Puisque c'est un 26 octobre que Gilles de Retz fut exécuté, voici l'occasion pour conter sinon son histoire, au moins sa singulière et tragique fin. Si ce personnage vous intéresse, lisez l'excellentissime roman de Huysmans : « Là-bas »
Le dévôt, compagnon de Jeanne d'Arc
Né en 1404 à Machecoul (actuel département de Loire-Atlantique), Gilles de Montmorency-Laval, baron de Retz, est issu d'une famille puissante et respectée, qui compte parmi les grandes baronnies de Bretagne. Il est élevé tout d'abord par ses parents, puis par son grand-père Jean de Craon, un homme réputé pour son extrême violence. Après plusieurs fiançailles rompues pour cause de morts prématurées des promises, Gilles de Retz finit par épouser Catherine de Thouars en 1422, ce qui lui procure une fortune plus que respectable. Ensemble, ils auront une fille en 1429, Marie de Laval.
Dès 1420, Gilles de Retz a pris le chemin d'une carrière militaire active et brillante : il combat aux côtés de Jean V le sage (le duc de Bretagne et époux de la fille du roi de France
Charles VI — qui meurt en 1422), pendant la confuse guerre de succession de Bretagne entre les maisons de Montfort et de Penthièvre. En 1427, il s'engage dans la guerre de cent ans et combat notamment aux côtés de Jeanne d'Arc, arrivée en 1428 auprès du roi Charles VII, et s'illustre notamment lors du siège d'Orléans le 8 mai 1429, ainsi qu'à la bataille de Patay le 18 juin de la même année.
Après cette grande victoire, Charles VII, qui n'a pu être sacré comme le voudrait la coutume, va recevoir son titre dans les formes à la Cathédrale de Reims. Gilles de Retz reçoit deux grandes marques d'estime de la part de Charles VII : il est nommé maréchal de France, et est désigné pour aller quérir la Sainte-Ampoule, qui contient le baume devant oindre les rois lors de leur sacre. Charles VII est ainsi sacré roi de France le 17 juillet 1429 à Reims. Mais en septembre 1429, le siège de Paris est un échec, et le roi Charles VII, investi d'une toute nouvelle légitimité, trouve la pucelle d'Orléans et son armée bien encombrants. Gilles de Retz perd le crédit de la cour, et se retire de la vie martiale, pour aller se réfugier dans ses terres, en particulier en son château de Tiffauges (actuel département de la Vendée). C'est alors que la face maléfique du personnage surgit.
Château de Tiffauges
Le sataniste, violeur et meurtrier d'enfants
Retranché dans ses terres, Gilles de Retz mène une vie fastueuse : il se goberge dans un luxe des plus extravagants, entretient une armée de musiciens et de comédiens, sert à sa table les mets et les vins les plus rares, se fait faire une garde-robe princière et sans cesse renouvelée pour lui et ses 200 hommes d'armes, fait célébrer des cérémonies religieuses en grandes pompes, et circule ainsi entre ses différents châteaux. Mais tandis que le jour il dilapide sa fortune, il réserve la nuit à ses méfaits : dans les campagnes environnantes, des enfants disparaissent, toujours plus nombreux. Des rumeurs commencent à circuler, des loups qui croqueraient les égarés ou des saltimbanques qui commettraient des meurtres. Dans les villages, une sombre et profonde terreur s'installe, et personne n'ose parler.
En fait, Gilles de Retz dirige une véritable entreprise personnelle de rapt d'enfants, par l'intermédiaire de proches et de commanditaires qui ratissent les campagnes pour cela. Parfois, il embauche de jeunes garçons comme pages dans un de ses châteaux, mais les pages demeurent introuvables quand on les demande par la suite : ils sont absents, ailleurs, ou ont fugué. Gilles de Retz a cédé à la démence la plus complète : il enferme ses victimes, les torture moralement et physiquement, les viole et les tue, dans un processus dont il fournira plus tard les sordides détails.
Portrait de Gilles de Retz, postérieur à sa mort.
Il n'existe pas de portrait de son vivant.
Il laisse les enfants se faire maltraiter par ses hommes de main, puis arrive en trombe dans la geôle et bat à plat les tortionnaires pour se faire passer pour un sauveur et gagner la confiance et l'amour de la malheureuse victime. Puis, profitant de cette naïveté, il commet des actes encore plus atroces ! Dans sa folie, il est persuadé d'être un "faiseur d'ange", de libérer des âmes pures et de plaire ainsi à Dieu : son entourage proche se doute ou connaît l'horreur de ses crimes, mais tous se taisent et continuent de s'en mettre plein les poches aux dépends du maître des lieux.
