Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Pour votre santé, évitez de grignoter
Ça c'est
balot...
Etrangement, l'envie répand inévitablement le respect. C'est ainsi que la mort s'évade en évitant le néant de l'imagination
Caporal de Bol ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

19 Mai 2012 ::

« Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2 »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte quatre :
1. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 1
2. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 2
3. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 3
4. Brigade Spéciale de Répression de l'Ecole Buissonnière - 4


Quand on se pisse dessus, ça nous tient pas chaud bien longtemps.

Robert Duvall, dans « La nuit nous appartient » de James Gray


14 h 15, Zébra 3, Zébra 3, le suspect est logé

Je me creuse le ciboulot, remontant à ce que l’instit’ a dit de lui : un gosse très timide, impressionnable, un peu pleurnichard, qui a claqué sa petite déprime en début d’année à l’idée de changer d’école. Pas vraiment le profil à faire une authentique fugue.
L’hypothèse la plus plausible est qu’il ait fait demi-tour en chemin et qu’il soit retourné se cloîtrer chez lui, profitant de l’absence de sa mère et escomptant que tout le monde n’y verrait que du feu. Le mobile du crime serait alors évidemment d’échapper aux réprimandes de l’enseignant pour le coup de la cantine.

Fort de cette réflexion, je retente ma chance sur l’interphone. Après avoir appuyé sur les six boutons avec insistance, j’entends décrocher, et puis raccrocher aussitôt derrière. Ah ah, aurais-je ferré mon lièvre ? Je presse à nouveau les boutons, frénétiquement, puis je recule vivement dans la rue, sur le terre-plein central, pour observer les quatre fenêtres dont la plupart sont dénudées de tout rideau.
Je distingue, assez furtivement, une touffe de cheveux châtain disparaître au bas de la fenêtre. L’individu aurait voulu se planquer en me voyant, il ne s’y serait pas pris autrement… Le suspect est donc logé, ou je ne m’y connais pas ! Par contre, gros inconvénient, il m’a repéré et ne semble pas disposé à se rendre.

Guidé par mon empathie puérile et par le souvenir de quelques coups foireux montés par moi-même à son âge, certes de moins grande ampleur, je me mets un instant à la place du suspect. Si c’est vraiment lui qui vient de me voir au milieu de la rue, au pied de son immeuble, il est compréhensible qu’un réflexe d’échappement l’ait poussé à se soustraire à mon regard. Certes, c’est reculer pour mieux sauter, mais essayons un seul instant de nous figurer le grand moment de solitude que ce garnement, habituellement pas très déluré et ne montrant aucun goût pour la rébellion, vient de vivre :
- Oooooooooooh putaaaaaaaaaaiiiiiiin, le dirlo vient me chercher jusque chez moi. Je suis moooort !

Toutes proportions gardées, si l’on veut chercher un équivalent adulte de ce qu’il a pu ressentir, il faudrait imaginer que votre patron vous croise dans un bar alors que vous êtes sensé être en voyage d’affaire à 1 000 kilomètres de là, ou qu’il vous surprend en train de compter fleurette à votre secrétaire dans votre bureau, dans une tenue équivoque.

N’ayant pas de mégaphone, ni une unité de cavalerie sous la main, et Mme Blondas n’arrivant toujours pas, je décide de retenter ma chance avec les voisins de la boutique de fringues pour essayer de m’assurer qu’il est bien là, et surtout qu’il ne va pas faire dans son calcife ou se jeter par la fenêtre tel un clandestin apercevant un poulet.

14 h 25, [signes de main géigéenesques] GO ! GO ! GO !

- Hem, rebonjour Madame. J’ai cru voir une petite tête à la fenêtre du second étage quand j’ai sonné. Savez-vous dans quel appartement habite sa famille ?
- Ah ben non, ils habitent au premier pourtant…
- … (merdeuuuuh, ai-je malencontreusement délogé un authentique clandestin ?)
- Vous voulez qu’on aille frapper à la porte ?
- Euh, au point où j’en suis, pourquoi pas.

La vendeuse m’accompagne dans la cage d’escalier. Arrivés devant la porte du premier étage, nous frappons et essayons d’entrer, mais c’est fermé. Je lui dis de l’appeler, songeant que si je le hèle de ma voix rauque, même avec de gros efforts pour l’adoucir, cela ne pourra que le pousser davantage à la défenestration. Elle ne sait pas son prénom, je le lui donne.
- Matteo ! Matteo ! Tu es là ? Ouvre nous !
Pas de réponse.

C’est là que Madame Blondas, que l’on n’attendait presque plus, fait son entrée sur les chapeaux de roue, montant en renfort les escaliers quatre à quatre, toute essoufflée.
- C’est… pouf pouf… C’est pas là que j’habite… pouf pouf… c’est au deuxième !
Je regarde la vendeuse qui prend un air hébété embêté. Je songe au dernier polar que j’ai vu, où l’enquêteur pète toutes les dents de son indic’ qui s’est révélé être un tuyau crevé. Je chasse cette idée de mon esprit, en même temps que la vendeuse :
- C’est bon, je vous remercie de votre coopération aide.

Nous gravissons le deuxième étage, nous approchant peut-être enfin du dénouement. Mme Blondas tourne frénétiquement sa clé dans sa serrure, s’engouffre comme un ouragan dans son appartement, laissant derrière elle un vent de parfum bon marché. Je ne vois pas la suite, restant poliment sur le palier. Mais à en juger du bruit des talons sur le parquet, parcourant toutes les pièces avec entrain, elle traque son contrevenant de fils jusque sous son lit.

Enfin, elle lui met le grappin dessus et comme on pouvait s’y attendre, il fond en larmes. Elle l’amène enchaîné à mes pieds près du pas de porte et le gratifie devant moi d’une sacrée bonne raclée dans sa gueule de p’tit con pour lui apprendre les bonnes manières d’un sermon amplement mérité. Naturellement, je ne parachève pas son désarroi par des paroles incendiaires. Il n’aura pas même une sanction supplémentaire. Même l’impitoyable salopard que je suis sait parfois se montrer magnanime dans la victoire.

Le suspect bénéficie aujourd’hui d’une liberté surveillée. En tant que juge d’application des peines, j’estime la probabilité de récidive à 0,00 %

Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. [C’est là que le flash-back survient, sur une musique de fin du monde, alors que l’image prend des teintes fuschia.]
Vous en saurez plus après la pause publicitaire. Profitez-en pour faire pipi, comme c’est l’usage. Moi, j’ai un rapport à remettre au divisionnaire, pour hier.

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 12h38 :: :: :: [0 critique dithyrambique]