Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je ronge mon
frein, ça fait
mal
Et ta soeur ?
De temps en temps, Dieu dévore doucement l'art, tant et si bien que la sagesse s'échappe en évitant le silence de l'imagination
Caporal de Bol ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

20 Septembre 2010 ::

« Liberté chérie - 1ère partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte deux :
1. Liberté chérie - 1ère partie
2. Liberté chérie - 2ème partie


Ce qu’on appelle liberté, dans le langage politique, c’est le droit de faire des lois, c’est-à-dire d’enchaîner la liberté.

Auguste Vermorel (« le petit socialiste »)


Bon vent Jeannot !

J’avais un collègue vraiment sympa qui s’appelait Jean. C’était un enfoiré de fonctionnaire comme moi, un peu gauchiste, un peu râleur, un peu en colère après les iniquités de l’administration, peu préoccupé de ne pas penser et de ne pas faire comme tout le monde.
Il est parti en retraite l’an dernier, et aussitôt après il a quitté la France pour s’en aller vivre dans le pays d’origine de sa femme, à Madagascar.
Juste avant son départ, il me confia un jour qu’il en avait assez de la France, « ce pays où on ne pouvait plus rien faire ».

Dans l’instant, je l’ai trouvé un peu culotté, le Jeannot. Il parlait d’un des pays les plus libres du monde, merde quoi. Où on a la liberté d’expression, de réunion, syndicale, de grève, de circulation…
Et puis après, à bien y réfléchir, j’ai un peu mieux compris ce qu’il voulait dire.

Liberté professionnelle

C’est vrai qu’on ne peut plus rester seul avec un gamin dans une classe, que ce soit pour lui expliquer quelque chose qu’il n’a pas compris ou pour l’engueuler. Du coup, tout le monde est rapidement au courant de la connerie qu’il a faite.
On ne peut plus lui mettre notre pied au cul, remarquez dans le fond c’est pas un mal. N’empêche qu’il en est quelques uns à qui ça ferait le plus grand bien.

On ne peut pas laisser cette cabane en bois là, un gamin pourrait grimper sur le toit et tomber. Idem pour le circuit de billes, il pourrait trébucher dessus et s’y fracasser le crâne… Je repense à nos cages à poules de 3 mètres de haut dans les années 70. Je pense aux passerelles suspendues à 5 mètres de haut au dessus d’un pauvre bac à sable, avec une vulgaire corde en guise de garde-fou, dans les années 50.
C’est sans doute arrivé, mais personnellement j’ai jamais vu personne partir à l’hôpital quand j’étais môme. En tant que directeur, si. Il faut faire quoi ? Tapisser entièrement la cour de tapis de mousse imperméables ?

Il est interdit désormais d’éveiller l’intérêt des enfants pour la lecture avec des phrases, voire des textes. Quelle horreur ! Ça pourrait avoir un sens pour eux. Mieux vaut leur faire déchiffrer des longues suites de ba-be-bi-bo-bu, c’est tellement plus captivant.

Plus question de faire du camping avec une classe, parce qu’il faut un centre agréé, un ****. Il faut que ces chérubins pètent dans la soie, et ne chient pas à la Turque, ils se retiendraient jusqu’à l’occlusion intestinale, pardi. En colo, on peut encore, mais c’est la réglementation jeunesse et sports, c’est pas pareil. Le taux d’encadrement est différent aussi. D’où sans doute la bonne vieille vanne sur le « pourcentage » qu’on aurait le droit de perdre dans une colo.

Liberté de circulation

Il est interdit de sortir des sentiers balisés, ça nique la flore. Pas question de grimper dans les dunes, ça les abîme. Des forêts entières sont des propriétés privées, sans parler des plages privées, absolument hors-la-loi, qui entendent se moquer de la règle dite du « chemin des douaniers », qui exige qu’une bande d’une certaine largeur sur le littoral soit accessible au public, en particulier pour des raisons de surveillance des côtes.
Pour la surveillance, oui. Pour pouvoir s’y promener, non.

On ne peut pas aller quelque part pour voir quelqu’un ou faire quelque chose sans être obligé de réfléchir à quel trajet on va devoir faire, à quel moment de la semaine et à quelle heure du jour… au risque de se retrouver embourbé dans un embouteillage sans fin de gens qui l’ont tous bien cherché en voulant faire la même chose que tout le monde au même moment.
L’homme a organisé partout la vie de façon à s’ajouter sans cesse de nouvelles contraintes. Dans nos villes et à leur pourtour, la notion de « libre circulation » prête de plus en plus à rire.

Depuis peu, on n’a même plus le droit de se rassembler dans les halls d’immeubles.
Normalement, on ne peut même pas dormir à la belle étoile. Les clochards sont donc tous des hors-la-loi en puissance.

Liberté de logement

On ne peut pas acheter une maison, c’est souvent trop cher. Même quand on est salarié et qu’on a un « travail à responsabilité ». Il est pourtant formellement déconseillé d’avoir des responsabilités, c’est des coups à se retrouver en taule ou à rembourser toute sa vie les conneries des autres, ceux qui ne les avaient pas, les « responsabilités ».

Alors puisqu’on ne peut pas acheter de chez soi, il faut engraisser un proprio. Et pour peu que l’endroit où on bosse soit plus ou moins touristique, on ne peut pas du tout y habiter, même en location. Toutes les baraques sont monopolisées comme résidences secondaires par les rupins et les Anglais qui ne les habitent que deux mois par an.

Liberté de rester en bonne santé

Même la liberté de bouffer sans s’empoisonner nous échappe progressivement, à moins d’avoir les moyens de n’acheter que du biologique, et encore. Il ne faut pas manger des produits préparés, qui sont comme chacun sait bourrés d’additifs cancérigènes.
Il faut même se méfier de la viande de bœuf depuis qu’on a eu la bonne idée de décider que les bovins ne seraient plus seulement herbivores ainsi que la nature l’avait déterminé.

Liberté d’expression

Il ne faut pas critiquer Israël, c’est de l’anti-sémitisme, mais il ne faut pas non plus critiquer les Palestiniens, c’est du racisme. Il ne faut pas caricaturer Mahomet, c’est de l’intolérance. Et surtout pas dire que Le Pen est un gros connard, c’est lui faire de la pub.
La liberté d’expression n’est qu’une douce illusion : on peut à peine dire quelques vérités dérangeantes sans avoir tout un bataillon d’avocats au cul.
La faute aussi aux journalistes qui en ont fait un peu n’importe quoi, de leur liberté d’expression.
D’une manière générale, la faute aux gens qui font n’importe quoi de leur liberté.

Voilà, tout ça n’est pas exhaustif bien entendu.
Et je me dis que si un gars comme Jean, qui a vécu 25 ans de plus que moi, a ressenti tout au long de sa vie d’adulte une érosion de sa liberté, ce n’est quand même pas un hasard.

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 17h36 :: :: :: [0 réflexion sagace]

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