Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je vais te
ratiboiser
la colline !
Ta
gueule
De temps en temps, l'ignorance embrasse joyeusement le règne animal. C'est ainsi que la perfidie s'amenuise en rampant depuis les cieux du rationalisme
Saint Tobustin ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

4 Mai 2010 ::

« Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 1ère partie »

:: Histoire moderne, 1789

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte trois :
1. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 1ère partie
2. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 2ème partie
3. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 3ème partie






Le monstrueux éventail de l’Ancien Régime

Sous l’Ancien Régime, il existait de multiples types de supplices qui dépendaient à la fois du crime commis et de la condition du coupable.
Ainsi, les bandits de grand chemin (tels Mandrin ou Cartouche) étaient roués vifs, les parricides (assassins d’au moins un de leurs parents) devaient subir l’amende honorable avant le supplice, c’est-à-dire la mutilation du poing droit, les régicides (tels Ravaillac ou Damiens) étaient écartelés à quatre chevaux, les autres criminels de droit commun étaient généralement pendus. Toutes ces peines pouvaient s’accompagner de différentes tortures et mutilations avant leur exécution. Les nobles qui devaient mourir (notamment pour trahison) étaient décapités sur un billot, ce qui était considéré comme un privilège dû à leur rang car il s’agissait d’une mort rapide et « sans douleur ». Sous Richelieu, ce fut le cas par exemple du comte de Montmorency-Bouteville, qui provoqua le Cardinal en venant se battre en duel juste sous sa fenêtre, ou du comte de Chalais, un conspirateur. Ce dernier montra d’ailleurs, et il n’en fut pas le seul exemple, que la décapitation à l’épée était loin d’être une science exacte !


« Le supplice de la Roue », eau-forte de Jacques Callot
extraite des « misères et malheurs de la guerre » (1633)


Le 28 novembre 1789, le Docteur Guillotin, député du Tiers-Etat de Paris à l’Assemblée Nationale, dépose une motion demandant à ce que la peine de mort soit appliquée de façon uniforme, sans distinction de classe, et que ce soit la décapitation, qu’il considère comme le moyen le plus rapide, le plus sûr et le moins douloureux.
La première partie de la motion est adoptée le 1er décembre 1789 par des députés qui avaient, il faut le dire, presque tous reçu des doléances de leurs électeurs pour l’abolition des anciens supplices.

Sanson n’aime pas les épées

Pour la seconde partie de la motion, en revanche, sur la décapitation, il faudra encore attendre.
Ce n’est que le 5 juin 1791 que l’Assemblée Constituante décrète que tout condamné à mort aura la tête tranchée.
En apprenant cela, Charles-Henri Sanson, alors bourreau de Paris, remet un mémoire au ministre de la justice :

Mémoire d’observation sur l’exécution de la peine de la tête tranchée avec la nature des différents inconvénients qu’elle représente, et dont elle sera vraisemblablement susceptible.
Pour que l’exécution puisse se terminer selon l’intention de la loi, il faut que, sans obstacle de la part du condamné, l’exécuteur se trouve encore être très adroit, le condamné très ferme, sans quoi l’on ne parviendra jamais à terminer cette exécution avec l’épée sans qu’il arrive des scènes dangereuses. A chaque exécution, l’épée n’est plus en état d’en faire une autre : étant sujette à s’ébrécher, il faut absolument qu’elle soit repassée et affilée à nouveau ; s’il se trouve plusieurs condamnés à exécuter au même instant, il faudra donc un nombre d’épées suffisant et toutes prêtes. Cela prépare des difficultés très grandes et presque insurmontables.
Il est à remarquer encore que très souvent les épées ont été cassées en pareilles exécutions.
L’exécuteur de Paris n’en possède que deux, lesquelles lui ont été données par le ci-devant parlement de Paris. Elles ont coûté 600 livres pièce.
Il est à examiner que lorsqu’il y aura plusieurs condamnés qui seront exécutés au même instant, la terreur que présente cette exécution, par l’immensité du sang qu’elle produit, (…) portera l’effroi et la faiblesse dans l’âme du plus intrépide de ceux qui resteront à exécuter. Ces faiblesses produiront un spectacle invincible à l’exécution. Le sujet ne pouvant plus se soutenir, (…) l’exécution deviendra une lutte et un massacre.
A en juger par les exécutions d’un autre genre, qui n’apportent pas à beaucoup près les décisions que celle-ci demande, on a vu les condamnés se trouver mal à l’aspect de leurs complices suppliciés (…) : tout cela s’oppose à l’exécution de la tête tranchée avec l’épée. (…)
Il est donc indispensable, pour remplir les vues d’humanité que l’Assemblée Nationale s’est proposée, de trouver un moyen qui puisse fixer le condamné, au point que l’exécution ne puisse devenir douteuse, et par ces moyens éviter les longueurs (…) Par là, on remplira l’intention du législateur, et on se mettra à couvert de l’effervescence publique.


Peut-être peut-on aussi expliquer cette défiance de Charles-Henri Sanson pour les épées, sans vouloir nier la valeur des arguments qu’il décline, par le fiasco qu’il subit lui-même le 9 mai 1766 en Place de Grève en ratant la décapitation du Comte de Lally-Tollendal[1], un général condamné à mort pour trahison. Ce jour-là, c’est le père de Charles-Henri, Charles Jean-Baptiste (pourtant atteint de paralysie depuis qu’il a fait une attaque 12 ans auparavant !) qui doit se saisir de l’épée pour achever le pauvre comte de Lally, en sa qualité de chef-bourreau.


