Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
Ça c'est
balot...
Somme toute, l'envie répudie joyeusement son destin. Par là même, l'amour s'évade, immobile depuis le bonheur de l'individualisme
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

21 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 8 »

:: Histoire contemporaine, 1794

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie4ème partie5ème partie
6ème partie7ème partie – 8ème partie – 9ème partie


08/05/1794 : Les fermiers généraux, dont Lavoisier

Sous l’Ancien Régime, les Fermiers Généraux étaient des hommes qui, schématiquement, bénéficiaient d’une délégation de service public qui leur permettait de percevoir les impôts et taxes au nom du Roi. Au nombre de 40 sur toute la France, leur poste était très convoité car il permettait de s’enrichir très rapidement et légalement. Nommés par le Ministre des Finances, les candidats à la Ferme Générale n’hésitaient pas parfois à verser à celui-ci un important pot-de-vin pour accéder à l’un de ces postes.
Pendant la Révolution, les Fermiers Généraux devinrent, évidemment, l’un des symboles des inégalités de l’Ancien Régime, et furent haïs comme étant des accapareurs. Ils firent d’immenses dons sur leur fortune personnelle à la Révolution, mais cela ne suffit pas à sauver leur tête, et 28 d’entre eux furent condamnés à mort[1], parmi lesquels Antoine-Laurent de Lavoisier, né en 1743, qui était de surcroît un grand chimiste que beaucoup considèrent aujourd’hui comme le père de la chimie moderne[2].


Sanson ne parle pas de l’exécution de Lavoisier dans son journal, en revanche il se fait l’écho de ce qui s’est passé au Tribunal Révolutionnaire. Lavoisier a demandé un sursis de quinze jours afin de terminer une découverte qui intéresse la nation. Le vice-président du Tribunal, Jean-Baptiste Coffinhal, lui a répondu : « le peuple n’a pas besoin de chimie et ne se soucie point de tes découvertes. »[3]

Sanson rapporte aussi cette phrase qu’un autre fermier général, Papillon d’Hauteroche, prononce dans la charrette en voyant la foule déchaînée : « Ce qui me chagrine, c’est d’avoir de si déplaisants héritiers ! »


Lavoisier


10/05/1794 : « Madame Elisabeth »

Elisabeth de France, née en 1764, était la sœur de Louis XVI, que celui-ci aimait tendrement. Elle avait suivi son frère dans tous les coups durs, de la Fuite de Varennes à la Prise des Tuileries, et avait été écrouée comme lui à la Prison du Temple. Après l’enlèvement du dauphin et la mort de Marie-Antoinette, c’est elle qui s’occupa, en prison, de l’éducation de sa nièce de 15 ans.
A son procès, on lui porta des accusations ridicules : d’avoir participé à une orgie, alors qu’elle était très pieuse, d’avoir « mâché » les balles des royalistes lors de la Prise des Tuileries pour les rendre plus mortelles. Elle nia très calmement.
Enfin, on lui reprocha d’avoir pansé les blessures des gardes nationaux qui avaient attaqué des fédérés Marseillais : « Je n’ai jamais su que mon frère ait ordonné d’assassiner qui que ce fût ; s’il m’est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l’humanité seule a pu m’y conduire. Je n’avais point à m’occuper de la cause de leurs maux pour m’occuper de leur soulagement. Je ne m’en fais point un mérite, mais je ne m’imagine pas que l’on puisse m’en faire un crime. », répondit-elle.
Finalement, elle fut condamnée à mort en tant que « chef de complot » avec 22 autres personnes issues de la noblesse et du clergé. En tant que telle, elle devait être guillotinée en dernier.


Quand Sanson entre pour prendre possession de la condamnée, celle-ci, vêtue d’une robe noire, est assise, les cheveux dénoués, et lit un livre saint en se frappant la poitrine. Juste avant que le bourreau ne lui attache les mains, elle fait le signe de la croix.
En la reconnaissant, tous les autres condamnés s’inclinent, même les femmes qui pleuraient se taisent. Elle leur rend leur salut.

Elle s’entretient quelques minutes en privé avec l’un des frères Loménie, celui qui est évêque (l’autre, exécuté le même jour, est un ancien ministre). Puis elle courbe la tête, et Loménie semble murmurer une prière, sans doute une absolution.

