Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

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Sacrote ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

25 Février 2007 ::

« Fachoda, un bras de fer franco-britannique »

:: Histoire contemporaine, 1898

La fin du XIXème siècle est le théâtre d'une lutte acharnée entre les grandes puissances européennes pour s'approprier les derniers territoires africains encore vierges. L'Egypte en particulier est un des pays créant la discorde, notamment entre la France et l'Angleterre, les deux ennemis héréditaires. Déjà en 1869, la France avait inauguré en grande pompe l'ouverture du canal de Suez, dont la conception avait été confiée à Ferdinand de Lesseps par le pacha égyptien, grand ami de la France : les anglais, malgré une forte opposition, n'avaient pu empêcher la France d'obtenir le contrôle du canal. Mais la France domine également Djibouti, un autre point stratégique du commerce international, en particulier pour la route vers les Indes. En 1882 toutefois, une insurrection éclate en Egypte, et la France, pour des raisons politiques internes, n'intervient pas. L'Angleterre en profite, occupe seule le pays, et mate la révolte.

Le Soudan, plus au sud, est lui aussi sous influence égypto-britannique. Mais en 1883, un soulèvement est mené par Mohammed Ahmed, dit le Madhi, (le "Guide") : deux ans plus tard, les égyptiens et les britanniques sont chassés du Soudan par les troupes musulmanes. C'est ainsi que pendant près de 15 ans, cette région de l'Afrique sera l'objet de toutes les convoitises : d'intenses négociations se font entre l'Angleterre, la France, mais aussi l'Italie, l'Allemagne ou encore la Belgique. Finalement, en 1898, le général anglais Horatio Kitchener reçoit l'ordre de mettre un terme à la rébellion mahdiste. Parti d'Egypte et remontant le cours du Nil avec une petite armée bien équipée, le général Kitchener fait face à l'armée musulmane soudanaise à Omdourman, non loin de Khartoum : les madhistes se font véritablement écraser, notamment grâce aux mitrailleuses anglaises[1].


De son côté, la France tente toujours de reprendre de l'influence sur l'Egypte. En 1896, après de longues hésitations diplomatiques et politiques, une expédition nommée « Mission Congo-Nil » est lancée par le capitaine Jean-Baptiste Marchand, avec l'appui du président Félix Faure. Elle doit relier Loango, un poste français de la côte atlantique, à Fachoda, une petite ville située à 650 km au sud de Khartoum, à des fins soi-disant totalement pacifiques... Finalement, après 3 années d'un voyage particulièrement éprouvant, Marchand arrive à Fachoda le 10 juillet 1898, avec une poignée de tirailleurs sénégalais et quelques centaines de porteurs.

Mais cette occupation déplaît au plus haut point aux autorités britanniques : Kitchener reçoit l'ordre d'aller au devant des français. Le 18 septembre, à peine 2 mois après l'expédition de Marchand, les anglais arrivent à Fachoda, avec une armée et des moyens très nettement supérieurs à ceux qui restent aux français. Plutôt que d'engager une lutte frontale, les deux hommes s'entendent avec intelligence, et laissent le soin aux responsables politiques de leurs pays de trancher l'issue de ce face-à-face bien embarrassant.


A gauche : Jean-Baptiste Marchand
A droite : Horatio Kitchener

Dans un climat de nationalisme exacerbé, les deux pays se déchaînent et l'animosité grandit très rapidement entre les deux ennemis héréditaires : l'Angleterre semble être prête à l'éventualité d'une guerre, et la France n'a de cesse de vilipender la « perfide Albion »... Chacune des deux grandes puissances coloniales teste la solidité de ses liens diplomatiques avec les autres nations européennes, et le ton reste très ferme, d'un côté comme de l'autre de la Manche. Toutefois, les élites françaises finissent par faire preuve de pragmatisme : alors que l'on aurait pu craindre un nouveau conflit ouvert, la France ordonne à Marchand de se retirer de Fachoda, le 11 décembre.

En France, l'affaire Dreyfus fait vite oublier le tumulte de Fachoda. L'Angleterre quant à elle, voit son attention attirée par un autre événement houleux : la seconde guerre des Boers, en Afrique du sud.

Finalement, le 21 mars de l'année suivante, des accords sont signés entre la France et l'Angleterre, fixant précisément les limites des deux puissances, et ce sans aucune concertation avec les pays locaux, ni aucune considération à leur égard d'ailleurs. Malgré le déchaînement populaire et la montée de haine entre les deux ennemis héréditaires, il apparaît que les élites des pays ont su conserver un réalisme et une certaine sérénité dans leurs relations. Cinq ans plus tard, le 8 avril 1904, l'Entente Cordiale est signée, concrétisant cette prédilection du dialogue face à la menace montante de ce début de XXème siècle : l'Allemagne.


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1. Dans cette armée britannique qui écrasa l'armée soudanaise se trouvait un jeune soldat qui fit ensuite beaucoup parler de lui : Winston Churchill.

finipe, 23h42 :: :: :: [2 soupirs de satisfaction]

:: COMMENTAIRES

 draleuq , le 26/02/2007 à 09h27

A noter que Kitchener, qui porta ensuite le nom de "Lord Kitchener of Khartoum", fut par la suite l'instigateur de la levée de centaines de milliers de volontaires dans tout l'Empire britannique, à partir de la fin 1914, pour suppléer la petite armée professionnelle qui constituait le corps expéditionnaire britannique en France (BEF, British Expeditionary Force). Cette immense armée de volontaires fut surnommée la "K army", et ses soldats les "K soldiers" (K comme Kitchener), mais on les appela aussi "pals battalions" (bataillons de copains), car les britanniques s'engageaient par groupes de collègues, d'étudiants, par clubs littéraires (ce fut le cas de J.R.R. Tolkien, auteur par la suite du "Seigneur des Anneaux", qui écrit la célèbre première phrase de Bilbo le Hobbit, "dans un trou vivait un hobbit"... au fond d'une tranchée de la Somme), par équipes de football ou de cricket... Ceci fut à l'origine de tragédies démographiques sans précédent dans la population britannique, lorsque des groupes entiers de garçons d'une même ville ou d'un même village furent décimés, notamment en juillet 1916 : 70 000 morts rien que le premier juillet... une journée qui hantera Churchill jusqu'à la fin de sa vie, et plus particulièrement à l'aube du 6 juin 1944 où l'idée que ses compatriotes puissent être massacrés par milliers sur les plages de Normandie le minait.
Et pour en revenir à Kitchener, il n'eut pas le temps de voir l'armée qu'il avait levée se faire trucider en juillet 1916 : il était mort trois mois plus tôt, le bateau qui le transportait ayant été coulé en mer.

Voilà. J'aime bien faire chier tout le monde avec ma guerre 14 ;o)

 finipe , le 26/02/2007 à 13h27

Ha ha ha ! :D

Bon, private joke mise à part, j'ai lu effectivement ces infos sur Kitchener en rédigeant ce billet, et ai notamment trouvé en quantités innombrables l'image de propagande utilisée sur l'affiche : ça m'a foutrement fait penser au "We need you" de l'oncle Sam...

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