Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

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Somme toute, Dieu escalade amoureusement l'art. C'est pourquoi la piété filiale s'enrichit en atteignant le néant de l'indifférence
Cornille ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

17 Août 2010 ::

« Parents on se fout de votre gueule ! - 5 : des programmes 2008 (3) »

:: Professorat



Démontons donc ensemble les rouages de cette iniquité sans précédent.

p.25 : L’ambition retrouvée de l’école primaire passe par des programmes plus courts, plus clairs et plus ambitieux.

On passe déjà sur « l’ambition retrouvée de l’école primaire », ce qui laisse entendre qu’elle n’en avait plus aucune, ou plutôt que ses agents n’en avaient plus aucune. C’est bien étrange, en vérité, de lire ça, pour des gens comme moi qui ont entendu plusieurs inspecteurs leur dire qu’ils avaient « beaucoup d’ambition pour leurs élèves ». Mais passons…

« Plus clairs »… c’est-à-dire plus précis ?

Ils sont effectivement plus précis, dans le sens où ils fixent, en français et maths seulement toutefois, les compétences à acquérir année par année alors que les versions précédentes des programmes les fixaient cycle par cycle, il revenait alors aux enseignants de répartir les compétences sur le cycle (pour mémoire, il y a deux cycles à l’école primaire, le cycle 2 qui comprend CP et CE1, le cycle 3 qui comprend CE2, CM1 et CM2).

De même, les programmes précédents donnaient une marge de manœuvre (tranche horaire, par exemple de 5 h 00 à 5 h 30 de mathématiques par semaine) aux enseignants entre les différentes disciplines, alors que les nouveaux fixent les horaires hebdomadaires dans chaque discipline, ceux-ci pouvant toutefois être annualisés.

« Plus ambitieux » ?

A certains égards (à certains égards seulement, mais malheureusement pas les bons), ils sont effectivement plus ambitieux. Certaines compétences qui ne figuraient dans aucune des versions précédentes, figurent dans ceux-là.

Quelques exemples :
p.39 : L’élève (de CE1) est capable de multiplier, de diviser par 2 et 5 des nombres entiers inférieurs à 100 dans le cas où le quotient est exact ou entier.

p.46-47 : (CM) Identification de la proposition relative complément du nom, conjugaison du plus-que-parfait et du futur antérieur, identification des propositions coordonnées et juxtaposées, des propositions subordonnées.

Les enseignants - oui, vous savez, ces types étranges qu’on trouve « en première ligne » en train d’essayer d’appliquer ces foutus programmes auprès de vos têtes blondes – pensent que beaucoup de ces « nouveautés » sont inaccessibles à la grande majorité des élèves d’élémentaire.
En d’autres termes, sur 25 CE1, selon les endroits, entre 2 et 8 élèves pourront vraiment apprendre la division. Quant aux CM, si on arrive à ce qu’ils maîtrisent pleinement le présent, le futur et l’imparfait de l’indicatif, reconnaissent un sujet, un verbe et un complément, c’est déjà bien !
Vous savez ce que c’est, vous, une subordonnée relative ? Sérieusement, vous avez le souvenir que ça vous a servi à quelque chose, dans votre vie, scolaire ou autre, à part à ne pas avoir une bulle le jour de l’interro surprise ?

D’un autre côté, comme l’ont bien montré Ferry et Lang, on perd de l’ambition sur le temps quotidien passé à lire et à écrire, sur le volume d’écrit qu’un élève doit être capable de produire. Après, faut entendre gueuler les profs de collège : « leurs réponses sont à l’emporte-pièce, ils ne savent pas développer… »

En gros, retour à tout ce qu’il y a de plus chiant et d’inutile, et haro sur tout ce qui peut donner à l’individu plaisir et fierté du devoir accompli. C’est sûr, c’est comme ça qu’on va leur donner goût à l’école !