Dans la première charrette avec les frères Loménie, elle est la seule assise, mais préfère plus tard se lever, les cahots semblant la fatiguer. L’évêque lui parle de Dieu qui va récompenser son martyre, alors elle lui répond en souriant :
- C’est assez vous occuper de mon salut. La charité ne doit point vous faire oublier le soin de votre âme, Monseigneur.

Pendant l’exécution des autres condamnés, elle reste debout au milieu des gendarmes, la tête tournée du côté de l’échafaud sans regarder ce qui s’y passe, et semble prier sans cesse. Deux condamnés crient « Vive le Roi ! », ce qui excite la fureur de la foule, mais elle ne semble pas y prêter attention.
Quand vient son tour, elle monte seule en frissonnant légèrement, la tête inclinée sur la poitrine. Comme un des aides enlève le fichu qu’elle a autour des épaules, elle s’écrie au nom de la pudeur : « Oh ! Monsieur ! Par pitié ! » mais elle est aussitôt bouclée sur la bascule et sa tête tombe.


Elisabeth de France, dite "Madame Elisabeth"
(par Elisabeth Vigée Lebrun)


22/05/1794 : Leflot, capitaine des douanes de Tréguier

A Tréguier[4], durant l’hiver 1793-1794, une « femme de brigands » erre avec son enfant, mourant tous deux de faim et froid. Un douanier les cache dans une grotte, leur procure des vêtements, de la paille, et se prive de la moitié de sa ration pour les nourrir. Bientôt ses camarades sont rendus soupçonneux par ses allées et venues. Au courant du secret, non seulement ils couvrent le courageux douanier, mais utilisent leur péniche pour aborder un navire anglais et mettre les deux malheureux en sûreté à bord.
Malheureusement, fiers de leur coup, ils en parlent un peu trop et cela remonte aux oreilles de la hiérarchie. Le capitaine des douanes Leflot veut avoir le nom des coupables, mais aucun de ses soixante hommes ne veut balancer. Leflot les menace alors de tous les faire exécuter, mais ils rient et lui répondent qu’il est bien trop brave et qu’il en serait incapable !
Et les douaniers ne se trompent pas : effectivement, Leflot ne les dénonce pas. Il espère que les rumeurs qui courent dans Tréguier finiront par s’étouffer, ou seront couvertes par les faits divers qui font tomber chaque jour les têtes par dizaines.
Hélas, Leflot paiera de la sienne d’avoir courageusement couvert ses hommes.

17/06/1794 : les 54 chemises rouges

Cette affaire fut probablement l’une des plus grosses fumisteries de la Terreur, et c’est un tel amalgame qu’elle est d’ailleurs bien difficile à démêler.
Quelques semaines avant cette date, il y eut deux tentatives d’assassinat sur des responsables révolutionnaires : un certain Ladmirat voulut tirer sur Collot d’Herbois, mais ses deux pistolets firent long feu et il fut arrêté par celui-là même qu’il voulait tuer, puis Cécile Renault, une jeune fille de vingt ans, fut soupçonnée d'avoir voulu poignarder Robespierre, mais le couteau qu’on trouva sur elle était tellement ridicule qu’elle avait plus de chances de se blesser avec que de tuer quiconque.
Ladmirat était en fait un voisin de Collot d’Herbois et on n’est sûr de rien concernant ses motivations, mais certains parlent de jalousie. Quant à Cécile Renault, fille d’un papetier parisien, elle semblait être un peu simple d’esprit.
Sur l’idée de Barère, Collot et Billaud-Varenne, on créa de toutes pièces un vaste complot « visant à détruire les pères du peuple ». On n’hésita pas à faire de Cécile Renault une « nouvelle Charlotte Corday », à ajouter aux deux apprentis assassins la famille Renault presque au grand complet, d’autres voisins de Collot et Ladmirat qui les connaissaient à peine, des criminels de droit commun (trafiquants de faux-assignats), d’autres prisonniers encore qui ne se connaissaient pas, tels que Françoise-Augustine d’Eprémesnil, veuve de Jean-Jacques Duval d’Eprémesnil, ou Madame de Ste Amaranthe[5]. Pour donner à tout ceci une apparence de complot royaliste, on décréta que l’initiateur en était le baron Jean-Pierre de Batz[6], contre-révolutionnaire toujours en fuite qui avait notamment essayé de faire évader Louis XVI.
Enfin, pour parfaire l’image de cette farce, on décida, pour donner à tout ce fatras de condamnés sans lien une apparence d’unité, de les affubler d’une chemise rouge[7], d’où le nom donné par la suite au « complot ».

