Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
J'ai
faim
Malheureusement, Dieu escalade inévitablement la religion. Ce faisant, l'Histoire se distingue en rampant depuis le néant de l'indifférence
Ploton ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

18 Juin 2011 ::

« Mine de rien, c’est dangereux… - 1ère partie »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte deux :
1. Mine de rien, c'est dangereux - 1ère partie
2. Mine de rien, c'est dangereux - 2ème partie



Il est maintenant l’heure de vous conter une petite mésaventure, de ces trucs qui n’arrivent qu’à moi et qui font que mon métier est vraiment frétillant.

C’était au mois de juin, lors d’une de ces sorties pédagogiques à la journée près d’un port. Le midi, au lieu de faire déjeuner ces chérubins sur le tarmac du parking du musée, je me disais que ce serait franchement plus sympathique qu’ils engoinfrent leur pique-nique sur la petite plage voisine, ils pourraient ainsi s’ébattre sur un sol plus moelleux une fois leur sandwich avalé, ce qui ne manquerait pas d’être fait en 5 mn chrono.

A la suite de ce déjeuner si promptement avalé, je m’entretenais donc avec une élève (mais oui, mais oui, cela m’arrive encore), confortablement assis au soleil sur le muret de béton qui séparait la plage du trottoir, lorsque le jeune Justin vint me remettre un objet en ces termes :
- Tiens maître, regarde ce que j’ai trouvé dans les rochers au bord de l’eau…

Il faut préciser que Justin était le seul de la classe à s’obstiner à m’appeler encore « maître » malgré mon interdiction formelle, ce terme étant rigoureusement opposé à ma philosophie personnelle. Etait-ce par pur vice de sa part, ou par sens de la provocation ?
Pas vraiment. Justin avait tout simplement du mal à imprimer la consigne même la plus simple, ceci par l’action délétère et conjointe d’une forte limitation génétique et d’une éducation désastreuse, les deux allant souvent de paire, je vous le concède. Toujours est-il qu’à ce stade de l’année, j’avais abandonné pour lui toute idée de progrès et son regard vitreux et vide de toute étincelle d’intelligence me faisait plus pitié qu’autre chose.

Mais comme je peux être distrait parfois… Car justement, connaissant ses capacités de discernement pour le moins défaillantes, j’aurais dû me méfier et regarder ce qu’il me tendait avant de m’en saisir.
Or, le mal était fait. Je n’avais pas encore posé mon regard sur cet objet qu’il était déjà dans ma main. Intrigué par sa densité apparente, sensiblement supérieure à celle d’un caillou, je cessai instinctivement ma conversation pour donner toute mon attention à ce mystérieux objet.

Il ressemblait à un gros ananas métallique surmonté d’une tige qui se terminait en une sorte de galette épaisse ressemblant à un brûleur de gazinière, avec des barbelures très nettes tout autour de la dite galette, le dessus comme le dessous se terminant en une grosse pointe métallique dépourvue de corrosion. L’ensemble était couvert de rouille, d’algues et de coquilles d’huîtres par endroits.
Ces huîtres étaient à n’en pas douter d’une variété suicidaire, car un instant après que j’eus vu cet objet de mon œil exercé, mon sang ne fit qu’un tour : il s’agissait sans nul doute possible d’une munition non explosée datant de la deuxième guerre mondiale.

Pourquoi « un œil exercé », me direz-vous ? Que vais-je maintenant vous révéler comme scoop explosif sur mon sombre passé ? Avant de devenir instit’, ai-je été démineur dans les casques bleus en Bosnie ? Suis-je officier de réserve dans l’armée de terre ? Joue-je un peu trop aux jeux video ? Suis-je militant actif à Handicap International en mémoire de la regrettée Lady Diana ?
Rien de tout cela, je le confesse. En vérité, j’ai seulement eu le rare privilège d’exercer ma profession dans une région, la haute Picardie, dont la terre fut jadis entièrement retournée par les obus, les mines, les grenades, et toutes ces choses sympathiques qui simplifièrent tant le travail de nos amis agriculteurs.
Là-bas, les gens sont accoutumés à côtoyer les forêts de croix ou de stèles blanches, mais aussi les munitions rouillées qui, depuis juillet 1916 en particulier, ne se lassent pas de continuer à sortir de terre, pour 700 ans encore paraît-il, mieux vaut donc s’habituer à faire avec.