« Allégés/Recentrés sur les fondamentaux essentiels » ?

p.92 Comment les enseignants vont-ils pouvoir faire tenir un programme ambitieux dans un emploi du temps allégé ?
Les nouveaux programmes sont effectivement ambitieux, mais ils sont surtout beaucoup plus clairs, lisibles et précis que les précédents. Dorénavant, on peut savoir exactement ce que les enfants ont à apprendre chaque année en français et en mathématiques. Dans toutes les autres disciplines, les contenus à enseigner sont clairement indiqués, ce qui va faciliter le passage de 26 heures à 24 heures d’enseignement hebdomadaires pour tous les élèves. D’ailleurs, en français, mathématiques, EPS et langue vivante, les nouveaux horaires sont supérieurs ou égaux aux anciens horaires. Quant aux autres disciplines, elles disposent d’un horaire suffisant pour les contenus à enseigner et elles gagnent une plus grande souplesse d’organisation à travers un emploi du temps globalisé sur l’année scolaire.


Eh oui, dans la mesure où ces nouveaux programmes s’accompagnent d’une diminution horaire de 26 h. à 24 h. hebdomadaires, cela devait obligatoirement se traduire par un allègement.
Evidemment, à la lumière de l’objectif précédent, « plus ambitieux », on se demande bien comment ils vont réussir ce tour de passe-passe improbable, tant il reste bien difficile de croire que des programmes qui ajoutent de nouvelles exigences à celles déjà existantes « se recentrent sur l’essentiel ».

Comme on peut le constater, cette petite FAQ de la page 92 sent le plat préparé… Les grosses ficelles pour défendre l’indéfendable, pour répondre d’avance à l’objection évidente que toute personne dotée d’un minimum de bon sens va faire : comment faire plus dans moins ? (dans la même série, il y a eu aussi le « comment faire plus avec moins ? », au moment de justifier les suppressions de postes de profs alors que les effectifs d’élèves augmentent, mais ceci est une autre histoire)

Bien maladroite est la réponse, évidemment, mais comment pouvait-il en être autrement ?
En français, EPS , maths et langue vivante, les horaires sont supérieurs ou égaux aux précédents, nous dit-on. Bah oui, c’est ça l’allègement.
Quant aux autres disciplines, elles disposent d’un horaire suffisant pour les contenus à enseigner, ajoute-t-on. OK, alors je veux bien que le crétin qui a écrit ça vienne m’expliquer comment il se fait qu’à la fin de mon année de CM2, j’étais arrivé à la Révolution Française alors que j’aurais dû être à la Cinquième République !
Il aurait sûrement de bons conseils à me donner, comme changer de notion à chaque cours, que les élèves aient compris ou non, ou donner le reste à apprendre à la maison !


En illustration, voilà le brouillon du résultat de la réadaptation du programme d’histoire des anciens aux nouveaux programmes, faite par l’équipe du cycle 3 dans mon école. On a barré ce qui a été supprimé, rajouté au crayon ce qui a été mis en plus. Au premier coup d’œil, on peut faire le bilan !

p.57 : Pratique artistique et histoire des arts
p.61 : Instruction civique et morale


Et pan ! Deux disciplines supplémentaires ! Ça c’est de l’allègement !
Dorénavant, le programme d’arts visuels se double d’un programme d’histoire de l’art. Sans aucune augmentation d’horaire bien sûr, sinon c’est pas drôle.
Quant à l’Instruction Civique et Morale, qui a aussi fait couler beaucoup d’encre et nous y reviendrons, elle fait suite à l’éducation civique qui était transversale (c’est-à-dire qu’on était censé en faire un peu tous les jours à travers les autres activités), et devient une véritable discipline puisqu’elle fait l’objet d’un programme précis avec des notions à acquérir.

p.93 Avec le recentrage sur les fondamentaux, ne risque-t-on pas de négliger les autres matières comme l’histoire-géographie ?
Le recentrage de l’école élémentaire sur les apprentissages essentiels en français et en mathématiques est un des points forts de ces programmes. Vouloir que les enfants sachent mieux lire, écrire et calculer doit en effet redevenir la première priorité de l’école. Ces objectifs fondamentaux sont également présents dans les autres matières car on lit, on écrit et on peut calculer aussi en histoire ou en sciences. Quant aux autres disciplines, elles n’ont en rien été négligées dans ces programmes. Ainsi, au cycle des approfondissements, des enseignants disposent dorénavant de 234 heures sur trois ans pour traiter le programme d’histoire-géographie.


