Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

On a souvent besoin d'un plus petit que soi
Ta
gueule
Ces temps-ci, l'envie écrase silencieusement l'art. C'est ainsi que l'Histoire se distingue en courant vers le néant de l'imagination
Ploton ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

21 Décembre 2006 ::

« Statistériques »

:: Misanthropie

Tandis que vous lisez ces quelques mots insipides, il est probable que quelqu'un ou quelque chose répertorie quelque part certains de vos caractères personnels, de vos goûts, de vos souhaits. On vous classe, on vous décompose, on vous quantifie, on vous équationnise et on vous axiomifie. Ensuite, on établit une formule, puis on range chacun de vos morceaux dans de petites boîtes, avec les morceaux des autres gens identiques à vous. Le publicitaire statisticien, ainsi muni de ses outils que sont les sondages, les courbes de prévisions et les modèles chaotiques, désire ardemment savoir ce que vous voudriez acheter, pour qui vous voterez, si vous êtes locataire ou propriétaire, combien vous gagnez, quel âge vous avez, à quelles assurances vous souscrivez, si vous préférez les slips ou les caleçons, etc.

Non, ce n'est pas le synopsis de massacre à la tronçonneuse : ce serait plutôt "Terreur sur la courbe de Gauss" ou "Le tueur en série de la loi normale centrée réduite". Car, insidieusement, à chaque fois que vous laissez un tout petit morceau de vous quelque part, il est injecté dans la matrice publicitaire. L'on cherche à mieux vous cerner, mieux vous comprendre sans doute, et ce à une seule fin : vous PRÉVOIR.

Nous prévoir, c'est le rêve secret du vendeur. Il en rêve le soir tandis qu'il pratique un banal coït avec sa femme : c'est son ultime jouissance à lui, sa quête suprême, son Saint Graal. Si le vendeur peut nous prévoir, alors il peut nous proposer des choses à acheter avant même qu'on ait eu le temps de formuler un voeu. Mieux encore, il peut même nous aiguiller à notre insu vers le désir de possession de quelque chose qu'il veut nous vendre. Il "crée le besoin", et c'est ainsi qu'on se retrouve avec des tas de choses dont nous sommes persuadés avoir besoin, que nous désirons ardemment, et dont nous nous demandons quelques jours plus tard pourquoi nous l'avions acheté.

Et ceci est particulièrement valable, l'on s'en doute, à l'approche de ces périodes fastes où le contribuable moyen dépense des fortunes pour gâter son entourage. Aussi, chers lecteurs (oui, j'ai l'audace d'utiliser le pluriel), vous proposé-je céans une petite méthode pour embrouiller un peu tous ces fâcheux qui voudraient vous refiler le dernier éplucheur rotatif de brocolis ou la toute nouvelle crème anti ride du cul, et ce avant même que vous en ayez eu envie (et encore moins besoin).

Il suffit tout bonnement de répondre systématiquement à côté de la plaque : à chaque fois que l'on vous demande de remplir un questionnaire, qu'on vous interroge par téléphone ou qu'on vous sonde dans la rue, répondez n'importe quoi. Le venin de la désinformation se distillera de lui-même, car ces cuistres s'échangent et se revendent leurs fichiers.

Ainsi, si une enquêtrice du nom de Sophie Martin, à l'accent roumain à couper au couteau, vous demande si vous avez moins de 50 ans, répondez que vous en avez 64 et que vous êtes retraité. Si un sondeur du nom de François Martin (tous les sondeurs s'appellent Martin, c'est une grande famille), à l'accent marocain prononcé, vous demande si vous payez plus de 1500 euros d'impôts, répondez que vous êtes chômeur de longue durée.

C'est testé et approuvé par votre serviteur, et cela vous fera gagner de précieuses minutes de votre temps.




Note, à l'attention des sondeurs : j'ai 54 ans, j'habite Limoges, je suis célibataire, sans enfant, locataire. Je suis assureur, et passionné de conchyliculture en haute montagne.

finipe, 23h54 :: :: :: [8 provocations]