De la Bohème...
Autrefois, j'étais artiste. Un vrai de vrai, vivant aux crochets de la société sur des fonds publics dispendieusement distribués par diverses collectivités à grands coups de subventions, et inféodé aux tergiversations journalistiques locales, véritable rebut de Presse. Pendant une année et demi, je touchai le fond du parasitisme en obtenant le statut tant décrié d' « intermittent du spectacle ». Comme son nom l'indique, l'artiste jouissant de ce statut crée et participe à des spectacles, et ce par intermittence. Car, soyons sérieux, il n'est pas possible de créer ou participer à des spectacles 35 heures par semaine. Bref, je fus l'un de ces rares élus, grâce à la magie des combines bureaucratiques d'une grande association nantaise notamment. Pendant ces mois de bohème, je pus voir combien ceux qui méritaient vraiment le statut peinaient à l'obtenir et le conserver (puisqu'il est chaque année remis en cause, pas de CDI chez les artistes !), et surtout combien une petite partie de fumistes qui ne le méritaient pas du tout trichait, profitait et parasitait le système.
Puis, ô miracle, j'eus l'insigne honneur de signer un CONTRAT. Un vrai, avec un nombre d'heures fixe, des défraiements de déplacement et de repas. Consécration suprême, je commençai dès lors ma lente et périlleuse remontée vers la respectabilité ! C'est ainsi que, cumulant dans ma plus folle année jusqu'à sept emplois à temps partiels dans diverses associations, écoles de musique et conservatoires, je parvins péniblement à me hisser vers une hypothétique berge sèche, hors du marais infect de la marginalité artistique. Mais la fange reste longtemps collée à la semelle du plus volontaire des hommes de bien, et jamais je ne pus me départir de cette pénible étiquette d'
artiste.
— Vous faites quoi dans la vie ?
— Je suis musicien, ma bonne dame.
— Ah, c'est bien, ça. Et sinon, votre vrai métier c'est quoi ?
...à la respectabilité
C'est alors que la grâce divine me toucha, un beau matin, alors que je venais de me gratter une fesse : accompagné par l'autre moitié de mon couple, je co-créai une entreprise. Pari fou, idée insensée, motivée principalement par la possibilité de pouvoir travailler chez soi, et ainsi éviter de devoir patauger dans la boue avec les autres, les gens, ceux qui remplissent toujours maladroitement et péniblement chaque espace qu'on tente paisiblement d'occuper seul. Ainsi fîmes nous, et, bon gré mal gré, les choses avancèrent petitement. Aujourd'hui, nous ne sommes certes pas riches, loin de là, mais avons de quoi manger, nous loger, et même parfois de quoi acheter la dernière compil' de Tecktonik en regardant la Star Academy.
Dans ma vie antérieure, je ne savais pas d'où venait l'argent de mon salaire. Enfin si, je savais que c'était des histoires de subventions, untel du Conseil Général qui faisait partie du bureau de l'association, et qui était copain avec unetelle de la direction. Mais cela m'était égal. En outre, personne dans ma famille n'avait d'expérience similaire à celle dans laquelle je me lançais : ils étaient fonctionnaires ou employés d'entreprises gigantesques quasi-assimilables à des administrations. Il nous fallut donc tout découvrir seuls, mais nous ne tardâmes pas à comprendre l'essence même d'une petite entreprise : l'ARGENT. Moi qui suis tout sauf vénal, je fus contraint de parler d'argent, souvent, et beaucoup.
Je m'aperçus que gagner de l'argent, pour de vrai, en allant chercher soi-même le travail, pour le faire ensuite le mieux possible, puis devoir pleurer pour obtenir son paiement, c'était difficile. Je m'aperçus en outre qu'une fois cet argent difficilement gagné, il fallait en redonner la moitié à l'Etat, pour qu'il en distribue ensuite une partie à des collectivités, afin qu'une poignée d'artistes véritables vivote difficilement et qu'une louchée de parasites en profite. Et surtout, je m'aperçus que, comme quand j'étais intermittent, j'étais condamné au CDD perpétuel : si un jour les affaires devaient connaître une petite baisse, alors l'argent n'arriverait plus, et je devrais cependant toujours en donner la moitié et même plus à l'Etat et aux banques, sans délai, sans contrepartie, sans faute, sans me plaindre et sans faire la grève.
