Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je ronge mon
frein, ça fait
mal
Dans tes
rêves
Somme toute, l'Humanité assassine joyeusement son destin. C'est ainsi que le temps s'échappe, immobile depuis le futur des sens
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

13 Janvier 2009 ::

« Le mythe de l'élégance du Grand siècle »

:: Histoire - Inclassable

C'est un billet un peu inhabituel que je vous livre aujourd'hui, mais au détour de la lecture de quelques pages des Historiettes de Tallémant des Réaux, je ne résiste pas au plaisir de vous faire part d'un petit morceau de soi-disant élégance de nos princes royaux du XVIIème siècle. En propos liminaires, il me paraît utile de préciser ce que sont au juste ces Historiettes, dont le titre complet est exactement Historiettes, mémoires pour servir à l'histoire du XVIIème siècle : écrites par Gédéon Tallemant des Réaux à partir des années 1660, elles compilent plus de deux cents chapitres narrant les détails de personnages illustres de la fin du règne d'Henri III jusqu'au milieu du règne de Louis XIV, rois, princes, nobles, maréchaux et militaires, courtisans et courtisanes, hommes de lettres et j'en passe. Tallemant des Réaux nous livre ainsi une véritable bible des moeurs et personnages du XVIIème siècle, et d'innombrables anecdotes croustillantes : publiées pour la première fois en 1834, les Historiettes firent d'ailleurs scandale parmi les intellectuels du XIXème, qui avaient tant idéalisé le raffinement du Grand siècle. Les pauvres tombèrent de haut !

L'anecdote en question concerne un personnage dont j'ai souvent parlé ici : Gaston d'Orléans, souvent appelé Monsieur, le frère puîné de Louis XIII, troisième fils d'Henri IV et Marie de Médicis (le second, Nicolas, étant mort à l'âge de 4 ans). Cet homme cultivé reste toute sa vie l'éternel second, derrière son royal frère aîné ; inconstant, indécis, influençable, il est pendant la plus grande partie de son existence impliqué dans des complots, entraîné dans des cabales, manipulé par d'autres pour briser la puissance du cardinal de Richelieu. Mais malgré une relation houleuse et particulière, le cardinal et le roi resteront toujours unis par raison, et pour l'intérêt supérieur de la France, le roi allant même jusqu'à exiler sa propre mère pour ce faire.

Gaston se retrouve ainsi impliqué dans le complot de Chalais (1626), est un des protagonistes de ce qui fut appelé la journée des Dupes (1630), tente de soulever tout le royaume en 1630 avec l'aide du duc de Montmorency, signe des traités secrets avec l'Espagne, participe à la conspiration de Cinq-Mars (1642). Entre chacune de ces dates fixes, il n'a de cesse d'intriguer contre son frère, à chaque fois entraîné par une personne de son entourage : sa mère (qui le préfère à son royal aîné), son ancien gouverneur le maréchal d'Ornano, son cousin le comte de Soissons, et bien d'autres encore. A chaque fois, Gaston manque de constance, de courage, et dénonce ses complices. Ces derniers finissent tous en prison, sous la hache du bourreau, en exil... A chaque fois, Gaston recommence, poussé par l'idée qu'un jour, peut-être, il pourrait être roi : en effet, jusqu'en 1638 — date de la naissance du dauphin et futur Louis XIV — Louis XIII et Anne d'Autriche n'ont aucune descendance, et Gaston demeure le premier héritier de la couronne.


Gaston Jean Baptiste de France, duc d'Orléans
(peint par Antoine Van Dyck en 1634)

Mais outre cet aspect politique, voyons de plus près d'autres facettes de la personnalité de Gaston. Guillaume de Bautru, poète protégé de Richelieu, conseiller d'Etat et agent diplomatique de la couronne, écrit à propos de Monsieur :

Je ne crois point qu'il y ait jamais eu son semblable. Il sait cent chansons à boire, des plus estranges du monde ; bref, pour le bien dépeindre, c'est le plus débauché et le meilleur prince du monde.

Madame de Motteville, dans ses Mémoires, le dépeint comme un homme qui, bien qu'assez courtois, demeure plutôt imbu de son rang :

Rien ne manquoit à ce prince pour la société sinon qu'il estoit un peu glorieux, de cette gloire grossière, qui ne l'empeschoit pas de bien traitter ceux qui l'approchoient, mais qui lui faisoit garder son rang trop régulièrement. J'ai vu des femmes debout dans le lieu où il estoit pour lui rendre le respect qu'elles lui devoient sans qu'il eust l'honnesteté de leur ordonner de se seoir : et les hommes se plaindre que dans les saisons les plus rudes, il ne leur commandoit pas de se couvrir, ce que le Roi son frère faisoit toujours.

Mais venons-en désormais à deux anecdotes qui brisent le mythe de l'élégance et du raffinement tant fantasmé par les cercles littéraires du XIXème siècle à propos de cette période, et dont l'image d'Epinal semble toujours tenir pour beaucoup. Tallemant des Réaux raconte ainsi qu'un jour, Gaston d'Orléans vit un page dormant la bouche ouverte, et ne trouva rien de plus amusant à faire que d'aller y faire un pet (!!!) ; le page, tiré de son somme par cette incongruité, s'écria (probablement inconscient de qui était l'auteur de la farce) : « Bougre ! Je te chierai dans la gueule ! ». Gaston demande alors à l'un de ses valets de chambre : « Qu'est-ce qu'il a dit ? », et le valet, un certain du Fresne, répond coutoisement : « Il dit, Monseigneur, qu'il chiera dans la gueule de Votre Altesse Royale ». Gaston, le brave homme, n'en tint d'ailleurs pas rigueur au page.

