Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je vais te
ratiboiser
la colline !
Ça c'est
balot...
Aujourd'hui, Dieu écrase amoureusement la démocratie. Ainsi, la sagesse s'évade, immobile depuis la fin du post-modernisme
Thal l'errant ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

20 Juin 2007 ::

« L'affaire des Bacchanales - 2ème partie »

:: Histoire antique, -186

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. L'affaire des Bacchanales - 1ère partie
2. L'affaire des Bacchanales - 2ème partie



La réaction du sénat

Après avoir mis ses témoins en sécurité, le consul Postumius se rend au sénat pour révéler toute l'histoire. Il rapporte les détails fournis par Hipsala aux sénateurs, qui en conçoivent immédiatement les plus vives inquiétudes : la secte est assurément un moteur de sédition au coeur de la république, et chacun craint de devoir affronter la révélation d'un de leurs parents qui serait membre du culte de Bacchus... La sûreté publique étant en jeu, de rapides décisions sont prises : la sécurité des témoins est renforcée, la délation est encouragée parmi le peuple grâce à de substantielles primes, et les consuls sont chargés de mener une enquête serrée.

Toute la hiérarchie administrative romaine est mise à contribution pour stopper les Bacchanales : de nombreux gardes veillent au grain et empêchent toute réunion nocturne, les cultistes sont traqués et arrêtés dans Rome et dans tout le pays, chacun est prévenu de la sévérité des châtiments encourus pour qui ne livrerait pas les coupables. Enfin, le consul Postumius prononce un discours devant le peuple, l'exhortant tout d'abord à respecter les dieux dans toute l'orthodoxie du culte, puis fustigeant avec vigueur la corruption et la débauche de cette secte de Bacchus. Il souligne enfin très durement le danger qu'encourt la république à tolérer en son sein de tels comportements :

Citoyens, jamais discours ne fut plus à propos et n'eut plus besoin d'être précédé de cette invocation solennelle, qui vient de vous rappeler quels sont les dieux que vos ancêtres ont toujours honorés de leur adoration, de leurs hommages et de leurs prières, car ils n'ont jamais reconnu ces divinités étrangères, dont le culte infâme aveugle les esprits et les pousse par une sorte de délire fanatique dans un abîme de forfaits et de souillures. [...] D'abord ce sont en grande partie des femmes, et là fut la source du mal, puis des hommes efféminés, corrompus ou corrupteurs, fanatiques abrutis par les veilles, l'ivresse, le bruit des instruments et les cris nocturnes.

[...] Ce ne serait rien encore si leurs débauches n'avaient d'autre effet que de les énerver et de les couvrir d'une honte toute personnelle, si leurs bras restaient étrangers au crime et leur âme à la perfidie. Mais jamais la république ne fut attaquée d'un fléau plus terrible ni plus contagieux. Tous les excès du libertinage, tous les attentats commis dans ces dernières années sont sortis, sachez-le bien, de cet infâme repaire. Et les forfaits dont on a juré l'exécution ne se sont pas encore tous produits au grand jour. Les membres de cette association impie se bornent encore à des crimes particuliers, parce qu'ils ne sont pas assez forts pour écraser la république. Chaque jour le mal s'accroît et s'étend ; il a déjà fait trop de progrès pour se renfermer dans le cercle des violences particulières ; c'est à l'état tout entier qu'il veut s'attaquer.

La répression

L'agitation parcourt tout d'abord Rome, puis une véritable folie s'étend rapidement à tout le pays : partout, ce ne sont que dénonciations, arrestations, tentatives de fuite, interrogatoires... Des milliers de fugitifs qui tentaient de quitter la ville sont stoppés, de nombreux membres de la secte préfèrent se suicider plutôt que de révéler leur secret, et les grands prêtres sont vite connus : ils se nomment Marcus et Caius Atinius, Opicernius, et Minius Cerrinius. Tous quatre sont arrêtés, conduits devant les consuls, et exécutés sans pitié.

De très nombreux accusés se retrouvent ainsi emprisonnés : ceux qui ont juste prononcé le serment de Bacchus sans se livrer aux actes infâmes restent en prison, mais tous ceux — et ils sont bien plus nombreux ! — qui se sont livrés à la débauche connaissent un sort funeste : les femmes sont rendues à leur tuteur, père, mari ou frère pour être exécutées en privé par l'homme qui préside à leurs vies, et les hommes sont exécutés en place publique.

Enfin, tous les lieux de culte de la secte sont détruits, à l'exception des autels dédiés à Bacchus qui n'ont pas été le théâtre d'infamies. Les autorités romaines n'interdisent pas le culte de Bacchus pour autant, mais éditent cependant des règles très strictes quant à la tenue de nouvelles célébrations en l'honneur du dieu de l'ivresse et du vin : cent sénateurs devront désormais donner leur accord pour que l'on puisse tenir une cérémonie, à condition que celle-ci ne compte pas plus de cinq personnes, et sans aucun prêtre ni sacrificateur...

La répression apaisée, le sénat laisse à la hiérarchie romaine toute latitude pour récompenser les délateurs. Aebutius et Hipsala sont quant à eux très largement récompensés, autant en argent qu'en distinctions et privilèges.

Une réaction exagérée ?

La principale source de cette histoire est le récit très détaillé qu'en fait Tite-Live, dans le livre XXXIX de son Histoire Romaine. Toutefois, il semblerait que plusieurs motifs troubles aient poussé le sénat à réagir si violemment. Tout d'abord, l'essence même des cérémonies vouées à Bacchus, héritières du culte grec de Dionysos : vin, recherche de la transe, débauche, dépravation sexuelle, culte de l'intérêt personnel et non collectif, autant de pratiques qui convenaient mal à la rigueur morale des romains, qui jugeaient sans doute ce culte un peu trop oriental. En outre, ces cérémonies avaient pour fâcheuse habitude d'instaurer un ordre social totalement différent de celui que Rome connaissait, en particulier en faisant des femmes les principales prêtresses, dans un monde dominé par les hommes.

Puis, il ne faut pas oublier que la guerre couve toujours : lors de l'incroyable périple d'Hannibal sur le sol de la république, entre -217 et -204, l'Etrurie et la Campanie[1] en particulier s'étaient montrées assez peu pugnaces face à l'envahisseur, et avaient fait défaut à l'armée. Or, parmi les cultistes, deux des plus hauts responsables étaient originaires de ces régions, et le sénat a certainement craint une sédition toujours active dans ces contrées.

On estime aujourd'hui à environ 7000 le nombre de prisonniers qui furent concernés par la répression de la secte de Bacchus.

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1. Région située au sud de Rome, où se trouve aujourd'hui notamment Naples. La ville de Capoue qui en était le siège est connue pour ses « délices », que gouta Hannibal pendant longtemps, attendant des renforts qui ne vinrent finalement jamais. Voir à ce propos le billet sur la deuxième guerre punique.

finipe, 03h59 :: :: :: [2 remarques spirituelles]

:: COMMENTAIRES

 draleuq , le 21/06/2007 à 00h18

Ah ces romains ! Quelle classe ! Quels gentilshommes ! Quels modèles de courtoisie, d'humanisme et de galanterie...

 finipe , le 21/06/2007 à 22h16

Oui, il faisait décidément bon être une femme dans la Rome antique.

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