Aujourd'hui, je fulmine quand j'entends le discours simpliste et affligeant de la LCR. Je peste contre les « grands patrons » qui empochent des millions, simplement parce qu'ils ont été licenciés. Je conchie les journalistes qui continuent d'entretenir le mythe délirant du jeune patron dynamique qui gagne forcément beaucoup d'argent, qui prend des cours privés de tennis le soir et qui participe à des cocktails, un verre de champagne dans la main gauche, et un contrat prêt à être signé dans la main droite.
Car après avoir bu dans les deux verres, je peux affirmer qu'être patron ou artiste, c'est presque pareil : dans les deux cas, une petite poignée de parasites fait du tort à ceux qui ont du mérite. La seule différence, c'est que les artistes passent pour être du côté de Cosette, quand les patrons passent pour être du côté des Thénardier.
C'est une erreur grave de croire que le socialisme ne s'intéresse qu'à une classe, la classe des ouvriers, des producteurs manuels. S'il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. [...] Le socialisme vrai ne veut pas renverser l'ordre des classes ; il veut fondre les classes dans une organisation du travail qui sera meilleure pour tous que l'organisation actuelle. Je sais bien que les meneurs du socialisme le réduisent trop souvent, par des déclamations violentes et creuses, à un socialisme de classe, d'agression, de convoitise ; mais je sais aussi que la vraie doctrine socialiste, telle que les esprits les plus divers l'ont formulée, les Louis Blanc, les Proudhon, les Fourier, est bien plus large et vraiment humaine : c'est le bien de la nation tout entière, dans tous ses éléments sains et honnêtes, qu'elle veut réaliser.
En fait, si l'on va au fond des choses, le système d'individualisme à outrance, d'âpre concurrence, de lutte sans merci qui régit aujourd'hui la production, fait presque autant de mal à la classe bourgeoise dans son ensemble qu'à la classe ouvrière. Le patronnat a ses misères qui ne sont pas les mêmes que celles de l'ouvrier, qui sont moins apparentes, moins étalées, mais qui souvent sont poignantes aussi.
Jean Jaurès, dans le journal La Dépêche, 28 mai 1890.
:: COMMENTAIRES
labelmer, le 16/12/2007 à 11h46
Artiste, entrepreneur et belle plume !
Bienvenue dans la vraie vie ! Te voilà maintenant un homme complet avec une moitié qui ne l'est pas moins.
Jaurès, Proudhon, Blanc, Fourier au secours, revenez sur terre le PS a besoin de vous !
draleuq , le 16/12/2007 à 13h32
Dans un film, je crois que c'est dans "La Liste de Schindler", on voyait comme ça un juif qui allait passer dans une "file de tri" pour séparer les "inutiles" des "utiles"... Un "cadre" juif de ses amis qui savait exactement quel était le but du tri, lui fournit des papiers comme quoi il était métallurgiste, en lui conseillant de dire à l'officier allemand qu'il était métallurgiste et non violoniste. Car c'était un violoniste virtuose. Lui ne voulait pas, bien entendu. Il ne voyait pas pourquoi il mentirait, c'était malhonnête. Et pis il était fier d'être violoniste. Il ne comprenait pas qu'on allait le zigouiller pour ça. Parce que ça sert à rien, un violoniste. Même virtuose.
Pour ce qui est des "jeunes patrons", j'abonde en ton sens, et d'autant plus depuis que je suis avec quelqu'un qui, comme toi, est "à son compte" et essaie de vivoter, dans l'incertitude totale, écrasée par les charges. Tu oublies d'ailleurs de dire que les "jeunes patrons" en question sont condamnés à essuyer d'éternels refus de crédits immobiliers, et qu'ils sont donc de fait contraints à rester d'éternels locataires, continuant inlassablement à entretenir des propriétaires sur leurs maigres deniers.
L'accession à la propriété dont notre cher Sarkozy a fait une priorité nationale, ces "jeunes patrons" qui ont souvent voté pour lui ne sont pas près de la voir.
