Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Comme disait Joffre, je les grignote !
Hips !
Burp...
De temps en temps, l'esprit embrasse parfaitement son destin. Ce faisant, la justice s'échappe en courant vers la fin des sens
Jean-Sol Partre ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

22 Mai 2010 ::

« Les malfaisants - 2ème partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte trois :
1. Les malfaisants - 1ère partie
2. Les malfaisants - 2ème partie
3. Les malfaisants - 3ème partie


Un vilain petit décapsuleur canard

Tout près de chez moi vivait une fille de mon âge qui était dans ma classe. Cette fille avait une particularité qui sautait aux yeux : elle était défigurée par une malformation de naissance, contre laquelle la chirurgie ne pouvait pour ainsi dire rien.

Je ne me souviens plus de l’effet que ça m’a fait la première fois que je l’ai vue, mais ce dont je me souviens, c’est qu’une fois habitué à elle, je n’y prenais plus trop garde. C’est, je crois, l’avantage des enfants par rapport aux adultes, ils ne restent pas fixés sur ce genre de choses. Ils n’en sont pas pour autant tendres entre eux, comme on le dit souvent. Et cette année-là, Solène était très rapidement devenue la risée de toute la classe, tout du moins de la jeune bande de mâles dominants qui la hantaient de leur bêtise déjà bien formée, même à neuf ans.

Ils s’étaient d’abord mis en cercle tout autour d’elle, à la récréation, pour se gausser bruyamment. Puis, quand c’était devenu trop voyant, ils se contentaient de faire en sorte de passer à côté d’elle et de lui lâcher un petit compliment à voix basse, l’air de rien. Je me souviens en particulier de « p’tit lapin », et surtout de « décapsuleur », en référence à son maxillaire supérieur trop avancé.


Le Vilain Petit Canard
(dessin animé de Evelyn Fauché / V. Gontcharov)


- Encore une famille de plus, comme si nous n'étions pas déjà assez. Et il y en a un vraiment affreux, celui-là nous n'en voulons pas.
Une cane se précipita sur lui et le mordit au cou. (…)
- Il est trop grand et mal venu. Il a besoin d'être rossé.
- Elle a de beaux enfants, cette mère ! dit la vieille cane au chiffon rouge, tous beaux, à part celui-là : il n'est guère réussi. Si on pouvait seulement recommencer les enfants ratés ! (…)
Cependant, le pauvre caneton, trop grand, trop laid, était la risée de tous. Les canards et même les poules le bousculaient. Le dindon - né avec des éperons - et qui se croyait un empereur, gonflait ses plumes comme des voiles. Il se précipitait sur lui en poussant des glouglous de colère. Le pauvre caneton ne savait où se fourrer. La fille de basse-cour lui donnait des coups de pied. Ses frères et soeurs, eux-mêmes, lui criaient :
- Si seulement le chat pouvait te prendre, phénomène !


Andersen (Le Vilain Petit Canard)


Moi, je ne participais pas à ces lynchages, qui me dégoûtaient. J’aurais voulu prendre sa défense, et leur dire à quel point ils étaient cons. Mais seulement voilà, sans être moi-même la risée de la classe, j’étais un grand truc pas bien dans sa peau, la victime parfaite pour cette bande d’abrutis, et il m’arrivait régulièrement, sans leur avoir fait quoi que ce soit, d’être moi-même la cible d’un harcèlement pénible, genre :
- "On te pète la gueule à la récré !
- Ah bon ? Qu’est-ce que je vous ai fait ?
- Rien, mais on a envie."

Bref, quand ils me foutaient la paix, je me faisais oublier dans un coin de la cour et les évitais comme la peste. Et Solène était abandonnée à elle-même, les filles ne s’occupant pas d’elle. Je revenais souvent de l’école avec elle et on discutait comme deux gamins normaux, même chose en y retournant. Mais en arrivant, nos chemins se séparaient. Elle ne m’a jamais reproché quoi que ce soit. Aujourd’hui encore, je ne suis pas fier de toute cette lâcheté.

Solène a enduré ce calvaire longtemps, encaissant sans broncher. Madame Morue n’a rien vu bien sûr, ou fait semblant de ne rien voir. Si j’avais eu une élève comme ça, moi, j’y aurais été très attentif, j’aurais surveillé discrètement, mais de très près, tout ce qui se passait autour d’elle. Et en privé, j’aurais poussé les élèves les plus intelligents de la classe à se rapprocher d’elle. Mais Madame Morue était trop occupée à vérifier sa mise en plis du bout de ses doigts crochus et manucurés.