Spectacle classique dans certains coins de notre douce France : un obus tout ce qu'il y a de plus dangereux et de non désamorcé, faisant tranquillement du stop en bord de route


Dans ce petit coin de France, les paysans ne font jamais de feu pour détruire leurs déchets, contrairement à ce qui se pratique régulièrement ailleurs, car Dieu seul sait ce qui se cache près de la surface du sol qui pourrait exploser au contact de la chaleur.
On ne peut pas parcourir 5 km en campagne sans voir sur le bas côté des obus de tous calibres, mais en majorité du 75 ou du 77, sagement alignés et bariolés de peinture orange fluo par les agriculteurs qui les ont trouvés en travaillant leur terre, et qui les ont amenés là, en attendant que les services de déminage viennent les chercher, ce qui n’intervient parfois pas avant des mois.

En attendant, il peut tout arriver…

Tenez, une fois, un alcoolo avait fait une sortie de route en revenant un peu tard du bistro et était allé droit dans un obus qui avait démoli sa bagnole. Mais comme il y a un Dieu pour les alcoolos, il n’avait été que légèrement blessé.

Par contre, une autre fois, le pare-chocs de quatre jeunes qui rentraient de boîte de nuit avait heurté un obus qu’un petit plaisantin avait mis en plein milieu de la route. Ils avaient tous les quatre rejoint le cimetière.

Tout près d’un site appelé le Trou de la Boisselle, qui n’est en fait qu’un immense entonnoir de 10 m. de profondeur et d’un diamètre de plus de 100 m., creusé par l’explosion d’une mine enterrée de 27 tonnes, on avait exhumé un obus de 400, qui devait faire près d’1m50 de haut et dont le percuteur était bien visible et parfaitement conservé. A défaut que les gens du déminage puissent l’évacuer facilement puisqu’il devait peser plusieurs tonnes, il est resté là plusieurs années… Et tout autour de lui, des cars entiers de touristes, souvent des Anglais, manoeuvraient pour faire demi-tour, puisque le site est dans un cul-de-sac. J’en ai vu un le frôler de moins de 50 cm, dans l’indifférence générale…

A côté de ça, il y avait les collectionneurs amateurs passionnés, bien souvent des psychopathes totalement inconscients. Dans un village près de chez moi, un d’entre eux s’était fait arracher un bras en déterrant une de ses trouvailles. Et encore, il avait eu de la chance… Mais on savait qu’il continuait sa collection avec son bras restant. Probablement n’aimait-il pas le chocolat, mais il y a tout de même des façons moins radicales de s’en priver[1].

Dans le village où je travaillais, un autre collectionneur émérite avait, à l’aube, déclenché une déflagration qui avait soufflé son hangar, réveillé toute la population, et provoqué des dégâts dans le voisinage, heureusement matériels. L’enquête a établi par la suite que ce brave homme avait entrepris d’ouvrir un obus avec un lapidaire (!) dans le garage où il avait entreposé d’innombrables obus empilés les uns sur les autres comme des bûches pour une cheminée… Bien entendu, le gugusse n’avait pas survécu à l’explosion, et on murmure même qu’il aurait pu être enterré dans l’équivalent d’une boîte à chaussures. Si jamais l’affaire avait été médiatisée, je pense qu’elle aurait figuré en bonne place dans les Darwin Awards[2].


Voilà à quoi peut ressembler, par exemple, le garage d'un collectionneur.
Et là, c'est plutôt gentil !


Copyrat draleuq 2008

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1. Selon le bon vieil adage : "pas de bras, pas de chocolat !", pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore.

2. Récompenses décernées chaque année aux personnes mortes de la manière la plus stupide. Bien entendu, c'est américain. Pourquoi Darwin me direz-vous ? Eh bien, parce que beaucoup d'américains n'aiment pas Darwin, j'imagine. Certains d'entre eux, souvent les mêmes d'ailleurs, sont pourtant les premiers concernés par notre ascendance primate.

draleuq, 13h41 :: :: :: [11 déclarations d'amour]