En marge de cette anecdotes des plus distinguées, Tallemant des Réaux nous narre une seconde anecdote du même tonneau : l'affaire se déroule lors d'un bal au quartier Saint-Paul, chez une certaine madame Gaillard, bal auquel se trouve Gaston. En termes choisis, Tallemant des Réaux raconte la mésaventure d'un membre du Conseil du roi nommé du Bugnon, qui, à force d'avoir trop forcé sur la débauche, fut pris de coliques. Il s'engouffra dans une pièce vide et déféqua dans une boîte de pruneaux vide ; hélas, madame Gaillard entra peu de temps après en quête de pruneaux, et fut fort mécontente de trouver dans sa boîte autre chose que ce qu'elle était venue chercher... Voici l'histoire, selon les propres mots de l'auteur, tellement plus délectable (si je puis dire) dans les termes anciens :

Cela me fait souvenir de ce qui arriva à un conseiller au Grand conseil, nommé du Bugnon, en un bal où Monsieur estoit, au quartier Saint-Paul. C'estoit chez une Mme Gaillard. Ce pauvre garçon avoit un peu fait la desbauche, de sorte que tout à coup, il luy prit un desvoyement horrible. Par respect, il n'osa sortir du lieu où il estoit, mais il se glissa dans un petit cabinet dont par hasard il trouva la porte ouverte. A tastons, il rencontra une boiste de pruneaux où il sentit du vuide. Ce fut là qu'il se deschargea de son pacquet. Il estoit encore dans ce cabinet, quand Madame Gaillard y vint. Il se range en un coing, elle y vouloit prendre des pruneaux dans cette boiste ; mais elle y trouva de la marmelade. La voylà à faire du bruit. « Madame », lui dit ce garçon, « je suis un tel. Ne me diffamez point, c'est un accident, je suis malade. » Cette femme en colère le chassa comme un foireux.

finipe, 14h29 :: :: :: [5 cris de désespoirs]

:: COMMENTAIRES

 Viou , le 15/01/2009 à 10h15

Claaaasse et distinction de la cour royaaaaaale :)

 Marcoroz , le 20/02/2009 à 13h37

D'où l'expression "aller au cabinet" ?

 skogkatt , le 30/03/2009 à 21h54

Voila une bien belle pantalonade ! La cour savait faire rire, ca faut 1000 fois "bienvenue chez les chtis" !

 skogkatt, le 17/07/2009 à 22h30

Comme il faut avouer que ceci est drôle, je me suis acheté les 2 volumes en collection La Pleiade. Il ya un nombre incroyable d'anecdotes tres courtes perdus dans l'immensité du receuil toujours centrées sur les "pets" généralement :) Entres autres, donc, j'aime bien celle-ci à propos de Louis Treizième :

Louis XIII fut marié encore enfant. En s'allant coucher le soir de ses noces, il dit : « Gare je m'en vais bien lui pisser dans le corps ». En effet, on dit qu'il n'y fit que de l'eau toute claire. Je m'en estonne en cette jeunesse-là où l'on est tousjours en estat. On dit que Blainville qui revenoit de l'ambassade d'Angleterre avoit avant cela trouvé une fois le Roy seul au sortir du bain, qui avoit une arrection. « Quoy, Sire, » lui dit-il, (Blainville estoit Me de la Garde Robe), « estes-vous souvent incommodé de cela ? O, je m'envais vous apprendre une recepte que j'ai vù pratiquer en Angleterre. » Et se mit à luy donner quelques coups de poignet. Sa Majesté continüa, et trouva la recepte fort bonne. J'ay ouy dire qu'il disoit pourtant de ce que vous sçavez : « Fy, Fy, cela sent la morue. »

 finipe , le 18/07/2009 à 02h23

Oui, décidément, encore un exemple d'excellence et de raffinement du Grand Siècle, merci skogkatt :)

A la décharge (est-ce le mot le plus approprié ?) de Louis XIII, il faut bien dire que ce roi n'était guère porté sur la chose : plus préoccupé par le salut de son âme que par la bagatelle, lui et Anne d'Autriche se sont détestés cordialement pendant des années, avant de se supporter tout au plus. Si le mariage est resté infécond jusqu'en 1638, alors qu'ils se sont mariés en 1614 (ou 1615 je ne sais plus), ce n'est pas pour rien !

En fait, je trouve ce personnage de Louis XIII très intéressant, il est incroyablement imparfait : élevé au milieu des bâtards d'un père qu'il chérissait plus que tout, anéanti par l'assassinat de ce dernier, puis mis à l'écart par une mère médiocre et impérieuse, on conçoit qu'il ait été timide, bégayant, taciturne... Fallait-il qu'il soit conscient de sa faiblesse pour avoir soutenu contre vents et marée un Richelieu avec lequel il s'entendait pourtant fort mal !

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