La beauté est une. Seule la laideur est multiple.
Jules Barbey d'Aurevilly ("Les Diaboliques")
Je ne sais pas si vous avez remarqué comme moi, ces derniers temps, l’arrivée d’un nouveau mot sur toutes les lèvres médiatiques, j’ai nommé le « buzz ». A ce train-là, je me demande souvent à quoi ressemblera la langue française dans quelques décennies…
Sans qu’il soit possible d’identifier qui exactement se trouve à l’origine de ce néologisme onomatopéen, le « buzz » s’est imposé en quelques mois tout au plus comme un terme incontournable des radios et des émissions de télé tendance.
Il faut, si j’ai bien compris, entendre par « buzz », LE truc dont tout le monde parle, et surtout, le truc que tout le monde se passe sur internet. Souvent, ce sera un lien You Tube qui fait le tour du monde du web en quelques jours par le biais des forums et des e-mails.
Ah, le web ! Cette si merveilleuse invention, dont le seul énorme défaut est son inventeur lui-même, et à la fois surtout son utilisateur, l’homo sapiens.
Ainsi donc, parmi les « buzz » qui ont secoué la planète ce printemps, on trouve Mrs Susan Boyle, cette dame écossaise de 48 ans, jusqu’alors inconnue, qui est passée dans une émission de télé réalité anglaise ressemblant fortement à la « Nouvelle Star », si ce n’est qu’elle n’était pas ouverte qu’aux chanteurs ou pseudo-chanteurs.
Et donc, il s’est avéré qu’elle chantait très bien. Vraiment très bien. Où est le « buzz » me direz-vous ? Car jusqu’ici, rien de très exceptionnel. Les opéras, par exemple, regorgent d’excellents chanteurs méconnus, parce que l’opéra franchement c’est has been, à part pour les bourges.
Le « buzz » n’est pas que Susan chante super bien, non. Le « buzz », c’est qu’elle chante super bien tout en étant laide. Et ça, apparemment, il n’en faut pas plus pour que ça troue le cul à tout le monde.
Car ce qui a fait le tour du monde, paraît-il, c’est le film de la première audition de Susan devant le « jury ». Je dis « parait-il », parce que je n’ai pas vu cette séquence, et ne m’en porte pas plus mal.
Lorsque Susan arrive devant le « jury », bien potelée du haut de ses 48 balais et de son physique pour le moins ordinaire, probablement fagotée comme l’as de pique et avec un brushing fait chez un coiffeur qui va faire faillite maintenant qu’elle est connue, les « jurés » sont morts de rire, ou tout au moins tirent une tronche de dix pieds de long en subodorant que leurs oreilles vont subir un calvaire.
Et là, surprise, elle chante bien. Elle chante même excellemment bien. Alors, avec le sens du cinoche pour lequel ils ont été embauchés, les « jurés » se prosternent devant la diva, se confondent en excuses, en pleurent d’émotion, et commence la légende…
La première fois qu’on m’en a parlé, avant même que je ne voie à quoi elle ressemblait, je m’imaginais une sorte de monstre difforme, avec un bec de lièvre, deux rangées de chicots pourris, un œil plus haut que l’autre, le nez de travers, le visage plein de pustules ou de crevasses, les cheveux gras et les oreilles décollées. Et en fait, rien de tout ça. Elle n’est même pas vraiment laide, elle est ordinaire, de l’ordinaire de celles qui ne savent pas, ou qui n’ont pas l’envie, le temps ou l’argent pour « se mettre à leur avantage ». Si elle est laide, alors allons dans les rues de centre ville un samedi après-midi, et l’on verra un laideron tous les cinq mètres.
Descendons sur terre, enfin. Ce n’est pas pour les gens normaux qu’elle est laide, mais bien pour le monde du show biz (du show buzz ?) où règne la loi du BCBG (Beau Cul Belle Gueule), où tout « artiste » chante a priori au moins autant avec sa tête et son cul qu’avec sa voix (et encore, je reste gentil en disant « au moins autant »)
Alors que pas plus de 10 % de la population n’est douée d’un physique « cinégénique », comment expliquer que 100 % des gagnants aux émissions type Star Ac - Nouvelle Star le sont ? Pourrait-on prouver scientifiquement que seuls les beaux chantent bien ?
Alors évidemment, il n’est pas étonnant que le « menu peuple » érige Susan Boyle en symbole. C’est en quelque sorte leur petite revanche à eux. La revanche des boudins ordinaires. Et le phénomène est, comme on pouvait s’y attendre, largement relayé par nos amis les journalistes et leurs bonnes formules superlatives imagées :
« Susan Boyle, la voix en or » ou « Susan Boyle, la voix d’ange », lit-on ou entend-on ici et là. Mais c’est fou comme malgré nous on entend, en filigranes, grincer la fin de la phrase, qui n’est que trop sous-entendue par cette accroche ronflante et tellement exagérée : « … dans un corps de boudin ».
Susan Boyle a été un « buzz » à 20 % parce qu’elle chante bien, à 80 % parce qu’elle est « laide », ou plus précisément parce qu’elle ne cadre pas avec les canons de beauté en vigueur à la télévijeune.
Certains trouvent que c’est formidable, et d’autant plus formidable que ça va lancer sa carrière car on lui a déjà proposé un super contrat et tatati et tatata. Tant mieux pour elle, certes, si ça peut lui faciliter financièrement la fin de son existence.
Moi, je trouve ça indécent. Et d’autant plus indécent que si on lui a déjà proposé un super contrat, c’est à 20 % parce qu’elle chante bien, à 80 % parce qu’elle a fait un « buzz » consécutif non à son talent, mais à sa « laideur ».
Copyrat draleuq 2009