C'est une maison bleue
Adossée à la colline
On y vient à pied
On ne frappe pas
Ceux qui vivent là ont jeté la clé
On se retrouve ensemble
Après des années de route
Et on vient s'asseoir
Autour du repas (...)
Nageant dans le brouillard
Enlacés roulant dans l'herbe
On écoutera Tom à la guitare
Phil à la kena jusqu'à la nuit noire (...)
C'est une maison bleue
Accrochée à ma mémoire (...)
Peuplée de cheveux longs
De grands lits et de musique (…)
Maxime Le Forestier (San Francisco)
La Lozère... 15 habitants au km², soit à peu près autant qu'en Finlande, qui est le pays le moins dense de l'Union Européenne. 77 000 habitants dans l'ensemble du département, soit à peu près autant que dans la ville que j'habite à elle seule... 77 000 humains, pour 140 000 moutons. Ici, « plus de moutons que d'êtres humains » n'est pas qu'une expression, c'est une réalité.
- SALUT LA LOZERE, VOUS ETES EN FORME CE SOIR ?!!
- Bêêêêêêêêêêê !
En certains endroits, ce sont des étendues à perte de vue de montagnes, de forêts, de cailloux, pas âme qui vive, un lieu hors du temps. Les maisons elles-mêmes, aux murs de blocs granitiques et aux toits de lauzes, semblent arrachées à la montagne autant qu'elles s'y confondent.
Pour autant, il y demeure quelques lieux où l'on y croise encore ces êtres étranges que l'on appelle homo sapiens. Et là, je dois le dire, il y a une curiosité sociologique frappante qui fait que la Lozère diffère des autres lieux de perdition où je me suis déjà précédemment égaré avec délices, tels que la Creuse, la Corrèze, l'Aveyron, le Cantal, ou l'Indre...
Je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps, cette curiosité, ce sont... les babs.
Oui, vous savez, les babs, les babas, les babacool, les hippies, les rastas, les peace and love, les flower power, les beatniks, les « faites l'amour pas la guerre », les fumeurs de ganja...
Que nous en dit le Guide du Routard ?
C'était l'époque où l'on criait : « Gardarem lou Larzac » sur le causse menacé par l'implantation d'un camp militaire. Les premiers routards partaient pour Katmandou chercher le nirvana. D'autres, plus sédentaires, montaient dans les Cévennes élever des chèvres, faire du yoga, lire Lanza del vasto, Marcuse ou Rousseau. Partisans d'une vie plus simple, animés d'un idéal mi-californien, mi-chinois, ces rebelles pacifiques fondèrent des communautés dans les hameaux les plus reculés des Cévennes. Les paysans restaient sceptiques, ricanant dès qu'ils parlaient de ces « zippies » décidés à vivre de la terre. Une terre ingrate dont ils avaient découragé leurs propres enfants, les poussant vers le monde meilleur de la grande ville. Pour beaucoup, l'aventure ne dura qu'une brève saison. Quelques irréductibles sont restés. Puis sont arrivés les « néo-Cévenols ». Plus discrets, mieux intégrés dans le tissu économique du pays : animateurs, restaurateurs, hôteliers, agriculteurs, fonctionnaires, commerçants...
Voilà donc qui donne corps à la célèbre expression (célèbre sans trop qu'on sache pourquoi, en tous cas jusqu'ici...) : « Puisque c'est ça, je m'en vais élever des chèvres dans le Larzac. »
Cet endroit a beau avoir la plus faible densité humaine de l'hexagone, en ce qui me concerne je n'avais jamais vu une telle concentration à l'hectare de dreadlocks, de cheveux et barbes longs, gras et crasseux, plus ou moins tenus avec des nœuds, des élastiques ou tout moyen du bord, de bonnets de rastas, de frocs qu'on dirait qu'on a chié dedans, de Clarks et de jupons qui traînent par terre, de pulls bariolés à rayures horizontales (très importantes, les rayures horizontales !)...
Trois générations de babs se côtoient ici pour le bonheur des petits et des grands.
Les babs de 20 ans viennent en grands groupes grégaires, sacs au dos, en pèlerinage sur les traces de leurs illustres prédécesseurs. Comme eux, ils carburent au joint et à la binouse.
