Splendeurs
Les Phéniciens étaient les habitants de l'Antique Phénicie (territoire actuel du Liban, à peu de choses près). Ce pays était organisé en "cités-état" dont les plus célèbres étaient Tyr, Sidon et Byblos. Tyr s'imposa cependant progressivement comme la capitale.
Peuple de commerçants et de navigateurs, ils se firent connaître à partir de 3000 avant J.C. en fondant des comptoirs commerciaux sur toutes les côtes méditérranéennes : à Chypre, en Sicile, en Sardaigne, en Libye, à Malte (dont le nom actuel vient du mot phénicien "malat" qui signifie "lieu sûr"... Les luzzus, bateaux du port maltais de Marsaxlokk, conservent dans leur apparence la tradition phénicienne).
Ces comptoirs avaient une vocation commerciale, et non coloniale. Il existe en fait un seul exemple de colonie phénicienne, c'est la célèbre Carthage, fondée en 814 avant Jésus-Christ.
Les yeux peints sur les "luzzus", bateaux de pêche traditionnels au port maltais de Marsaxlokk,
sont un héritage des phéniciens (photo draleuq)
Avec leurs "vaisseaux noirs" (ils avaient cette couleur car les bougres maîtrisaient déjà le calfatage des navires au bitume), les Phéniciens remontaient les fleuves comme ils traversaient les mers, s'orientant grâce à la Petite Ourse que les Grecs appelèrent d'ailleurs "la Phénicienne."
Ce furent les Grecs qui les appelèrent Phéniciens car c'est grâce à eux qu'ils connurent la pourpre ("phoinix" en Grec). Les historiens leur attribuent également rien moins que l'invention de l'alphabet, et certains autres l'invention du verre, bien qu'il est plus probable qu'ils ne furent que ceux qui le diffusèrent dans tout le bassin méditerranéen.
La Phénicie résista à de multiples attaques : les Peuples de la mer, les Athéniens, les Assyriens, les Babyloniens de Nabuchodonosor, les Perses de Darius III. Elle succomba finalement à l'invasion d'Alexandre le Grand, en 332 avant J.C.
Mais Carthage, indépendante de la mère patrie depuis très longtemps (en fait pratiquement depuis son origine), continua à prospérer, jusqu'aux trois guerres puniques contre Rome qui finirent par entraîner sa chute
[1].
A noter que le terme "punique" vient du fait que les Romains appelaient les Carthaginois "punicii", dérivé du Grec "phoinix". Leurs origines phéniciennes étaient donc bien loin d'être ignorées.
Ruines de Carthage rattrapées par la végétation (photo draleuq)
Masques Phéniciens retrouvés à Carthage,
exposés au musée National tunisien du Bardo (photo draleuq)
Infanticides
Parmi les innombrables coutumes et rites que les Carthaginois avaient conservé de leurs ancêtres Phéniciens, il y avait le très décrié sacrifice d'enfants.
Ce sacrifice, appelé moloch, consistait à ce que chaque famille jette son premier né dans un brasier pour s'attirer les faveurs du Dieu Baal. Il est parfois dit à tort, que Moloch est le Dieu au nom duquel le sacrifice est fait, alors que c'est bien le nom du sacrifice lui-même.
Baal donna lieu à de nombreux dérivés, parmi lesquels Baal-Bek (ville phénicienne devenue ensuite Héliopolis sous les Romains, aujourd'hui située au Liban et classée patrimoine mondial de l'UNESCO, tout comme Tyr et Byblos) , Baal-Zebbub (qui a dérivé ensuite vers Belzébuth), et Baal-Hammon, qui était précisément adoré à Carthage comme Dieu des moissons et des récoltes, avec sa parèdre, une Déesse femme nommée Tanit, bien que Baal-Hammon fût lui-même hermaphrodite.
On voit bien que ce rite barbare a très tôt entraîné la diabolisation, c'est le cas de le dire, de la religion de Baal et de ses dérivés, par les juifs tout d'abord (Belzébuth, Baal et Moloch sont trois termes désignant des faux-dieux ou des démons dans la tradition hébraïque et dans la Torah), puis par les Romains qui s'en servirent notamment, entre autres prétextes, pour justifier la Troisième Guerre Punique, guerre d'agression destinée à raser Carthage.
"Le sacrifice d'Elie et le sacrifice des Prêtres de Baal"
(vitrail du début du XVIIème siècle, cloître de l'Eglise St Etienne du Mont à Paris - photo draleuq)
Ils prouvèrent pourtant, notamment par la suite avec les chrétiens, qu'ils n'avaient pas de leçons à donner en matière de barbarie.
La pratique de l'infanticide est cependant incontestable dans la grande cité de Carthage, car on en a retrouvé des traces archéologiques convaincantes.
Il semble cependant que les derniers temps, les couples Carthaginois préféraient substituer à leur propre enfant, pour le moloch, un jeune esclave qu'ils adoptaient pour l'occasion, avant de donner naissance à leur premier enfant. Un détournement du rite religieux dû sans aucun doute à la montée du sentiment d'amour parental.
