Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Patience et longueur de temps
J'ai
faim
De temps en temps, l'ignorance dévore amoureusement son destin. Par là même, la sagesse s'amenuise en rampant depuis l'au-delà du post-modernisme
La Piscine ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

9 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 2 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie – 2ème partie – 3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie






17/07/1793 : Charlotte Corday

La première fois que je suis allé au Musée Grévin, j’avais 8 ans et j’étais avec mes parents. Parmi tous ces étonnants mannequins de cire, celui qui m’avait marqué plus que tous les autres, sans doute parce que c’était le plus violent, était cette représentation de l’assassinat de Marat par Charlotte Corday. Je me souviens que l’un de mes parents m’avait dit que c’était cette femme, là, qui avait poignardé l’homme dans la baignoire, et que s’il était dans sa baignoire c’est qu’il avait une maladie de peau. Et je me souviens combien m’avait semblé cruelle cette femme qui avait osé poignarder un homme malade dans son bain !
30 ans ont passé, je suis retourné voir cette œuvre une fois depuis. J’ai aussi appris entre temps qui était vraiment ce Marat, et j’avoue qu’aujourd’hui, ma compassion va bien davantage à Charlotte Corday qu’à sa victime, même si c’est vrai que ce ne sont pas des manières, de poignarder un homme malade dans son bain !



"L'assassinat de Marat" au Musée Grévin


Jean-Paul Marat, né en Suisse en 1743, était un médecin et physicien, devenu ensuite journaliste et homme politique. A la Révolution, il se fit connaître comme principal rédacteur du journal « L’Ami du Peuple » (plus de 1 000 numéros entre septembre 1789 et septembre 1792), comme député Montagnard à la Convention et comme président du club des Jacobins. Dans son journal comme au parlement, il s’en prenait indifféremment, et avec une rare violence, aux royalistes, aux députés girondins, aux membres trop riches du tiers-état… Par ses appels au meurtre, il fut l’un des instigateurs des massacres de septembre 1792, où plus de 1 000 royalistes emprisonnés furent passés au fil de l’épée. Marat fut mis en accusation en avril 1793, mais acquitté par un jury acquis à sa cause. Issue de la petite noblesse normande, Charlotte Corday rencontra à cette époque des députés girondins qui avaient quitté Paris pour se réfugier du côté de Caen. C’est là qu’elle acquit la conviction que Marat était un tyran et un fauteur de massacre, et prit la décision de l’assassiner. Souffrant d’une maladie mal connue mais sans doute grave, Marat ne sortait plus de chez lui depuis début juin et ne paraissait plus à la Convention. Charlotte Corday le poignarda dans son bain le 13 juillet 1793.

Marat fut l’objet d’un étonnant culte de la personnalité : il reçut d’abord des obsèques nationales, avant d’être transféré au Panthéon un an plus tard (seulement pour 6 mois toutefois : ses restes furent inhumés au cimetière voisin de Ste Geneviève après la fin de la Terreur). Plusieurs villes de France se rebaptisèrent pour un temps « Marat ». Des citoyens ajoutèrent aussi Marat à leur nom de famille : Sanson note ainsi dans son journal du 11 floréal An III (1er mai 1794) que 15 personnes avaient été, fait rarissime, acquittées par le Tribunal Révolutionnaire, et que "plusieurs de ces individus, qui sont des patriotes de la ville du Mans, avaient, selon le mode de la province, ajouté le nom de Marat à leurs noms". Le président du tribunal, Dumas, leur avait d'ailleurs vertement rappelé "les devoirs que leur impose le patronage du grand citoyen".
Plus inattendu encore, Marat fut admiré 150 ans plus tard, en tant qu’extrémiste de gauche, par le régime communiste soviétique : un cuirassé fut baptisé « Marat » en 1921, et le prénom « Marat » y est encore utilisé de nos jours (ex : le tennisman Marat Safin)


Marat (portrait de Joseph Boze, 1793)



Quand le bourreau entre dans la cellule de Charlotte Corday, il s’y trouve déjà un gendarme et un homme qui peint son portrait. Elle est assise sur une chaise et écrit sur le dos d’un livre. Elle regarde le bourreau et lui fait signe d’attendre quelques instants. Quand elle a fini d’écrire, elle vient installer sa chaise au milieu de la pièce, enlève son bonnet, dénoue ses cheveux, et fait signe à Sanson de les couper. Lorsque ses cheveux sont tombés, elle en donne une partie au peintre. Sanson lui donne une chemise rouge, symbole des assassins et des empoisonneurs, qu’elle arrange elle-même. Elle demande au bourreau si elle doit garder ses gants pour être liée, car ceux qui l’avaient arrêtée avaient serré si fort les cordes qu’elle en conservait des cicatrices aux poignets. Sanson répond qu’elle peut faire comme bon lui semble, mais que c’est inutile car il saura lui attacher les mains sans lui faire mal.
Elle répond en souriant et en lui tendant ses mains nues :
- Au fait, ils n’en ont pas votre habitude !


