortie, Vergniaud décide de laisser passer en premier la civière avec le cadavre de Valazé, « notre aîné dans la mort », dit-il. Celui-ci s’était enfoncé un poignard dans le cœur au Tribunal révolutionnaire, à l’annonce de leur condamnation à mort.
Ils se placent ensuite à leur guise dans les quatre charrettes qui les attendent, malgré les protestations de l’huissier qui entendait les faire monter dans l’ordre de sa liste.

Sur les quais de Seine, « Jacot » fait pour la première fois une démonstration de ses bouffonneries, enfourchant un cheval, faisant des tours d’équilibre, excitant la foule contre les condamnés. Sanson tente désespérément de lui faire cesser ses clowneries, mais il continue de plus belle. La foule prend fait et cause pour le misérable qui semble beaucoup l’amuser, et Sanson doit renoncer.

Les Girondins crient « Vive la République ! » avec la foule.
L’un d’eux dit pourtant : « La République, vous ne l’aurez pas ! »
Mais Vergniaud corrige aussitôt : « Si ! Ils l’auront ! Elle nous coûte assez cher pour que nous emportions dans la tombe l’espoir de la leur laisser ! »
A deux reprises, ils entonnent la Marseillaise.

Quand ils arrivent enfin devant la guillotine, Ducos n’a toujours pas perdu son humour :
- Quel dommage que la Convention n’ait pas décrété l’unité et l’indivisibilité de nos personnes !

Après les six premières exécutions, les paniers et la bascule sont tellement inondés de sang que Sanson ordonne de jeter des seaux d’eau et d’éponger les pièces après chaque supplice.
Pendant toute la durée de l’exécution, ceux qui restent encore en vie ne cesseront pratiquement jamais de chanter.
Bientôt, il ne reste plus que Vergniaud et Vigée.
- Plutôt la mort que l’esclavage ! crie Vergniaud avant de monter à l’échafaud.
Quant à Vigée, mort en dernier, il chante encore au moment où le couperet tombe sur sa tête.


06/11/1793 : Philippe Egalité

Louis-Philippe d’Orléans, cousin du Roi Louis XVI, fut député de la noblesse aux Etats Généraux de 1789. Tout comme Mirabeau et Lafayette, il fit partie des 47 députés de la Noblesse qui se joignirent à ceux du Tiers-Etat pour le serment du jeu de paume.
Elu député à la Convention en 1792, il se rebaptisa « Philippe Egalité » afin de faire un peu oublier ses origines nobles, et n’hésita pas à voter la mort du Roi ![1]
Ses partisans voulurent sans doute lui faire récupérer la couronne pour un changement de dynastie, mais il ne semble pas qu’il ait eu réellement cette ambition. Ses ennemis, en revanche, ne lui pardonnèrent ni ses origines, ni sa fortune, ni surtout le fait que son fils aîné[2] ait trahi la France et fui à l’étranger aux côtés du Général Dumouriez.
Il fut écroué à Marseille en juin 1793 avec ses deux autres fils, le Duc de Montpensier et le comte de Beaujolais.[3] Ramené à Paris en octobre, emprisonné à la Conciergerie, il fut envoyé à la guillotine sous le prétexte de sympathie avec les Girondins (qu’il avait pourtant toujours méprisés).



Le Duc Louis-Philippe d'Orléans, alias "Philippe Egalité"


Lorsque Sanson se présente à Philippe Egalité, il cause en se promenant avec son aide de camp, le général Coustard, condamné en même temps que lui. Lorsqu’il voit le bourreau, il n’interrompt ni sa promenade, ni son bavardage.
A la demande de Sanson, il se laisse toutefois couper les cheveux sans mot dire. C’est alors que les trois autres condamnés du jour font leur apparition. Parmi eux figure Monsieur de Laroque, un noble de soixante-dix ans. Lorsque les aides veulent lui couper les cheveux, il retire sa perruque qui couvrait son crâne chauve et leur dit :
- Voici qui me dispense de cette formalité essentielle.
Puis le vieillard reconnaît le Duc d’Orléans et lui déclare alors avec indignation :
- Je ne regrette plus la vie, puisque celui qui a perdu mon pays reçoit la peine de ses crimes ; mais je suis, je vous l’avoue, Monseigneur, bien humilié d’être obligé de mourir sur le même échafaud que vous !
Egalité ne répond pas.

La charrette s’arrête volontairement plusieurs bonnes minutes devant le « Palais Egalité », ex-Palais Royal, demeure des ducs d’Orléans, sur lequel est inscrit en grosses lettres : « Propriété Nationale ». Le Duc regarde une dernière fois son ex-propriété, puis détourne les yeux avec dédain.

Mr de Laroque, exécuté le premier, met un point d’honneur à dire Adieu à ses compagnons d’infortune, y compris à l’ouvrier, sauf à Orléans auquel il n’adresse toujours pas la parole.
Philippe Egalité, passant en dernier, voit les quatre têtes tomber sans sourciller. Une fois monté sur l’échafaud, il regarde d’un air hautain la foule qui le hue, et hausse les épaules.
Les aides lui retirent son manteau et veulent lui enlever ses bottes, mais le Duc va vers la bascule tout en disant : « C’est du temps perdu, vous me débotterez bien plus aisément mort ; dépêchons-nous ! »
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1. Même Robespierre fut, parait-il, profondément écœuré de cette traitrise à son sang.

2. Qui n’est autre que le futur Louis-Philippe 1er (1773-1850), Roi des Français, qui régna sur la France de la Révolution de 1830 jusqu’à celle de 1848. Il fut le dernier roi à régner sur la France, et l’on appela son régime la « Monarchie de Juillet ».

3. Tous deux moururent prématurément (1807 et 1808), en exil, des suites de la tuberculose qu’ils avaient contractée en prison.

draleuq, 15h20 :: :: :: [6 élucubrations]