Alors un jour, c’en a été trop pour Solène. Elle s’est effondrée, en longs sanglots déchirants, inconsolable. Là quand même, la morue a bien dû réagir. Elle a fait la morale à toute la classe :
- « Pourquoi vous ne voulez pas jouer avec elle ? »

C’était là la seule explication que Solène avait osé lui donner, entre deux sanglots : « personne ne veut jouer avec moi ». Et elle y avait cru, cette sinistre conne.


Deux barges dans une piscine

Je me souviens, cette année-là, c’était vraiment la Bérézina pédagogique. On allait à la sacro-sainte piscine une fois par semaine, et le maître nageur était un psychopathe de sinistre réputation. Petit et trapu, sa tête de pourceau rentrée dans ses épaules de nageur est-allemand, les encouragements et le sourire lui étaient inconnus, il leur préférait de loin les qualificatifs dégradants et la méthode musclée.

Mais de nous tous, c’est encore une fois la pauvre Solène qui fit le plus les frais de ce malade. Lorsqu’il l’avait vue débarquer avec ses difformités, et comme en plus elle était aussi à l’aise dans l’eau qu’un caillou, une lueur vicieuse s’était allumée au fond de son œil de salopard, et il n’avait pas tardé à jeter son dévolu sur elle, tel un requin affamé, ou en l’occurrence, tel le peuple de Paris sur Quasimodo. Et dans cette hypothèse, Madame Morue aurait été Frolo, impassible devant les humiliations infligées à sa « pouliche ».


Les bourreaux de Louis XI torturent Quasimodo,
dans "The hunchback of Notre-Dame",
film de Wallace Worsley (1923)


Quand elle ressortait de l’eau trop vite, il lui appuyait sur la tête avec sa perche, ce fumier. Alors elle ressortait, cherchant de l’air, toussant et crachant de l’eau, et il lui appuyait sur la tête encore une fois. S’il estimait qu’elle ne faisait pas bien ses mouvements de brasse, il la faisait sortir de l’eau, il la mettait à plat ventre sur un plongeoir, et elle devait brasser de l’air. Devant toute la classe réunie au grand complet bien sûr, sinon c’est pas drôle ! Si elle se laissait aller, il lui faisait redresser le menton d’un coup de perche… Ah, sa putain de perche de trois mètres, si seulement quelqu’un avait pu l’empaler dessus par le fondement.

Et que faisait la morue pendant ce temps-là ? Elle était là, debout, avec sa cellulite et ses varices engoncées dans un maillot de bain taillé dans un rideau de douche de 1970. Elle observait la scène sans rien dire, sans même la trahison d’une gêne sur son visage pincé.

Si elle avait eu une quelconque humanité, un quelconque courage, un quelconque professionnalisme, elle aurait ordonné à ce sac à merde d’arrêter dès la première humiliation, aurait demandé à toute sa classe de sortir de l’eau, de se rhabiller, aurait quitté la piscine, et dès en arrivant à l’école, elle aurait écrit un rapport circonstancié qu’elle aurait envoyé à la mairie, à l’inspecteur et aux parents de Solène, en précisant qu’elle refusait de retourner à la piscine en présence de ce M.N.S.

Un jour, la mère de Solène est venue voir la mienne. Lorsqu’elle est repartie, ma mère est venue me voir à son tour :
- « Solène ne veut plus aller à la piscine, ça fait deux semaines de suite qu’elle vomit son petit-déjeuner le jeudi matin avant d’y aller. Il se passe des choses à la piscine ? »

Je ne sais plus ce que je lui ai répondu, mais je n’ai pas balancé ce fumier. J’ai dû être évasif. J’avais neuf ans et j’avais peur. Peur de lui, peur de ces deux-là. N’empêche, 25 ans après, j’ai encore honte.

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 11h51 :: :: :: [1 provocation]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 01/02/2011 à 11h27

C'est marrant, ça : je ne connais personne qui ai eu à l'école primaire un bon moniteur de sport (c'est comme ça qu'on appelait ce sac à vin). Moi, c'était le sosie physique et moral de Monsieur Mégot (tu sais, dans Le Petit Spirou), à ceci près qu'il préférait nous appeler "petits cons" plutôt que "bande de moules". Le genre à se rouler une clope en plein parc de l'école (formellement interdit, bien sûr) pendant le cours. Par contre, les instituteurs n'assistaient pas à ses cours de sport.

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