Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je ronge mon
frein, ça fait
mal
Et ta soeur ?
Aujourd'hui, l'Homme décroche silencieusement l'art. Ainsi, la sagesse se délite en courant vers le silence de l'individualisme
Ploton ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

22 Janvier 2008 ::

« La journée des dupes »

:: Histoire moderne, 1630

Bon, je cède encore une fois à mon intérêt pour le début du XVIIème siècle. Tant pis pour vous ! Il ne manquera plus que le « Complot de Cinq Mars » pour boucler ma tétralogie sur Louis XIII et Richelieu :)



Politique & religion en contradiction

Depuis son arrivée au Conseil d'En Haut du roi Louis XIII en 1624, le cardinal de Richelieu n'a cessé de faire preuve de sa poigne, son intelligence, son habileté et son grand sens politique. Il fait tout son possible pour domestiquer l'indiscipline chronique de la noblesse française : il interdit les duels, anoblit des bourgeois, bat en brèche un à un les privilèges des élites du pays, renforce le pouvoir royal et le centralise, surveille de près les gouverneurs de province, fait raser d'innombrables châteaux jugés inutiles à la défense du pays, favorise l'accession des gens de basse extraction à des postes décisionnaires, et prépare ainsi l'absolutisme. De ce fait, Richelieu est haï par la haute noblesse, qui n'a de cesse d'intriguer contre son influence : déjà en 1626, il échappe à un assassinat, lors du complot de Chalais.


Louis XIII et le Cardinal de Richelieu

La politique étrangère est quant à elle toute dirigée vers la résistance à la puissance des deux branches de la famille de Habsbourg (Espagne et Saint Empire Romain Germanique). Richelieu mène une politique trouble : en faisant le siège de la forteresse protestante de la Rochelle (1627-1628), il durcit le ton envers les huguenots à l'intérieur du pays pour ménager Philippe IV d'Espagne[1] et Ferdinand II d'Autriche, farouchement catholiques. Mais dans le même temps, le rusé cardinal fournit un appui financier discret aux protestants étrangers qui combattent les Habsbourgs : en 1630, l'Europe centrale est ravagée depuis 12 ans par la guerre[2], qui oppose encore et toujours catholiques et protestants.

L'indignation de la noblesse

Mais après ces quelques années de manoeuvre dans l'ombre, Richelieu voudrait porter des coups plus décisifs envers les Habsbourgs. Pour ce faire, il a besoin d'une alliance franche et précise avec les protestants : cette idée indigne la reine mère, Marie de Médicis[3], et tous les dévots qui vivent à la Cour. Gaston d'Orléans, le frère cadet qu'on appelle courtoisement Monsieur, fait encore une fois partie des opposants au roi !


Marie de Médicis et son fils cadet Gaston d'Orléans

Le 10 novembre 1630, Louis XIII est souffrant[4] : sa mère l'invite à venir la trouver en son palais du Luxembourg, et lui fait part de son indignation concernant le projet de Richelieu de s'allier aux protestants. Elle somme Louis XIII de renvoyer le cardinal et de contracter une bonne et saine alliance avec les catholiques. Pendant ce temps, mis au courant de cet entretien et devinant son importance, Richelieu se présente aux portes du palais ; mais Marie de Médicis a pris ses dispositions, les huissiers veillent, et toutes les portes sont fermées à clef.

Toutes sauf une sans doute : le cardinal de Richelieu parvient à passer par une porte dérobée (probablement en soudoyant une femme de chambre), et arrive en plein milieu du sermon de la mère envers le roi son fils. « Je gagerais que Leurs Majestés parlent de moi », déclare-t-il calmement devant l'assistance médusée. Marie de Médicis continue alors la violente diatribe qu'elle avait entamée sur le compte du cardinal ; Louis XIII écoute, de marbre. Puis, Richelieu s'agenouille devant le roi, et plaide sa propre cause ; Louis XIII, impassible, tourne les talons sans ajouter un mot, puis s'en va. Toute l'assistance est persuadée que Richelieu est fini, et chacun s'incline au passage de la reine mère, victorieuse.

C'est alors qu'a lieu un coup de théâtre : Louis XIII fait appeler Richelieu, et lui témoigne sans réserve de sa confiance. Il lui reconfirme son poste de premier ministre et s'engage à ses côtés dans son projet politique pour lutter plus encore contre les Habsbourgs et sécuriser les frontières. Marie de Médicis et Gaston d'Orléans sont désavoués : c'est alors qu'un courtisan s'exclame « C'est la journée des dupes ! ».