Les babs de 40 ans reviennent en famille, avec émotion, sur les traces nostalgiques de leurs antiques pétards, binouses
et partouzes... Ils sont devenus des babs respectables entre temps, et ils ont des gosses, parfois nombreux d'ailleurs.
J'ai cru calculer que la fécondité des babs était globalement supérieure à celle de la France qui, comme chacun sait, est pourtant la plus solide d'Europe.
On se gausse souvent des bourgeoises qui sont habillées en harmonie avec leur caniche ou leur chihuahua, mais je dois dire que le mimétisme entre les babs et leurs gosses est frappant : prenez le père avec ses cheveux longs, gras et crasseux, un ample pantacourt, des tongues et une sorte de pull multicolore en importation directe de la Cordillère des Andes (laine de lama, bio équitable évidemment, avec la vraie odeur du lama dedans)... Invariablement, les deux ou trois rejetons auront les cheveux gras et filasses leur tombant sur les épaules et leur cachant la moitié des yeux, un superbe pantacourt et un non moins superbe pull tricoté dans la même laine que papa, avec 3 tailles de moins, mais pas plus car le bab est souvent petit et grêle... Sans doute à force de bouffer macrobio.
Ah ! J'allais oublier : tous ces magnifiques pulls ont bien évidemment des rayures horizontales. Essentielles, les rayures horizontales.
Naturellement, l'enfant de babs jouit d'une grande liberté d'action. Quelqu'un qui ferait du mauvais esprit dirait que ses parents sont laxistes, et ce serait une gravissime erreur car l'enfant bab ne fait là qu'exercer sa faculté à découvrir son environnement par le biais de l'expérientiel
[1]. Ceci explique aussi pourquoi le bab a beaucoup d'enfants : il n'a pas à gaspiller sa précieuse énergie en intervenant trop activement dans l'éducation de ceux-ci.
La bab-attitude, qui s'attache beaucoup au lien intergénérationnel, transparaît jusque dans les panneaux indicateurs. Le bab se veut autosuffisant et s'est détaché depuis longtemps de contingences matérielles telles que la Direction Départementale de l'Equipement (trois employés dans toute la Lozère, dont un en pré-retraite, un en congé parental et un en arrêt maladie).
Il y a aussi les babs de 40 ans qui n'ont pas, eux, fondé de famille, non pas parce qu'ils étaient trop rebelles, mais peut-être tout simplement parce qu'ils étaient trop laids, trop cons, ou décidément trop sales, même pour une bab. Ceux-là se retrouvent entre potes (ou peut-être ont-ils laissé la famille à la
caravane maison, tels des musulmans pour le grand pèlerinage à La Mecque) et sont généralement fortement imbibés de bière et de marijuana. Certains d'entre eux vont même jusqu'à te tomber littéralement dessus dans leurs titubations éthyliques et narcotiques, alors qu'ils dansent bras dessus bras dessous au son d'une fanfare moldave (c'est très tendance cette année). Ils ne s'excuseront pas, tu vois, pas besoin, car le simple fait de s'excuser supposerait probablement qu'il y a offense. Or, l'offense n'existe pas chez les babs, ils sont résolument cooooool, tu vois. C'est des mecs, ils vont au bout de leurs idées, tu vois. C'est beau.
C'est parmi ces babs quadras irréductibles que l'on trouvera les looks les plus extrêmes, de la casquette de chantier avec jean's de clodo jusqu'aux cheveux montés en palmier dessus mais rasés sur les côtés, en passant par les dreadlocks visiblement entretenus à l'huile de vidange, avec toute une faune vivant à l'intérieur. Beaucoup d'entre eux ne boivent et ne fument visiblement pas que 4 heures par jour pour marquer leur appartenance, mais aussi les 12 heures qui restent pour l'oublier.
Et puis il y a les babs de 60 ans. Ceux qui ont survécu à cette décrépitude. Ils compensent souvent leur calvitie par des mèches et des barbes longues, grisonnantes et généreuses, et n'hésitent pas à se tresser ou à se nouer la barbe. Beaucoup d'entre eux se sont visiblement installés ici de longue date, et on les trouve notamment sur les marchés à vendre du miel ou du fromage de chèvre. Ce sont aussi des organisateurs très actifs de fêtes de babs, où leurs remorques pourries traînées par un Combi Volkswagen orange font merveille.