Et encore une petite FAQ fumeuse et stérile, rien que pour vos yeux, pour justifier l’injustifiable.
Vouloir que les enfants sachent mieux lire, écrire et calculer doit en effet redevenir la première priorité de l’école. C’est sûr qu’avant, notre priorité, c’était qu’ils apprennent à tricoter de la layette.
Il est pourtant évident, à condition d’avoir foutu un jour les pieds dans une classe ailleurs que derrière un pupitre, que plus les contenus sont lourds et doivent tenir dans un minimum de temps, plus la tentation est forte de filer des photocop au lieu de faire écrire les élèves.

Ainsi, au cycle des approfondissements, des enseignants disposent dorénavant de 234 heures sur trois ans pour traiter le programme d’histoire-géographie. Et on termine par un beau mensonge, puisque les 234 heures (qui ne suffiraient déjà pas pour faire le taf correctement) sont attribuées à l’histoire-géographie ET à l’instruction civique et morale.

p.93 Dans une semaine ramenée à 24 heures, l’apprentissage des langues étrangères ne risque-t-il pas d’être allégé ?
Les nouveaux programmes de l’école élémentaire prévoient 54 heures annuelles pour la langue vivante, soit l’équivalent d’une heure et demie par semaine, ce qui correspond exactement aux horaires précédents. En outre, comme l’apprentissage de la langue vivante va progressivement être généralisé à partir du CP, les élèves feront davantage de langue vivante à l’école élémentaire.


Puisqu’on vous dit que rien n’est allégé, bon sang, pourquoi vous vous inquiétez comme ça !? :)

Réactionnaires ?

Parmi les reproches qui sont faits régulièrement à ces programmes, peut-être en avez-vous eu vent dans les médias, il y a celui qu’ils retourneraient à des méthodes dépassées.
Ceci a été renforcé par le retour de « L’instruction civique et morale » :

p.37 : Ils découvrent les principes de la morale, qui peuvent être présentés sous forme de maximes illustrées et expliquées par le maître au cours de la journée : telles que « La liberté de l’un s’arrête là où commence celle d’autrui », « Ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu’il me fasse », etc. Ils prennent conscience des notions de droits et de devoirs.

Effectivement, la maxime de morale inscrite sur le tableau tous les matins porte une forte charge symbolique et émotionnelle pour beaucoup de gens. Mais après tout pourquoi pas, dans la mesure où nul ne peut contester ces maximes, en faire une de temps à autre. Personnellement, ça ne me dérange pas si ce n’est pas tous les jours.

Mais ce qu’on a reproché également à ces programmes, c’est de revenir à de l’apprentissage « mécanique », c’est-à-dire par cœur, sans trop se soucier de la compréhension.
C’est inexact. En tout cas pas directement exact…

p.95 La « liberté pédagogique » signifie-t-elle que les professeurs peuvent enseigner selon leur propre méthode ? Si les enseignants ont le choix de la méthode, seront-ils évalués d’une façon ou d’une autre ?
La liberté pédagogique ne concerne ni les objectifs à atteindre par les élèves, ni les contenus à enseigner par les professeurs. Ceux-ci sont fixés dans les programmes nationaux et s’imposent à tous les enseignants qui sont des fonctionnaires du service public d’éducation. En revanche, le maître devient pleinement responsable du choix des méthodes pédagogiques qu’il va utiliser dans sa classe pour aider ses élèves à maîtriser les objectifs prévus dans les programmes. Dorénavant, l’inspection des enseignants mettra l’accent sur les acquis des élèves et leur rythme de progression par rapport aux objectifs nationaux, en prenant en compte la situation de chaque classe et de chaque école.


On le voit, les programmes disent explicitement que les enseignants conservent pleinement leur liberté pédagogique, ce qui veut dire qu’ils restent libres des méthodes qu’ils emploient pour parvenir aux objectifs. En revanche, ils précisent que désormais ils seront « responsables de leurs méthodes ». Personnellement, j’aurais souhaité avoir un éclairage sur cette formulation.
Cela veut-il dire qu’avant nous n’étions pas responsables de nos méthodes ? Genre : ça marche pas… Bah ! C’est pas grave !... J’aurai essayé, au moins… Hop, on passe à une nouvelle notion !
Cela veut-il dire, et c’est ce que la fin semble suggérer, que désormais le bon prof sera celui dont les élèves réussissent le mieux ? Voilà qui ne va pas aider à trouver des profs pour les Zones d’Education Prioritaire !
Et après, ils vont s’étonner qu’on refuse solidairement de faire remonter au ministère les résultats des élèves à leurs foutues évaluations nationales !