Dans son journal, Sanson, qui prêtait encore jusque là quelque crédit à Robespierre malgré la mort des dantonistes, ne lui pardonne pas ce « complot ». Il le soupçonne de vouloir obtenir par ce « martyre » la même notoriété surfaite que feu Marat.
Or, tout comme pour les conspirations des prisons, il est aujourd’hui généralement établi que Robespierre ne fut pour rien dans cette histoire de complot. On estime plutôt que Barère, Collot et compagnie montèrent cette histoire pour accréditer une image de tyran qui commençait sérieusement à lui nuire : après tout, qui d’autre qu’un tyran pourrait faire exécuter une gamine responsable d'un pseudo-projet d'assassinat avec toute sa famille et 50 autres condamnés ? N’oublions pas que nous ne sommes plus qu’à un peu plus d’un mois de la chute de Robespierre, et que la rupture est déjà consommée entre les Robespierristes et la clique des Barère, Billaud-Varenne, Voulland, Collot d’Herbois, Vadier. Or, si l’on en croit la réaction de Sanson, la (sanglante) ruse de ces derniers réussit fort bien !



Le baron Jean Pierre de Batz - Collot d'Herbois (selon une gravure de 1849) - Maximilien Robespierre


De l’exécution-même, Sanson ne dit pas grand-chose car il ne la dirigera pas jusqu’au bout comme on va le voir. Il parle en particulier de l’une des condamnées, Nicole Bouchard, « qui n’avait que dix-huit ans et qui n’en paraissait pas quatorze ».
Lorsqu’elle présente ses mains à l’aide Larivière pour qu’il les lie, celui-ci se retourne vers le premier aide Desmorets[8] et lui dit :
- C’est pour rire, n’est-ce pas ?
Desmorets hausse les épaules. C’est Nicole Bouchard qui répond :
- Mais non, monsieur, c’est pour de bon !
Alors Larivière jette les cordes et s’écrie :
- Cherches-en un autre qui t’attache, ce n’est pas mon métier de sevrer les enfants !

Il y a un retard au départ. On n’a commandé que 6 chemises rouges, or un ordre arrive comme quoi les 54 condamnés du jour doivent en porter une (voilà qui en dit long !)
Quand enfin les condamnés sont tous affublés, le convoi part et le peuple se montre aussi apitoyé que les bourreaux.
- Pas d’enfants ! crient les spectateurs indignés en voyant Nicole Bouchard. Dans le Faubourg St Antoine, des femmes à leur fenêtre la montrent du doigt et pleurent en la voyant.

Ils arrivent à l’échafaud. Nicole Bouchard monte la neuvième.
- Citoyen, suis-je bien ainsi ? dit-elle de sa petite voix.
Sanson est alors, pour la première fois, au bord de s’évanouir.
L’aide Marin, voyant son état, lui dit :
- Tu es malade, rentre chez toi !
Sanson obéit et rentre chez lui sans se retourner. Il raconte que ses hallucinations ne le quitteront pas de la journée, et que quand une mendiante l’accoste, il croit voir Nicole Bouchard et manque de tomber à la renverse. Le soir à table, il soutiendra à sa femme voir des taches de sang sur la nappe.

A partir de là, Charles-Henri Sanson va s’éloigner progressivement de l’échafaud et, même si sa charge l’oblige en principe à rester exécuteur en chef jusqu’à sa mort, il devra y renoncer par la force des choses, en 1795, et c’est alors son fils Henri qui lui succèdera.

C’est ce mal, révélé lors de l’exécution des 54 chemises rouges et le contraignant ce jour-là à s’aliter, qui finira par l’emporter, précise son petit-fils Henri-Clément. Toutefois, il ne décèdera en vérité qu’en 1806, à l’âge respectable de 67 ans (il était né en 1739). On ne sait pas grand-chose d’autre de sa mort, ni de ce mal que l’on appellerait aujourd’hui une forme d’hématophobie[9], si ce n’est ces quelques phrases de son petit-fils :
« […] le vieil exécuteur pliait visiblement sous le faix de sentiments qui ressemblaient à des remords. Il était pâle, agité, inquiet ; il cherchait la solitude, et cependant la solitude fut bien souvent pour lui l’occasion d’inexplicables épouvantes. Tout bruit inattendu le faisait frissonner. […] Les sympathies, les haines, les regrets, les colères auxquels jadis il donnait si aisément libre cours, semblaient s’être effacés de son âme pour le laisser sous l’obsession de ce que je n’oserais pas appeler de l’horreur, mais qui était sûrement du dégoût et de ceux qui commandaient, et de lui qui obéissait. »

_________________________________
1. Le tribunal révolutionnaire en acquitta 4. On applaudit à la performance ! Mais il en restait 6 autres à juger.