Portrait de Charlotte Corday fait par Hauer dans sa cellule, quelques heures avant de mourir. Un autre portrait, de Bréa, s'intitule "Charlotte Corday peu avant son exécution".


Dans la charrette, elle refuse de s’asseoir.
Dans les rues, la foule est grande et le convoi avance lentement. Des citoyens qui marchent en même temps que la charrette injurient la condamnée et lui reprochent la mort de Marat. A une fenêtre de la Rue St Honoré, le bourreau reconnaît les députés Robespierre, Danton et Desmoulins, qui ne quittent pas Charlotte Corday des yeux.
- Vous trouvez cela bien long, n’est-ce pas ? ose Sanson.
- Bah, nous sommes toujours sûrs d’arriver ! répond la condamnée d’une voix parfaitement calme.

Quand le convoi débouche enfin sur la Place de la Révolution, le bourreau se place devant Charlotte Corday pour l’empêcher de voir l’échafaud. Mais elle se penche pour le voir quand même, tout en disant :
- J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en avais jamais vu !

En arrivant, pendant que Sanson s’adresse aux gendarmes pour qu’ils évacuent quelques inconnus qui se sont mêlés à ses aides, Charlotte Corday monte les marches toute seule et se jette d’elle-même sur la bascule. Du coup, Sanson estime qu’il ne doit pas prolonger inutilement le supplice et fait signe à son aide Fermin, déjà là-haut, de lâcher le déclic à sa place.[1]

Un charpentier qui avait participé dans la journée à des réparations sur la guillotine ramasse la tête et la montre au peuple, et va même jusqu’à lui mettre un soufflet. La joue ainsi profanée aurait, dit la légende, rougi à cette insulte.
Un journal prétendra que c’est un des aides de Sanson qui aurait commis cet outrage indigne. Le bourreau s’empressera de faire rectifier cette information calomnieuse.
Le charpentier sera incarcéré pour sa faute.[2]

Charles-Henri Sanson dira qu’il n’avait plus vu un tel courage pour mourir depuis l’exécution du Chevalier de la Barre.


Cette ancienne carte postale montre que le tourisme historique sur les traces
des martyrs de la Révolution exista très tôt.


16/10/1793 : Marie-Antoinette

Si Louis XVI a eu un semblant de vrai procès, celui de sa femme, haïe par le peuple sous le nom de « Madame Véto » ou de « L’Autrichienne », fut une parodie.
Les révolutionnaires allèrent jusqu’à influencer son fils de huit ans, Louis-Charles, héritier légitime du trône, pour appuyer une fausse-accusation d’inceste.
Le motif de haute-trahison fut pourtant le motif de sa condamnation à mort : il fut établi qu’elle avait été à l’origine du « manifeste de Brunswick », texte du Duc éponyme menaçant Paris de destruction si le moindre mal était fait à la famille royale. Ce texte avait été publié à Paris début août 1792, et il eut l’effet inverse de celui escompté, provoquant la Prise des Tuileries, l’emprisonnement de la famille royale au Temple, et les massacres de septembre.
Durant l’été 1793, on jugea qu’il n’était plus nécessaire de maintenir la Reine dans cette prison du Temple considérée comme un privilège (la famille royale étant seule à l’occuper), et on la transféra à la Conciergerie.


Lorsque Charles-Henri Sanson vient prendre ses ordres auprès de l’accusateur public Fouquier-Tinville, il demande à ce qu’on aille quérir une voiture fermée, semblable à celle qui avait conduit Louis XVI à l’échafaud 10 mois plus tôt.
Fouquier, avec sa délicatesse habituelle, dit au bourreau qu’il mérite la guillotine pour avoir fait une proposition pareille, qu’une charrette est encore trop bonne pour l’Autrichienne, et il continue à injurier copieusement l’ex-Reine.