Beaucoup plus grave encore, pour revenir à la polémique de « l’apprentissage mécanique » : ce que la plupart des enseignants ont vu entre les lignes, c’est que s’ils acceptent d’appliquer ces programmes dans l’intégralité de leurs contenus, plus lourds qu’avant avec deux heures hebdomadaires de moins, ils devront :

- Passer moins de temps sur chaque notion, et donc sacrifier l’indispensable phase de recherche, d’appropriation, revenir au système « leçon sur le livre » >>> « résumé su par cœur ».

- Recourir volontiers à la méthode profondément inégalitaire qui consiste à faire apprendre une notion à la maison, et à l’évaluer en classe en prenant à peine le temps d’y revenir. Ce serait avantager encore un peu plus qu’ils ne le sont déjà les élèves qui ont leurs parents derrière eux à la maison.

- Renoncer à des projets de classe ou à des projets inter classes qui apportent énormément de sens à l’école pour les élèves, et plus encore aux élèves en difficulté, mais qui sont « dévoreurs de temps », comme la chorale, les classes de découverte, les spectacles, les sorties culturelles…

En résumé, bien loin de diminuer l’échec scolaire, ce qui est un objectif clairement identifié du ministère, cela ne fera que l’aggraver.
Pour ceux qui ne sont pas en échec, les méthodes induites par ces PDM[1] conduiront à produire des robots qui appliquent des mécanismes, au lieu de produire des individus qui ont appris à réfléchir, à chercher, c'est-à-dire des individus intelligents.

Et en d’autres termes, ces programmes, bien qu’ils tentent habilement d’éviter de le dire, sont profondément réactionnaires. Et comme le disent Ferry et Lang, s’il suffisait d’être réactionnaire pour être génial, cela se saurait depuis longtemps !

(à suivre... mais vous inquiétez pas, c'est bientôt fini.
Il faut que j'allège pour revenir aux fondamentaux essentiels)


Copyrat draleuq 2009


_________________________________
1. Programmes De Merde, vous l'aviez compris !

draleuq, 10h53 :: :: :: [2 jubilations]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 11/01/2011 à 15h09

Tu as bien fait de commenter la première partie de ce sujet : ça m'a donné l'occasion de le lire !

Il y a peu, j'ai discuté avec une future professeure des écoles (dénomination débile) qui subit actuellement le tout nouveau Master d'éducation et enseignement primaire sur le sujet... Je livre à ta réflexion les trois sujets suivants :

- Actuellement étudiant en histoire, je me suis réjoui de voir que la chronologie était enfin de retour. Je ne sais pas si les programmes antérieurs faisait l'impasse dessus, mais, à titre personnel (et je ne suis pas le seul, si j'en juge par ce que m'ont dit d'autres personnes de ma connaissance), lorsque j'étais à l'école primaire, elle était inexistante. Il m'a fallu attendre le collège (les cours de biologie, où la prof avait dans sa classe une looooongue phrise chronologique représentant tous les âges depuis la naissance de la vie sur Terre) pour prendre la mesure du temps qui sépare préhistoire et antiquité, par exemple. Quant aux événements fondateurs de notre nation (invasion/création des Gaules par César, onction de Clovis, couronnement de Charlemagne, élection de Huques Capet, Révolution, etc.), ils étaient indistinctement fondus dans un fouillis où rien n'était sûr. Pour l'anecdote, je me rappelle qu'en troisième (on a généralement 14 ou 15 ans, en troisième), mon professeur d'histoire avait voulu nous piéger un jour en glissant peu subtilement des aberrations dans son cours. Ca avait super bien marché, et je n'ai moi-même eu des doutes que lorsqu'il avait évoqué la contemporanéité de Napoléon et Jeanne d'Arc.