Le pouvoir affirmé

Suite à ce revirement de situation, le pouvoir de Louis XIII est largement consolidé : Marie de Médicis, impérieuse et peu intelligente, n'avait cessé d'intriguer contre lui, lui préférant Gaston d'Orléans, le frère cadet influençable et plutôt médiocre. Il aura fallu l'assassinat de Concini, des batailles contre la noblesse rebelle[5], l'évitement de plusieurs complots, et cet ultime épisode, pour que Louis XIII se décide enfin à écarter définitivement sa mère, décidément un fardeau pour la stabilité de l'Etat.

Richelieu tisse cependant encore une fois une réconciliation le surlendemain, mais pour une courte durée : Louis XIII consigne une bonne fois pour toute son intrigante de mère au château de Compiègne, d'où elle s'enfuit peu de temps après pour Bruxelles. Elle ne remettra plus jamais les pieds en France, voyageant à travers l'Europe et séjournant dans diverses Cours, sans jamais réussir à plaider sa cause, et mourra le 3 juillet 1642 à Cologne, dans une maison prêtée par son ami le peintre Rubens, envers qui elle avait fait grand mécénat autrefois.

Gaston d'Orléans, l'éternel second, indécis, manipulable bien que cultivé, vélléitaire, n'a quant à lui pas fini de faire parler de lui : il continuera pendant encore plus de dix ans à intriguer contre le pouvoir, à tenter des coups de force, à soulever des révoltes, mais toujours en vain. Son inconstance provoquera à chaque fois des échecs lamentables, et le plus souvent la mort de ceux qui le suivent.


_________________________________
1. N'oublions pas que la reine de France Anne d'Autriche, malgré son nom, était espagnole, et était la soeur de Philippe IV d'Espagne, qui était lui-même marié à Elisabeth de Bourbon, soeur de Louis XIII. Ceci n'a toutefois pas empêché les deux royaumes de se faire la guerre : vive la famille !

2. Les historiens l'ont appelée Guerre de Trente ans : elle se déroula de 1618 à 1648. Vous pouvez voir à ce propos le film La vallée perdue (1971), avec Omar Sharif et Michael Caine, qui se déroule justement en 1630, au beau milieu de l'Allemagne.

3. Seconde épouse d'Henri IV et mère — entre autres — de Louis XIII et de Gaston d'Orléans.

4. Louis XIII, très dévot, était en outre un roi plutôt taciturne, voire maladif. Il aimait à attirer quelqu'un vers lui, en lui déclarant : « Venez monsieur, ennuyons-nous ensemble ».

5. Notamment la « drôlerie des Ponts-de-Cé » (7 août 1620), qui opposa l'armée royale aux troupes rebelles liées à Marie de Médicis. Après cette défaite cuisante pour Marie de Médicis, le roi pardonna cependant à sa mère.

finipe, 02h00 :: :: :: [4 cris de désespoirs]

:: COMMENTAIRES

 draleuq , le 22/01/2008 à 17h57

Tiens justement j'ai vu un bref morceau de "La Vallée Perdue" en VO l'autre soir et je cherchais désespérément le nom de cet acteur. Michael Caine donc. Merci pour le tuyau...

Euh, sinon, tu te la pèterais pas un peu avec ton XVIIème siècle, là ? ;)

 finipe , le 22/01/2008 à 18h31

Ouais, toi c'est la guerre 14-18, moi c'est louis XIII et Richelieu ! T'façon ça sert juste à se la péter ce genre de truc, c'est bien connu. Quant à la "Vallée perdue", je suis aussi tombé dessus par hasard l'autre soir, et j'ai trouvé ça vraiment pas mal (faut dire, j'ai toujours eu un faible pour les vieux films).

 louisemiches , le 23/01/2008 à 10h38

C'est marrant, autant j'adore l'histoire, autant l'histoire moderne... Je sais pas, j'ai jamais accroché.
Si tu devais faire un spot de pub pour le début XVII°, tu dirais quoi pour me convaincre que c'est passionnant ?

 finipe , le 23/01/2008 à 14h15

Je commencerais sans doute par quelque chose comme "Lisez Alexandre Dumas", pour ma part c'est comme ça que ça m'a pris.

J'adore l'aspect double du XVIIème : le raffinement artistique et littéraire qui se profile, l'image d'Epinal du gentilhomme, et en même temps une barbarie qui ne se dément jamais (l'assassinat de Concini ou le supplice de Ravaillac en sont de superbes exemples).

C'est la raison qui tente d'émerger petit à petit face à l'obscurantisme qui étouffe encore tout le monde (Galilée vs Jésuites, Gassendi ou Newton un peu plus tard, querelle héliocentriste...).

Bref, j'adore :)

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