Charles-Henri rentre du palais de justice chez lui à cinq heures du matin ce 16 octobre, la tête basse. Sa femme comprend tout de suite et fait une violente crise de nerfs. Le bourreau doit la cacher, de peur qu’on dénonce sa famille pour trahison !

Charles-Henri et son fils et futur successeur arrivent à la Conciergerie vers 10 heures. Ils se découvrent devant Marie-Antoinette, chose que ne font pas d’autres citoyens présents.
- Je suis prête, messieurs, nous pouvons partir ! dit-elle en se levant vivement.
Le bourreau lui dit qu’il est nécessaire de prendre quelques précautions.
La Reine se retourne et lui montre sa nuque où les cheveux avaient été coupés.
- Est-ce bien ainsi ? dit-elle simplement en tendant ses mains pour qu’on les lui liât.

Entre temps, l’Abbé Lothringer, un prêtre assermenté, fait son entrée. C’est le troisième, et Marie-Antoinette refusera ses secours comme elle avait refusé ceux des deux premiers.
On a placé un tabouret pour l’aider à monter plus facilement dans la charrette, mais celui-ci est branlant. Elle remercie ceux qui l’aident à monter.

Le parcours jusqu’à la Place de la Révolution est un calvaire : la foule est si compacte que la charrette ne peut parfois plus avancer, que les chevaux pris de panique se cabrent. Le peuple hurle des injures et des imprécations à l’adresse de « l’Autrichienne. » Les gendarmes, au lieu de tenir leur rôle de service d’ordre, laissent parfois passer les passants les plus agressifs, et se joignent à eux pour insulter la Reine.

A un moment, une inquiétude se peint sur le visage de Marie-Antoinette, qui ignore toujours les prières de Lothringer, et qui semble scruter les numéros de maisons qui défilent en cherchant quelque chose. Elle avait prévu que l’on ne permettrait à un prêtre non assermenté de lui apporter les derniers sacrements, aussi, un prêtre réfractaire, l’Abbé Magnien, lui avait promis de se trouver, le jour du supplice, dans une certaine maison de la Rue St Honoré.
Enfin la maison arrive, elle reconnaît le prêtre, baisse la tête et prie. Puis elle relève la tête et esquisse un léger sourire, comme de soulagement.

Quand elle voit l’échafaud, elle murmure : « Ma fille ! Mes enfants ! »
En descendant de la charrette, le bourreau lui dit en la soutenant :
- Courage, Madame !
- Merci, monsieur, merci, dit Marie-Antoinette en se retournant.
Il veut encore la soutenir pour marcher jusqu’à l’escalier, mais elle refuse :
- Non, j’aurai, Dieu merci, la force d’aller jusque là.
Elle monte les degrés seule, repoussant une dernière fois les conjurations du prêtre assermenté. Les aides l’attachent rapidement sur la bascule. « Adieu mes enfants, je vais rejoindre votre père ! » seront ses derniers mots.


Portrait de Marie-Antoinette par Elisabeth Vigée Le Brun (1778)

_________________________________
1. Ce récit, publié par le petit-fils du bourreau, Henri-Clément Sanson, est présenté par ce dernier comme tiré directement des mémoires de son grand-père. Il est toutefois considéré comme apocryphe par un certain nombre de personnes (quelques uns vont même jusqu’à prétendre qu’il aurait été écrit par Honoré de Balzac). Ce qui peut accréditer cette thèse, c’est que Henri-Clément, dernier bourreau de la dynastie Sanson (il guillotina notamment le poète assassin Pierre-François Lacenaire en 1836) avait grandement besoin d’argent, et que le sensationnalisme pouvait éventuellement l’aider à vendre plus de livres. En effet, joueur compulsif et criblé de dettes, il a même été jusqu’à mettre en gage la guillotine en 1846 pour rembourser ses créanciers ! L’Etat, informé de cette faute grave, régla une partie de ses dettes pour récupérer les bois de justice, avant de le licencier.
Toutefois, apocryphe ou pas, ce récit est corroboré en bien des points par Jules Michelet dans son « Histoire de la Révolution ».


2. L’erreur consistant à dire que c’est le bourreau qui aurait souffleté avec mépris la tête de Charlotte Corday est encore répandue. Récemment, j’ai lu un article dans le Nouvel Observateur, à propos de l’ouverture d’une exposition sur la peine de mort, où Robert Badinter l’affirmait encore dans une interview.

draleuq, 11h05 :: :: :: [5 commentaires désobligeants]