- Pour ce qui est du langage français, longtemps on m'a assené qu'il était très irrégulier et très difficile à apprendre, que j'étais bien chanceux de le parler nativement car les petits anglais et allemands devaient se le fader, etc. Déjà, je ne crois pas que, malheureusement, la langue de Molière soit particulièrement prisée des petits allemands et anglais. Ensuite et surtout, ce n'est qu'après avoir rencontré à plusieurs reprises des linguistes (français et étrangers) et des professeurs de français enseignants dans des universités américaines que j'ai apprit qu'en réalité, par rapport à une langue comme l'anglais, le français était de structure très simple et régulière. Seulement, les clés de compréhension du langage ne sont pas toutes entre nos mains, on ne nous en livre qu'une partie, le reste, l'inexpliqué, étant rejeté dans l'immense champ des "exceptions" (qui deviennent du coup majoritaire sur la règle, il n'est que de voir le fameux "troisième groupe" des verbes). A partir de là, j'ai conclu sur l'hypocrisie ambiante : soit nous faisons le choix de restreindre volontairement les formes du langage aux seules règles effectivement apprises par l'immense majorité de la population (ce que réclame l'Académie Française depuis les années 1980), soit nous faisons le choix d'intégrer dans les enseignements élémentaires du langage les règles actuellement ignorées qui régissent les formes de 90% des "exceptions" de la langue (ce qu'un ami linguiste m'a désigné une fois sous le vocable "exceptions régulières", expression étrange s'il en est).

- Enfin, le troisième point important soulevé lors de cette mémorable discussion fut celui de la formation des futurs "professeurs des écoles". N'étant pas sur place pour juger, je ne peux qu'apporter le témoignage de l'amie avec qui j'ai eu cette discussion : "une nouvelle formation inadaptée où on se fou de notre gueule de A à Z, une promo avec un moral à zéro, des stages pratiques qui commencent bientôt mais sans conventions, sans possibilités de pratiquer et parfois même sans école...", "un master spécialisé dans le général, par définition ça pouvait que merder", "on a aussi récupéré le pire des profs de fac qui n'étaient pas en IUFM"... Bref, tout ça n'augure pas un avenir très rose pour la profession !

Bon, j'espère que ce message n'aura pas été trop long et que ces sujets te livreront réflexion.

 draleuq , le 18/01/2011 à 11h30

Comme tu le vois, il m'aura fallu quelques jours avant de trouver du temps pour répondre à tes très intéressantes questions. Mes réponses seront forcément partielles, car chacune de ces questions mériterait à elle seule une véritable dissertation !

- Sur la chronologie : moi non plus je n'ai jamais vu de chronologie à l'école, mais c'était à l'époque de l' "éveil", donc je pense bien avant toi quand même, car il y a un bout de temps que je n'ai plus le bonheur d'être étudiant. En vérité, la chronologie est au programme depuis que j'enseigne, c'est-à-dire 1996, et si on se donne la peine de chercher je pense qu'elle a été remise au goût du jour depuis que l'histoire-géographie en tant que discipline a été remise au goût du jour à partir du CE2, c'est à dire depuis la loi d'orientation de 1989. Mais il est clair que l'importance de la chronologie a été sans cesse réaffirmée depuis, dans les programmes 95, 98, 2002 et 2005 (je passe sous silence ceux de 2008, si tu as lu tout le sujet tu sais pourquoi ;) Maintenant il est clair que ça dépend aussi beaucoup des écoles et surtout des instits qui y sont, de leur aptitude et de leur volonté à mettre cette frise en place. Dans la mienne, on a réussi à mettre en place une vraie politique de cycle en histoire, avec construction progressive et spiralaire (j'aime beaucoup ce mot :) de la frise chronologique. Je te mentirais en te disant que ça s'est fait sans déverser des litres de sueur au départ, mais maintenant ça roule, à part le fait qu'il est malheureusement impossible de boucler correctement le programme dans le temps imparti, et que c'est malheureusement souvent l'histoire contemporaine qui en fait les frais, vu que fort logiquement on fait le programme dans l'ordre chronologique.

Pour plus de détails sur ce sujet, cf l'article sur "l'histoire de l'histoire à l'école" que ça fait deux fois que je dis que je vais republier ici, donc du coup c'est décidé, ce sera mon prochain post.

