Certains de mes innombrables lecteurs connaissent probablement ma viscérale aversion pour la publicité, inépuisable source de crétinerie crasse qui me permet fréquemment de répandre mon fiel. Si je ne me retenais point, je pourrais d'ailleurs exprimer mon atrabile ici-même au moins trois fois par jour, mais gageons que cela lasserait considérablement mon (important) lectorat. J'avais pourtant déjà
cédé une première fois à ce brûlant et sourd appel de la colère, ici-même, en fustigeant certain môme footballeur jouant à la baballe dans l'appartement fraîchement nettoyé de sa génitrice.
Aujourd'hui, il ne s'agit pas de nettoyage de sol, il s'agit de montre. Vous aurez d'ailleurs remarqué, vous qui — comme moi, j'en suis sûr — recevez quantité de spams importuns vous vantant les mérites de je ne sais quelle fausse montre de luxe censée vous procurer un prestige social considérable, à quel point la montre est un produit particulier à la télévision, au même titre que les parfums ou certaines voitures : pour nous vendre des parfums, les petits génies de la publicité ne peuvent décemment pas nous vanter une simple « bonne odeur », ce serait grotesque. C'est pourquoi ces gens vendent un produit qui doit transformer l'image de celui qui l'utilise : porter un parfum, c'est comme porter un vêtement de luxe, un accessoire en forme de touche finale, la petite note qui achève de vous distinguer d'autrui, dans un monde pourtant paradoxal où la mode décline des apparences toutes similaires et où ressembler aux autres est cependant un signe de mauvais goût. Alors le parfum nous vante des univers éthérés où l'homme est viril et sensible à la fois, et où la femme exhale un mystère trouble derrière de savantes et translucides soieries, dans des endroits lointains, exotiques et subtils : on ne nous vend pas une odeur, mais un rêve hollywoodien.
Pour vendre des montres, nos petits génies se sont lancés dans des procédés similaires. Ainsi, une publicité récente nous montre un homme et une femme, vêtus de fuligineuses tenues de cuir : l'homme est un succédané d'Indiana Jones, et la femme un ersatz de Lara Croft. Tous deux se trouvent sur le toit d'un train lancé à vive allure après avoir sauté d'un hélicoptère, dans un paysage montagneux et hostile ; Indiana Jones attrape
in extremis la main de Lara Croft, et évite ainsi qu'elle ne se brise les os sur un panneau. Ils se regardent un instant, troublés, et l'on distingue à leurs poignets de futuristes et lumineuses montres. L'instant suivant, Lara plonge sur Indiana, pour éviter qu'il ne se brise le crâne contre un pont de métal sous lequel passe le train. Ils se trouvent couchés sur le toit du train, l'un sur l'autre, et se regardent : le trouble sensuel est à son paroxysme !
Puis, les deux aventuriers se précipitent à l'intérieur du train par une porte latérale, en évitant de justesse un autre train qui arrive en sens contraire. C'est alors que survient l'inexplicable : une porte métallique rutilante sur laquelle figure un sigle jaune de radioactivité s'ouvre, un vigile à la beauté d'ébène laisse pénétrer nos héros dans cet étrange lieu, en échange des somptueuses montres d'Indiana et Lara, qui sont aussitôt déposées tels de précieux bijoux dans un écrin futuriste de verre, de lumière et de métal. Indiana et Lara se dévêtent alors en un clin d'oeil pour arborer une tenue de soirée, et pénètrent dans ce mystérieux wagon interlope, à l'intérieur duquel dansent au ralenti de jeunes et troublantes créatures au formes suggestives, sur une musique électronique
branchouille[1]. Enfin, pour clore ce consternant tableau, une voix grave et mesurée prononce le nom de la collection de montres, avec un accent anglo-américano-bizarre exagéré à outrance : « Lotus code, get into the action » (prononcez
Lowtious cawde, guède ine tou zi akcheun).
Pour percevoir avec plus d'acuité toute la branchouillitude compassée de cette publicité, je suis allé voir quelques sites internet vendant ce genre de montre, et ai trouvé une description qui nous éclaire un peu plus : « La montre LOTUS CODE c'est en premier lieu un design unique, urbain, racé, reconnaissable au premier coup d'oeil »... Je m'interroge encore sur ce que peut réellement représenter un design
urbain ou
racé, mais j'imagine que cela ne s'adresse pas à un ouvrier de Boulogne-Billancourt ou un éleveur de porcs breton.
Quant à moi, qui ne suis ni urbain, ni encore moins racé, je ne porte plus de montre depuis des années : c'est sans doute pourquoi je suis imperméable à cette ridicule publicité, autant qu'à toute manifestation extérieure de branchouillitude. Je suis donc un incurable plouc de province, et peux donc — sans craindre de déchoir de quelque degré que ce soit dans l'échelle de la branchouillitude sociale — conchier sans retenue ces montres ainsi que les publicitaires qui les promeuvent.