A noter que dans les fêtes de babs, on ne paie pas les consommations en euros, mais en grenouilles. Si si, monsieur. Des vrais rebelles, ces gars-là, résolument contre la société de consommation capitalo-fasciste. Ils vont au bout de leurs idées. Alors avant d'aller acheter ta binouse ou ta saucisse-frites, il faut aller au stand d'échange pour troquer tes euros contre des grenouilles. 1 € = 1 grenouille. Des rebelles, j'te dis !
D'aucuns me trouveront cruel et sans cœur avec ces braves babs après tout bien inoffensifs, et je leur dirai : « heureusement, encore, qu'ils sont inoffensifs, sinon c'est pas la peine de prôner la paix et l'amour universels ! »
Toutefois, au-delà de ces moqueries assez gratuites, mais jouissives et parfaitement assumées, je veux bien confesser une chose : je me sens certainement beaucoup plus à l'aise au milieu d'un parterre de babs que je ne me sentirais à l'aise au milieu d'une réunion de skinheads.
Ah ! Ah ! Homo sapiens, petit parasite, viens donc essayer de t'installer là, si tu l'oses !
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1. Putain je viens d'avoir l'illumination : en fait, Philippe Meirieu est un bab !
:: COMMENTAIRES
Johnny Cleg, le 27/08/2011 à 11h07
Est-ce qu'en Lozère,
y a des babs à barbes,
des babs pas à barbes,
des babs babas à barbes,
des babs pas babas à barbes,
des babs pas babas pas à barbes,
des babs babas à barbes papas,
des babs babas à barbes pas papas,
des babs babas pas à barbes pas papas,
des babs pas babas pas à barbes pas papas ?
Y z'aiment la barbapapa ? ?
draleuq , le 27/08/2011 à 11h07
C'est un peu barbant, ton truc, là...
Brath-z , le 27/08/2011 à 15h57
C'est marrant, mais j'ai limite l'impression de lire un représentant du comité d'initiative de Lozère...
La Lozère, ses montagnes, ses paysages, son air pur, sa nature luxuriante, ses troupeaux de moutons, ses babs.
draleuq , le 27/08/2011 à 16h06
Bah faut bien que je les aide un peu, au syndicat d'initiative de Lozère elles ne sont que deux, et y'en a une en disponibilité et l'autre en congé maternité.
Et puis je te rappelle que ceci est une APOLOGIE de la France profonde.
Mathilde, le 28/08/2011 à 09h31
Ah les locqueteux...
Ma dernière rencontre avec un groupe de "babs" a été sportive.
Je travaille pour une banque, voyez. Je suis donc devenue Satan. J'étais pas loin de voter FN, didon.
Ce genre de réflexion par un mec à locks, qui roule dans la mégane de papa-maman, qui loge chez papa-maman à 31 ans et qui dépense son RSA en 8.6, et surtout qui porte un treillis (?!!!) comment dire... ?
Ces groupes de locqueteux qui te considèrent tout de suite comme votant à droite parce que tu te sapes de manière plutôt classique. Qui sont les premiers à s'attacher aux apparences...
Et au fait, les locks sur les blancs : c'est ridicule !!!
draleuq , le 29/08/2011 à 08h57
Ah oui, j'ai souvent remarqué aussi cette incohérence cocasse qui consiste à ce qu'un bab s'habille en pantalon de treillis.
Quant aux autres incohérences que tu soulignes, elles ne font qu'illustrer le fait :
- que l'homo sapiens a beaucoup de peine à accorder ses actes et ses paroles, mais ça on en voit des applications chaque jour et c'est loin de ne concerner que les babs.
- qu'être un vrai bab est un choix difficile, plus difficile que bien d'autres, et que plus ça va plus c'est difficile, puisque cela suppose plus ou moins de se soustraire à pas mal de petits conforts modernes et superflus.
Au fait, c'est vrai, tu travailles dans une banque !?
C'est quand ton prochain bain dans du sang de vierge avec un crucifix à l'envers ?
yan gayard, le 12/06/2016 à 19h37
ET les babs ne sont pas du tout appréciés des locaux!