- Sur le français, alors c'est là que ma réponse va être la plus partielle, car il y aurait des pages et des pages à noircir, et là aussi j'ai prévu de le faire ici un jour... dans un délai que je ne peux pas préciser avec certitude. Bien évidemment, je suis et je resterai très prudent sur le sujet, et je me limiterai à des impressions qui sont le fruit d'observations pragmatiques recueillies sur le terrain. Autrement dit, bien loin de moi la prétention d'être linguiste.
Pour l'heure, je me contenterai de te répondre que je ne crois pas, moi, que le français soit facile. Je ne cherche pas à justifier pour autant les légions de fautes d'orthographe et de syntaxe commises chaque jour même au plus haut niveau (au contraire, ça m'horripile), mais franchement le français est difficile, et pas seulement à cause de ses exceptions, et pour moi ce sont l'un des facteurs, je dis bien l'UN des facteurs qui expliquent sa désaffection chez les étrangers, mais aussi chez les francophones eux-mêmes.
Il y a quelques années, une conseillère pédagogique de ma connaissance m'avait dit quelque chose qui m'avait marqué, et même si je n'ai malheureusement pas noté ses sources, je suis convaincu de la véracité de ses dires, car franchement c'est une super bosseuse, toujours au fait des dernières recherches pédagogiques, linguistiques, ... Elle a voué toute sa vie à son boulot et je suis bien loin de cette prétention.
Elle m'avait dit, donc, qu'il existait depuis déjà un moment une sorte d'échelle étalonnée qui permet de savoir quand deux élèves en sont au même point, au même palier de compétence dans leur langue natale respective. Et elle m'avait dit que de toutes les langues occidentales, le français avait été mesuré, et de loin, comme le langage le plus difficile à acquérir par les français eux-mêmes. Elle m'avait cité l'exemple comparatif de l'espagnol (car, je pense, l'espagnol devait se trouver à l'autre bout de l'échelle), et m'avait dit que les petits espagnols mettaient 3 ANS de moins à atteindre ce fameux palier en espagnol, que les petits français à l'atteindre en français. 3 ans... c'est colossal.

- Sur la formation des enseignants : là encore, des tonnes de choses à dire, et nous sommes en première ligne, ayant appris fin août que deux "PES" (professeurs des écoles stagiaires, c'est la nouvelle appellation) arrivaient chez nous début septembre et avaient jusqu'à la Toussaint pour apprendre le boulot et être envoyées sur le terrain dans des conditions sordides... C'est clair que si elels tiennent le coup, elles sauront qu'elles sont faites pour ça !
Sur le fond, beaucoup de profs, dont je suis, pensent que ce n'est pas un mal effectivement que les stagiaires fassent plus de terrain et un peu moins de théorie. Après 15 ans, je fais le constat que l'essentiel du taf s'apprend sur le tas, et je garde encore le souvenir cuisant de certains cours d'IUFM chiants à mourir où un prof de français universitaire raté dans la pente descendante passait son temps à se caresser le nombril en nous faisant lire ses propres articles sortis dans une obscure revue pédagogique datée de 20 ans.
Sur la forme maintenant, et là tu retrouves une constante maintes fois dénoncée dans cet article, c'est que cette réforme s'est faite en deux mois, à grands coups de barre à mine, sans aucune concertation préalable, et pas du tout dans l'intérêt des jeunes profs, mais seulement dans une logique comptable, pour économiser des postes (on manque de remplaçants ? Parfait : que tous les profs stagiaires deviennent remplaçants, comme ça on n'en manquera jamais plus !) Résultat : des jeunes stagiaires envoyés en première ligne dans les classes chaudes, dont les équipes ne veulent pas, dont les parents ne veulent pas, et qui doivent s'imposer quand même. Si on ne réussit pas à les dégoûter, ce sera un miracle. Autre résultat : des remplaçants professionnels et fiables, des solides gaillards qui se retrouvent au chômage technique, à qui on retire des classes qu'ils avaient su tenir à merveille, où ils avaient la confiance des parents et des collègues, pour les mettre à faire de la saisie, des photocopies, rien, pour les envoyer remplacer pour une demi-heure une instit qui devait juste s'absenter pour accompagner sa fille faire une radio à l'hôpital (c'est du vécu, et ce n'est qu'un exemple). Résultat des courses : tous ces solides gaillards, adaptables, malléables à merci, qui répondaient toujours présents quand t'avais une galère (parce que c'est un vrai métier d'être un bon remplaçant, moi par exemple j'en voudrais pas !), eh bien ils sont ECOEURES, et ils ne pensent plus pour la plupart qu'à attendre les mutations pour redemander une classe, en dépit de leurs indemnités de déplacement.

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