Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Patience et longueur de temps
C'est pas faux
De plus en plus, l'esprit noie inévitablement son destin. Ainsi, la sagesse s'enrichit, se précipitant vers les cieux du rationalisme
Jean-Sol Partre ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

24 Février 2008 ::

« La dépêche d'Ems »

:: Histoire contemporaine, 1870

L'ombre des Habsbourgs

Le 30 septembre 1868, la reine d'Espagne Isabelle II s'exile en France, contrainte par le putsch du général Joan Prim . Même si elle n'abdique pas immédiatement, le trône est vacant, et dès lors un conflit de succession émerge[1]. Parmi les prétendants au trône espagnol, on trouve en particulier le prince Leopold de Hohenzollern-Sigmaringen, dont la candidature a été appuyée sur la requête du chancelier prusse Otto von Bismarck, le 26 avril 1869. En France, l'émoi est intense : on commence à évoquer le spectre de l'unité dynastique des Habsbourgs, qui régnaient sur l'Espagne et le Saint Empire germanique, et avec qui la France avait eu tant de démêlés depuis Charles Quint jusqu'au début du XVIIIème siècle.

Napoléon III et son gouvernement réagissent vivement, et en février 1870, des négociations sont entamées avec Guillaume Ier, roi de Prusse[2] : ce dernier, pacifiste tout comme Napoléon III, retire rapidement la candidature du prince Leopold, et tout rentre dans l'ordre. Mais Bismarck tient à son idée, et veut pousser la France à la faute sans passer pour l'agresseur : le 2 juillet, il relance la candidature du prince Leopold, et la rend publique. Dès le lendemain, la nouvelle fait scandale en France, qui baigne dans une atmosphère particulièrement belliqueuse.


Napoléon III et Guillaume Ier de Prusse

La manipulation de Bismarck

Le 9 juillet, le comte Vincent Benedetti, ambassadeur de France en Allemagne, se rend à Ems, où Guillaume Ier profite d'une cure thermale : l'ambassadeur français prie le roi de Prusse de convaincre son parent Leopold de renoncer au trône d'Espagne, pour éviter une guerre. En même temps, le père du prince Leopold conjure son fils de renoncer : c'est chose faite le 12 juillet, celui-ci refuse le trône espagnol, et chacun se croit tiré d'affaire. Napoléon III et Guillaume Ier respirent, la guerre est évitée.

Mais en France, le duc de Gramont, ministre des Affaires Etrangères, commet une lourde maladresse : de son propre chef, et sans en avertir qui que ce soit, il demande à Benedetti d'exiger de la part de Guillaume Ier la garantie que cette renonciation de Leopold est bien réelle. le 13 juillet, à Ems, Benedetti redemande donc à voir le roi de Prusse ; celui-ci a entre temps reçu une lettre de la main de Leopold confirmant sa renonciation. Guillaume Ier envoie donc son aide de camp prévenir l'ambassadeur Benedetti qu'il « considère l'affaire comme liquidée ».

A Berlin, Bismarck reçoit un télégramme lui relatant l'affaire : la visite de l'ambassadeur de France, la lettre de Leopold à Guillaume Ier, et la fin de l'affaire selon ce dernier. Déçu par cette fin prématurée, le chancelier prussien rédige une dépêche résumant les faits, sans en changer le déroulement, mais en faisant en sorte que toute l'affaire apparaisse comme humiliante, autant pour la Prusse que pour la France :

Ems, 13 juillet 1870.

Après que les nouvelles de la renonciation du prince héritier de Hohenzollern aient été communiquées au gouvernement impérial français par le gouvernement royal espagnol, l'ambassadeur de France a exigé encore de Sa Majesté, à Ems, l'autorisation de télégraphier à Paris que Sa Majesté le roi s'engageait, pour tout l'avenir, à ne plus jamais donner son autorisation, si les Hohenzollern devaient à nouveau poser leur candidature.

Là-dessus, Sa Majesté le roi a refusé de recevoir encore une fois l'ambassadeur et lui a fait dire par l'aide de camp de service que Sa Majesté n'avait plus rien à communiquer à l'ambassadeur.

En France, après la diffusion du communiqué par une agence de presse[3], c'est l'explosion : on dit que le roi de Prusse a insulté l'ambassadeur de France et tous ses concitoyens à travers lui. La presse se déchaîne, et chauffe à blanc une opinion publique déjà passablement excitée : partout, ce ne sont que diatribes, insultes, provocations... La surenchère aboutit inéluctablement là où Bismarck voulait que la France arrive : le 19 juillet 1870, à cause principalement de tribuns va-t-en-guerre et d'une presse incroyablement belliciste, la guerre est déclarée à la Prusse.

La défaite de la France sera très lourde, et l'action de Bismarck va changer durablement la face de l'Europe.


Otto Von Bismarck



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1. Encore une fois ! Isabelle II était d'ailleurs descendante de Philippe V d'Espagne (lui-même petit-fils de Louis XIV), dont j'ai déjà parlé à propos des conspirations de la Régence de Philippe d'Orléans.

2. Guillaume Ier de Prusse avait des relations particulièrement houleuses avec Bismarck, dont le caractère pugnace et l'arrivée au poste de chancelier de façon presque forcée ne plaisaient guère au monarque. Parmi les citations célèbres de Bismarck, on trouve notamment : « Plus j'apprends à connaître l'homme, et plus j'aime les chiens », et le fameux « La force prime le droit ».

3. Il semblerait que l'agence elle-même, par une traduction imprécise et certaines phrases tronquées (involontairement ou pas ?), ait contribué à rendre la dépêche encore plus provocatrice.

finipe, 02h19 :: :: :: [5 confessions honteuses]

:: COMMENTAIRES

 Viou , le 24/02/2008 à 12h21

ha, voilà qui éclaire cette nébuleuse "ems" que je retrouve souvent dans mes mots croisés :p

 finipe , le 24/02/2008 à 14h15

Certes :)

 Jarnac, le 24/02/2008 à 15h20

Plutôt classique comme interprétation des faits.

 finipe , le 24/02/2008 à 16h20

C'est vrai que la forme condensée d'un billet n'incite pas à la précision (contexte international, alliances avec la Russie et l'Angleterre, impérialisme de Bismarck, ambiance de fin de règne pour un Napoléon III malade, etc.). Si tu as des précisions à apporter, elles sont évidemment les bienvenues !

 Jarnac, le 26/02/2008 à 10h28

Des précisions non, les faits sont assez bien présentés.
Mais les historiens ont des interprétations différentes sur cet événement, certains pensent que Bismarck était un nationaliste et voulais la guerre, d’autre qu’il essayait d’unifier l’Allemagne tout en évitant la guerre et que ce sont les français qui ont déclenchée la guerre à cause de leur agressivité et catera et catera.
Personnellement j’ai du mal a croire que Bismarck était le cerveau derrière l’unification allemande je pense que c’est plutôt une série de camouflet diplomatique (car il avait l’affaire du Luxembourg, de l’alliance avec le sud et de Biarritz avant la dépêche d’Ems) provoqué par Bismarck qui a enclenché une guerre (que Bismarck ne voulais pas forcement).

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