:: COMMENTAIRES
amarwenne, le 15/05/2007 à 14h20
Je situe votre texte comme faisant partie des inconscients... Où sont les preuves ? Des témoignages de pauvres bougres innocents, ne sachant ni lire ni écrire. En ce qui concerne Gilles de Rais il est fort probable qu'il ai été manipulé. Je pense qu'il s'agit plus d'une prise de pouvoir des membres de sa famille et du duc de Bretagne et qu'il a été victime. Cela ne vous fait-il pas penser au célèbre Marquise des Anges...
finipe , le 15/05/2007 à 16h12
Pour beaucoup d'histoires anciennes comme celle-ci, les preuves sont effectivement faibles. Mais pour l'histoire de Gilles de Retz, il y a pour une fois de très nombreux témoignages, des écrits précis, du fait de l'énormité et de la récurrence des crimes commis (travaux universitaires, études diverses, transcriptions du procès et des interrogatoires...). Et puis, surtout, il y a des aveux d'une précision glaciale... Quant aux pauvres bougres dont vous faites mention, leur illettrisme et leur pauvreté n'enlève en rien le crédit et la cohérence de leurs témoignages.
Enfin, je crois aussi que Gilles de Retz a été d'une certaine façon manipulé : chacun a voulu profiter de la manne financière et s'en mettre plein les poches. Le Duc de Bretagne a certes lui aussi profité de cette histoire pour asseoir son autorité. Mais encore une fois, cela n'efface pas l'atrocité des actes commis ! Quand bien même il aurait été encouragé ou influencé, il a bel et bien torturé, violé, et tué d'innombrables enfants.
Gilles de Retz est à sa façon un personnage fascinant, mais de là à en faire une victime, il y a loin !
Crozonette, le 21/05/2007 à 18h26
Il faut que je retrouve le bouquin à la bibliothèque ! Cet historien pensait comme amarwenne, que tout cela est tombé à souhait pour destituer un homme de son nom, de sa fortune et du reste.
Et si cela n'était que légende ? On connait le clergé de l'époque ! Combien d'innocents sur les bûchers ?
finipe , le 21/05/2007 à 19h16
Il doit s'agir de « Gilles de Rais, ou La gueule du loup » de Gilbert Prouteau, un auteur vendéen qui s'est attaché à démontrer que Gilles de Rais n'était pas le monstre sanguinaire qu'on a bien voulu dépeindre.
Comme je l'ai déjà dit, je crois également fermement que tout le monde (Duc de Bretagne et roi de France en tête) a profité de l'aubaine pour se remplir les poches et mettre à bas un homme puissant. Mais cela ne retire en rien les actes qu'a réellement commis Gilles de Retz, et pour lesquels il y a bien des preuves, et pas seulement des aveux ou des pièces recueillies par un tribunal religieux.
Gilles de Retz était pédophile, alcoolique à un point assez incroyable (et les alcools de l'époque n'étaient pas de la rigolade !), épris d'ésotérisme, et il fréquentait des gens très peu recommandables...
Je pense donc qu'il est très légitime de relativiser le portrait qu'en a fait l'Eglise et l'Histoire, mais certainement pas de ramener tout cela à un simple légende ou un conte à dormir debout pour masquer des intentions politiques. Il existe des dizaines d'ouvrages sur Gilles de Retz, et la vision de Gilbert Prouteau reste largement confidentielle.
D'ailleurs, il suffit par exemple de lire « Là-bas » de Huysmans, pour être convaincu de la culpabilité de Gilles de Retz... Difficile de forger une vérité absolue en ne regardant qu'une version des choses !
draleuq , le 21/05/2007 à 23h09
putain, ti causes coum oun historien !
Sekhmet, le 22/07/2010 à 16h51
Je pense moi aussi que les auteurs de cet article se sont arrêtés à la légende qui nous est parvenue de Barbe-Bleue. Il faut les comprendre, une histoire comme celle-là attire bien du public (crédule puisque la tour dans laquelle Gilles aurait commis ses méfaits a été édifiée après sa mort, no comment).
Mais effectivement, il existe de nombreuses études, autres que celles de Prouteau, (mais je n'ai plus les noms en tête, je m'en excuse), qui "l'innocente", si l'on veut. Il a été un alcoolique, certes, un criminel, oui (c'est un soldat) et il s'est intéressé à l'alchimie. De là à lui imputer la mort et le viol de centaines d'enfant, il y a un fossé.
Quant à l'ouvrage d'Huysmans, il ne prouve rien du tout, puisqu'il s'agit d'un roman, dont Gilles de Retz n'est qu'un protagoniste imaginaire.
La vérité absolue, nous ne sommes pas prêts de la connaître, mais je pense que ce procès était malgré tout très politique.
En tout cas, ce personnage a inspiré écrivains et chanteurs (voir le dernier album de Cradle of Filth), et sa légende de monstre sanguinaire fait maintenant partie de notre folklore et de notre tradition orale. Et c'est tant mieux!!! Ne perdons pas ces contes et légendes si précieux...