A gauche : urnes ayant contenu les cendres d'enfants sacrifiés (ruines de Carthage - photo draleuq)
A droite : armure punique représentant le Dieu Baal'Hammon (Musée de Carthage)
______________________________
1. Voir ici les articles de finipe pour un topo complet sur les trois guerres puniques
:: COMMENTAIRES
Lohen, le 10/02/2011 à 22h33
Il semblerait si Flaubert a largement contribué à accréditer la thèse des sacrifices d'enfants dans un cadre religieux, les dernières recherches "sérieuses" sur le sujet sont beaucoup plus nuancées et invalident cette thèse.
Je n'ai malheureusement pas réussi à retrouver la source (je sais, c'est difficilement une excuse acceptable en gage de crédibilité ;)).
Ceci dit, pour ceux que le sujet intéresse, une visite en Tunisie étant sans doute déplacée vue l'actualité, je conseille vivement la Lybie, malgré l'image et la réputation qui est la sienne : plusieurs cités antiques avec des vestiges puniques, grecs, romains et byzantins sont à visiter, ça vaut vraiment le détour.
draleuq , le 22/02/2011 à 10h45
Tu as raison Lohen, la Tunisie c'est vraiment trop dangereux donc je vais suivre ton conseil et aller faire un tour en Libye, le moment me semble tout à fait opportun hu hu hu.
Lohen, le 26/02/2011 à 15h37
Ben... c'est sûr que du coup ça a l'air un peu couillon étant donné l'actualité... Comme quoi pour être sûr de ne pas dire de connerie, il faut vraiment ne rien dire du tout :)
TyRex, le 27/09/2011 à 15h32
Très intéressant comme article... j'ai juste une question :
Etait-ce propre à leur croyance religieuse ou était-ce plutôt une
histoire de culture ?
Les babyloniens avaient la même religion tout comme les assyriens mais je me
souviens pas avoir lu ou vu quoique ce soit qui parle d'infanticide.
draleuq , le 27/09/2011 à 23h08
Bien qu'apparemment ce soit contesté, tout ce que j'en ai lu rapporte que cette coutume était purement religieuse : pour s'attirer les bonnes grâces des dieux. Par contre, je n'ai trouvé aucun dénominateur commun entre la religion Carthaginoise et la religion assyro-babylonienne (qui a priori ne pratiquait que des sacrifices d'animaux). Des divinités assyro babyloniennes ont éventuellement pu se mêler aux divinités phéniciennes puisque Babylone a en partie asservi la Phénicie (au VIIème avant JC a priori), mais comme nous l'avons vu, la création de Carthage est antérieure à cette invasion, et Carthage s'est pratiquement immédiatement affranchie de la tutelle phénicienne, développant sa propre civilisation et sa propre version de la religion phénicienne d'origine.
TyRex, le 28/09/2011 à 10h46
J'aime beaucoup cette période de l’histoire... elle est emplit de mystères.
Je pense que tu as raison, bien qu’il existe des similarités entre le culte de Baal des carthaginois et celui de Baal-Marduk des mésopotamiens, mais il semblerait que ce soit un syncrétisme religieux.
Cependant, Baal Hammon renverrait aussi à Moloch... seulement Moloch semble issu de la tradition kabbalistique juive et aurait été un dieu des Ammonites, peuple de Manassé, une des douze tribus d’Israël.
Et c'est là que tout ce complique... comment ce syncrétisme a pu avoir lieu ?
draleuq , le 29/09/2011 à 10h09
Comme je le dis dans l'article, les seules infos que j'ai trouvées sur (le) Moloch sont les suivantes : on lit souvent que Moloch était le Dieu auquel les Phéniciens/Carthaginois sacrifiaient des enfants. Ceci est erroné, le Moloch (avec un article défini, donc) était le nom du sacrifice lui-même. Puis, plus tard, on retrouve le terme "Moloch" dans l'Ancien Testament, qui fait, parmi d'autres, référence à un "faux-Dieu", par opposition au Dieu unique. C'est d'ailleurs sans doute l'Ancien testament qui a donné naissance à l'erreur sus-décrite.
Plus généralement, tu poses à la fin de ton commentaire un problème récurrent de l'Histoire de l'Antiquité : cette période est très lointaine, de nombreux vestiges et documents ont irrémédiablement disparu avant même que les hommes ne commencent à se préoccuper de leur Histoire, nous sommes confrontés à des données lacunaires, et il nous faut accepter l'idée que certaines d'entre elles resteront maintenant lacunaires pour toujours... Parfois, on peut émettre des suppositions à partir du contexte, d'autres données connues, de la logique ou du bon sens, mais ces suppositions resteront des suppositions, et nous ne sommes dès lors plus vraiment dans le champ de l'Histoire.
Mais je crois que ta première phrase résume à elle seule pourquoi cette période passionne tant de gens (les articles sur l'antiquité ont toujours été parmi les plus consultés sur ce blog) : "J'aime beaucoup cette période de l'histoire, elle est emplie de mystères."
Dans une moindre mesure, les historiens médiévaux (surtout du haut moyen-âge) rencontrent aussi parfois ces difficultés.