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1. Accès lexical très personnel, « branchouille » est un épithète auquel on peut avantageusement ajouter l'expression « de merde » pour former la locution « branchouille de merde ». Désigne à mon sens tout ce qui est non pas « branché » (parce que c'est ringard de dire « branché »), mais plutôt à la pointe de la tendance, à l'avant-garde de la mode. Ce qui est branchouille est très souvent associé à des lubies capitales parisiennes, lubies qui me sont généralement tout à fait insupportables.
:: COMMENTAIRES
Simon, le 11/12/2008 à 17h11
Et le cadran solaire dans tout ça, In ou Out?
draleuq , le 12/12/2008 à 10h15
Arf, j'ai eu peur, j'ai cru que tu m'avais soufflé mon idée sur les montres ! Mais il n'en est rien ;))
Sinon, j'aime beaucoup l'analyse sur les pubs de parfum. Il est d'ailleurs amusant de constater que la première fois qu'on voit une nouvelle pub de parfum, on peut deviner que ça va être une pub de parfum avant même que cette info ne soit confirmée (ce qui se fait généralement à la dernière seconde de la dite pub).
Marcoroz , le 12/12/2008 à 21h07
Les ouvriers, à Boulogne-Billancourt, il n'en reste plus beaucoup...
Canisse, le 04/01/2009 à 20h41
"j'imagine que cela ne s'adresse pas à un .... éleveur de porcs breton."
Oh ! Oh! Tout çà , c'est vite dit !
Que nenni ! Que nenni !
Moi, je pense au contraire que la montre LOTUS CODE ne peut que déclencher un "processus de désir" irrépressible dans l'esprit impulsif de ces braves éleveurs armoricains que je côtoie chaque jour.
Lu à l'envers , LOTUS CODE ne donne-t-il pas "EDOCSUTOL ", mot dont la douce consonnance évoque irrésistiblement les merveilleux produits qu'ils font ingurgiter à leurs braves bêtes, et par la même occasion aux cochons de consommateurs que nous sommes !
De quelle manoeuvre subliminale et diabolique la publicité n'est-elle pas capable !
Pour l'ouvrier de Boulogne-Billancourt , le modèle de montre "Pointeuse" est effectivement plus parlant ..
Curios, le 27/01/2009 à 12h05
Que dire... L'analyse n'est pas tout à fait correcte. J'ai bossé quelques années dans le milieu de la pub et je peux montrer quelques erreurs dans les intentions de cette pub.
Cette pub n'est pas branchouille, c'est un ressucé de film d'action, avec un gros arrière goût de James Bond (vous vous souvenez le gars avec la montre laser-emetteur-bombe...). Bref il s'adresse à un public plus "basique".
Les branchouilles vont plutôt s'orienter vers des marques luxueuses ou mettant l'accent sur une griffe obscure ou sur la haute fiabilité. Bref pas un produit "grand public", la branchouille c'est aussi le snobisme et l'elitisme.
Bref, ce produit proposent des valeurs que le client va sûrement payer cher (faut rentabiliser la campagne) mais qui ne sont pas celles des branchouilles (dommage pour lui).
En gros la cible de cette pub ce sont plutôt le français moyens (homme et femme) qui veut se faire une petite folie avec un objet de marque.
D'un point de vue tout à fait perso, je trouve ce film vraiment raté, reprenant toutes les scènes types de film d'action. C'est galvaudé, usé jusqu'à la corde, bref je m'emmerde en regardant ça. Et puis moi aussi j'ai arrêté de porté des montres alors que je bosse sur un ordi toute la journée.
"Ma montre c'est le top ! Elle fait aussi ordinateur ! Alors mon gars, toi et ta montre racée, vous pouvez aller jouer sur les rails !"
finipe , le 27/01/2009 à 13h53
Ma foi, je pense que mon propos n'est pas contraire au tien (qui est très pertinent) : il me semble que ce que veulent avant tout les publicitaires, c'est faire croire à l'acheteur qu'il est d'une part unique, et d'autre part que cette montre lui offre un statut social au-dessus de ce à quoi il pourrait financièrement prétendre. D'ailleurs, les innombrables spam que l'on reçoit, offrant des copies de montres de luxe, nous vantent la même chose, de façon plus crue, du genre : "Avant j'avais l'air con dans les soirées, maintenant j'ai la classe avec ma (fausse) rolex au poignet, je tombe les filles et les mecs sont jaloux".
Ce qui à mon sens importe à ces publicitaires, et ce n'est au fond pas étonnant, c'est que celui qui achète le "produit" (bon sang, que je HAIS ce mot dans la bouche des commerciaux !) ait l'air de quelqu'un au-dessus de ce dont il a l'air au naturel et à l'aune de son portefeuille (ce qui, quoiqu'on en dise, va souvent de paire). Car le français moyen ne saura pas faire la différence entre une vraie et une fausse rolex, ou entre un montre de luxe X et une Lotus Code super branchouille.
Bref, une énième variation du paraître et de l'être.