2. Qui n’a pas entendu son prof de physique-chimie dire un jour cette bonne vieille phrase de Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme. » ?

3. L’authenticité de cette phrase n’est pas établie, mais cadre bien avec ce « brillant » personnage qu’était Coffinhal. Ce n’est tout de même pas pour rien qu’il était un grand ami de Fouquier-Tinville.

4. Ce port du département des Côtes-du-Nord, aujourd’hui Côtes d’Armor, sur la Manche, était à l’époque une ville beaucoup plus importante que St Brieuc.

5. Le bruit courut que Robespierre jeune avait eu une relation trouble avec celle-ci, et que les Robespierristes voulaient ainsi se débarrasser d’elle pour la faire taire. Là-encore, il semble que c’était totalement faux, et qu’ « on » ne pardonna surtout pas à cette dame d’avoir reçu Danton dans son salon !

6. Né en 1754, Batz eut une histoire rocambolesque. Il survécut à la Révolution sans jamais émigrer, et de complot en insurrection, il fut arrêté plusieurs fois, mais à chaque fois il fut sauvé in extremis ou parvint à s’évader. Il fut probablement l’un des royalistes les plus recherchés et Sanson quand il en parle dit « le fameux Baron de Batz ». Comblé de titres et de récompenses sous la Restauration, il mourut dans son lit en 1822.

7. La chemise rouge, destinée à flétrir les assassins et les empoisonneurs, fut notamment portée par Charlotte Corday.

8. Les Desmorets sont eux-mêmes une immense dynastie de bourreaux de province. Michel Desmorets, un de leurs descendants, a dénombré dans un livre généalogique pas moins de 256 Desmorets ayant occupé un emploi de bourreau durant l'histoire de France !

9. Charles-Henri Sanson ne fut pas un cas unique. Quelques autres exemples d’hématophobie chez des bourreaux :
- Le plus célèbre, Louis Deibler, exécuteur en chef de la fin du XIXème siècle (Ravachol, Henry, Vaillant, Caserio notamment), devint hématophobe après avoir été aspergé de sang accidentellement par un de ses aides en 1897.
- L’exécuteur de Rodez mourut à la suite d’une crise d’hématophobie, le lendemain de l’exécution, le 07/05/1853, d’un certain Ratier, une sorte de Landru avant l’heure qui séduisait, dépouillait et assassinait des femmes.
- Lors de l’exécution de Damiens en 1757, qui avait tenté d’assassiner Louis XV, et qui fut le dernier à être écartelé en place publique, le bourreau Nicolas Charles Gabriel Sanson, bourreau de Reims, faillit s’évanouir et provoqua les huées de la foule, incapable qu’il était d’en finir avec les insoutenables souffrances du régicide. C’est son neveu, alors âgé de 17 ans, qui lui prêta efficacement main forte. Il s'appelait... Charles-Henri Sanson.

draleuq, 15h08 :: :: :: [1 jubilation]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 10/05/2011 à 01h22

A propos du "complot des 54 chemises rouges" : on a longtemps soupçonné Vadier, le président du Comité de Sûreté Générale, d'avoir participé à l'élaboration de cette vaste fumisterie. En tous cas, son rôle là-dedans n'a pas été aussi clair que ce qu'il a voulu faire croire après le 10 thermidor.

Quant à Madame Elizabeth, elle fut longtemps tenue (à tort, à mon avis) par les royalistes "légitimistes" comme l'une des causes de la perte de la monarchie (l'autre étant Marie-Antoinette, que des députés ultras voulurent présenter ironiquement comme la "plus efficace républicaine de France" durant la Restauration). On notera que pour ces royalistes, le fait que Louis XVI ai commit nombre d'actes de haute trahison (tentative de fuite, communication de documents militaires confidentiels à des tiers, correspondance irrégulière avec l'ennemi, etc.) et de corruption active (Mirabeau, Danton, etc.) comme passive (Marat, Philippe d'Orléans-Égalité, etc.) ne pouvait pas expliquer le désamour des Français envers la monarchie capétienne.

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