Thomas Arthur Comte de Lally Tollendal – François-Marie Arouet, dit Voltaire


Le rapport du Docteur Louis

En tous cas, le mémoire de Sanson produit son petit effet et ne tarde pas à remonter au législateur, qui commande aussitôt un rapport (eh oui, en ce temps-là, on commandait déjà des rapports !) au Docteur Louis[2], secrétaire perpétuel de l’académie de chirurgie. Ce dernier rend sa copie un peu plus tard :

M. le ministre de la Justice (…) juge qu’il est de nécessité instante de déterminer avec précision la manière de procéder à l’exécution de la loi, dans la crainte que si, par la défectuosité du moyen, ou faute d’expérience et par maladresse, le supplice devenait horrible pour le patient et pour les spectateurs, le peuple, par humanité, n’eût l’occasion d’être injuste et cruel envers l’exécuteur, ce qu’il est important de prévenir.[3]
J’estime que (…) les craintes sont bien fondées. L’expérience et la raison démontrent également que le mode en usage dans le passé pour trancher la tête à un criminel l’expose à un supplice plus affreux que la simple privation de la vie, qui est le vœu formel de la loi : pour y parvenir, il faut que l’exécution soit faite en un instant et d’un seul coup ; les exemples prouvent combien il est difficile d’y parvenir.
Personne n’ignore que les instruments tranchants n’ont que peu ou pas d’effet lorsqu’ils frappent perpendiculairement : en les examinant au microscope, on voit qu’ils ne sont que des scies plus ou moins fines qu’il faut faire agir en glissant sur le corps à diviser. On ne réussirait pas à décapiter d’un seul coup avec une hache ou un couperet dont le tranchant serait en ligne droite (…)
En considérant la structure du cou, dont la colonne vertébrale est le centre, (…) il n’est pas possible d’être assuré d’une prompte et parfaite séparation en la confiant à un agent susceptible de varier en adresse par des causes morales et physiques ; il faut nécessairement, pour la certitude du procédé, qu’il dépende de moyens mécaniques invariables, dont on puisse également déterminer la force et l’effet. C’est le parti qu’on a pris en Angleterre ; le corps du criminel est couché sur le ventre entre deux poteaux barrés par le haut par une traverse, d’où l’on fait tomber sur le cou la hache convexe au moyen d’un déclic. Le dos de l’instrument doit être assez fort et assez lourd pour agir efficacement (…) : on sait que sa force augmente en raison de la hauteur d’où il tombe.
Il est aisé de faire construire une pareille machine, dont l’effet est immanquable ; la décapitation sera faite en un instant, selon l’esprit et le vœu de la nouvelle loi ; il sera facile d’en faire l’épreuve sur des cadavres et même sur un mouton vivant. (…)


L’Assemblée est convaincue par cet exposé scientifique et mandate le Docteur Louis pour établir un devis. Celui-ci s’adresse à un certain Guidon, fournisseur habituel des bois de justice, en lui donnant toutes les caractéristiques d’une machine qui n’est alors qu’un précurseur de la guillotine, dépourvue de la fameuse « planche » et dotée d’une lame convexe « en forme de croissant ». Mais le devis de Guidon, d’un montant total de 5 660 livres, apparaît comme excessif au Ministre des Contributions Publiques, qui le refuse. Cette machine-là ne sera jamais construite.

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1. Né en 1702, Thomas Arthur de Lally Tollendal est envoyé en tant que gouverneur des établissements français de l’Inde. Il est battu à Madras en 1760 par les britanniques commandés par le Général Eyre Coote, qui le contraindra finalement à capituler à Pondichéry, deux ans plus tard. C’est cette reddition qui lui vaudra sa condamnation à mort lorsqu’il reviendra en France. Tout comme pour le Chevalier de la Barre, exécuté le 1er juillet de la même année (celui-là, Charles-Henri Sanson ne le ratera pas), Voltaire se battra pour la réhabilitation de Lally-Tollendal, avec le fils de ce dernier. Ils obtiendront la révision du jugement en 1778, mais celle-ci conclura à une confirmation de la condamnation. Ce sera le dernier combat de la vie du vieux philosophe, mort en 1778.

2. Antoine Louis, né en 1723, fut probablement, à l’instar d’Ambroise Paré, le chirurgien le plus doué de son temps. Il se forma dans les armées de Louis XV d’où il tira un remarquable « cours de chirurgie pratique sur les plaies par armes à feu ». Accoucheur doué, il étudia la césarienne et le forceps. Homme des Lumières, anatomiste prodige, il rédigea la plupart des articles de l’Encyclopédie liés à cette discipline et contribua largement à la réhabilitation de Jean Calas en publiant un mémoire permettant de différencier le suicide par pendaison et l’assassinat par strangulation. Il réduisit également les indications de la saignée et en stigmatisa les effets (rappelons que cette pratique rétrograde avait notamment coûté la vie de Mozart !) Il fut le maître d’autres grands chirurgiens, tels que Dominique Larrey, célèbre médecin de la Grande Armée de Napoléon, considéré comme le père de la médecine d’urgence. Antoine Louis mourut le 20 mai 1792, à peine un mois après la première exécution par la guillotine, à laquelle il avait contribué en réalité bien plus que Guillotin.

3. Le bourreau Sanson s’était d’ailleurs fait une belle frayeur quelques années plus tôt à Versailles, lors de l’exécution du parricide Louschart.

draleuq, 18h18 :: :: :: [5 observations emphatiques]