Un bien beau billet en tous cas.
draleuq , le 16/12/2007 à 17h58
labelmer, je viens seulement de comprendre... ;o)
labelmer, le 16/12/2007 à 20h02
Ne soyons pas trop pessimistes, lorsque l'on crée une entreprise c'est pour qu'elle perdure et nous avec ! Alors il faut avoir confiance en soi et ne pas se décourager . Les jeunes patrons un jour deviennent plus âgés et...propriétaires .
winy , le 16/12/2007 à 21h18
"Les jeunes patrons un jour deviennent plus âgés et...propriétaires ."
Hum..
Je vais me taire pour ne pas te décourager ;)
Mais je tiens à dire qu'il y'a aussi des vieux patrons qui galèrent et sont tout autant écrasés par les charges que les plus jeunes.
Le medef leur pompe une cotis pour absolument ne rien faire à la moindre galère, parske, vous comprenez ma bonne dame, quand on reçoit Sarkozy, on ne lui offre pas une coupe de champomy. Alors ça coute. Bah vi.
Voilà je suis énervée.
C'est malin ^^
Bisous Maman !!
finipe , le 16/12/2007 à 22h46
C'est bizarre c't'histoire... Le MEDEF c'est un syndicat non ? Donc on n'est pas obligé d'y adhérer ? Alors pourquoi payer une cotisation ? Pour ma part, il est hors de question que je leur file ne serait ce qu'un centime en tout cas.
Quant à être âgé et propriétaire, ma foi... eh bien je pense qu'il y a peu d'élus pour beaucoup de prétendants, mais après tout, c'est le jeu du risque et du mérite !
labelmer, le 16/12/2007 à 22h51
On peut toujours râler après le Medef, le gouvernement (de droite, de gauche c'est même chose de toutes façons)), les fonctionnaires (mais oui pourquoi pas ), mais çà ne fait guère avancer les choses. On sait que le système n'est pas parfait, loin de là, mais puisque l'on a choisi cette voie il faut faire avec. (au fait Sarko préfère le champomy car il ne boit pas d'alcool ... enfin c'est ce qui se dit )
De la part d'une ancienne patronne (puisque retraitée) propriétaire, qui a été jeune patronne locataire.
MarieH , le 18/12/2007 à 19h57
Je suis une vieille jeune patronne (j'explique : je ne suis pas un perdreau de l'année mais je suis récente dans le patronat) et force est de constater, je ne serai jamais propriétaire. C'est pourquoi "J'aurai voulu être une Âaaaartiiiissssteu !".
J'aurai bien mis ... après Âaaaartiiiissssteu, mais j'ai pas osé ;-)
labelmer, le 18/12/2007 à 22h57
C'est sûr qu'il vaut mieux commencer jeune ....
finipe , le 19/12/2007 à 01h48
Ne t'en fais pas MarieH, c'est si tu avais voulu mettre les points de suspension AVANT "Âaaaartiiiissssteu" que ça aurait été regrettable (bigre... j'ai traumatisé mes... rares commentateurs...)
Lohen, le 19/12/2007 à 09h05
C'est pour ça que je ne commente plus, pour ma part : pas envie de risquer des traumatismes supplémentaires :p
Silgu, le 19/12/2007 à 13h13
Sisi il faut le traumatiser, ca fit du bien a son ego ^^
Plus sérieusement, on peut être jeune propriétaire. C'est possible, le tout étant bien entendu de vivre dans une ville ou l'immobilier n'atteint pas des sommets comme à Paris
Castelroussine, le 19/12/2007 à 14h34
Mais oui, c'est possible ! Tu viens dans le Berry ! ;-)
draleuq , le 19/12/2007 à 17h58
MarieH, tu ne seras jamais proprio parce que tu tricotes trop. Ça ne nourrit pas sa femme...
Travailler plus pour gagner plus, souviens toi, c'est pas "tricoter plus pour gagner plus".
finipe , le 19/12/2007 à 18h06
Et n'oublions pas le vieil adage de la sagesse populaire : « On n'est pas là pour tricoter ». Un aphorisme délicat pour dire qu'on n'est pas là pour ne rien foutre !
MarieH , le 26/12/2007 à 10h55
Le tricot ne nourrit pas sa femme mais réchauffe son homme, ce me semble. Faisez gaffe les garçons, il se pourrait bien que si je cafte, l'un des deux n'ait pas de cotte de maille neuve cette année.
Viou , le 28/12/2007 à 10h17
T'inquiète, je veille ! ;)