Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

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Sacrote ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

15 Janvier 2011 ::

« Le naufrage du Saint-Philibert »

:: Histoire contemporaine, 1931



Une excursion pour prolos

Dimanche 14 juin 1931. C'est une belle journée chaude et ensoleillée qui se lève sur Nantes. Un temps idéal pour les processions de la Fête-Dieu, mais tout aussi idéal pour une croisière-excursion dans l'Ile de Noirmoutier.
Celle-ci est organisée par la Société des Loisirs fondée par différentes associations en lien avec le monde ouvrier. Des gens de gauche donc, des prolétaires, des "rouges", qui n'ont cure de la Fête-Dieu, c'est le cas de le dire.
La SDL a affrété pour l'occasion un navire de la Compagnie Nantaise de Navigation à Vapeur, le Saint-Philibert. Un navire construit à Nantes-même, il y a 8 ans.
Francis Ollive, le capitaine, est fraîchement retraité de la marine marchande et s'ennuyait de la mer. Il s'est donc proposé comme saisonnier. Il a 40 ans d'expérience derrière lui, et a même transporté les forçats en Guyane.
Prévu pour transporter 500 personnes au maximum, le bateau est archi-comble puisqu'on a compté 502 entrées.


Le Saint-Philibert peu avant son naufrage
Source photo http://www.chez.com/follenn


Le voyage aller

A l'allée, il existe déjà certains signes avant-coureurs d'un vimer (petit ouragan fréquent en basse-loire et en baie de Bourgneuf) : la Loire moutonne et des nuages d'altitude circulent anormalement vite. Cela ne peut pas échapper à un professionnel comme Ollive. L'ambiance sur le pont est à la fête : on se moque gentiment des quelques passagers qui ont le mal de mer.
Pendant que les excursionnistes profitent de leur journée dans l'île, l'arrivée du vimer se confirme dès le début de l'après-midi, avec une remontée anormalement rapide de la marée.


Vue de la Baie de Bourgneuf, à partir de la Pointe St Gildas.
Au loin, on distingue Noirmoutier. (photo draleuq)


Le (non) retour

A l'heure de réembarquer, à 16 h 30, 27 personnes décident de rentrer avec un autocar affrété pour l'occasion, par le gois à marée basse, 16 autres de rester dormir à l'hôtel et de ne rentrer que le lendemain. Un autre, qui était parti acheter du tabac, arrive trop tard à l'embarcadère : son vice lui a sauvé la vie.
Pour les passagers du Saint-Philibert, la situation se gâte très vite : tout le monde est rapidement malade et se met à tribord pour ne pas vomir contre le vent, ce qui augmente le déséquilibre du bateau dont le tirant d'eau de 2,20 m. est bien insuffisant en la circonstance.
Une toile qui a été installée comme pare-soleil le matin aggrave le gite du bateau en faisant prise au vent. Des paquets de mer inondent le pont supérieur comme le pont inférieur. Les gilets de sauvetage n'ont pas été distribués, peut-être pour ne pas déclencher de panique.
Et puis au moment où le vapeur double la Pointe St Gildas, à 18 h 30, une lame le retourne comme une crêpe. Il sombre seulement quelques secondes plus tard, entraînant avec lui tous les naufragés qui s'accrochent à sa coque. Il n'y aura que 8 survivants, seuls témoins de la tragédie, avec les deux guetteurs du sémaphore de la Pointe, qui assistent au naufrage à la jumelle.


L'ancienne bouée nord-ouest de la Banche, qui marquait l'emplacement d'un plateau rocheux au Nord-Ouest du récif de la Banche, que les navires doivent contourner par le Nord. Elle a été remplacée par une bouée dotée d'un feu scintillant continu, d'un réflecteur radar et d'une cloche. Derrière, le sémaphore, désaffecté, a été transformé en musée. C'est de là que les observateurs ont assisté impuissants au naufrage.
(photo draleuq)


Opérations de sauvetage

Plus d'une dizaine de bateaux et trois hydravions participent aux opérations de secours, dans les pires difficultés, tant la mer est démontée. Parmi les navires de secours, le baliseur Paul-Leferme, qui se retrouvera dans une situation bien pire encore 9 ans plus tard, pour le naufrage du Lancastria.
Mais ce n'est véritablement que le lendemain, lorsque les recherches reprennent avec plus de cinquante navires, que des cortèges de cadavres de noyés sont débarqués à Saint-Nazaire.
On dresse une chapelle ardente à Nantes, dans le chateau des ducs, mais très partielle, car des corps vont continuer à être repêchés un peu partout dans les semaines à venir, souvent rongés par les crabes.


Le baliseur Paul-Leferme au port de St Nazaire
Source photo : Ecomusée de St Nazaire


Bilan et obsèques

Le bilan humain et psychologique est effroyable. Près de 500 Nantais sont morts. Des familles entières ont disparu. Une grand-mère pleure 8 enfants et petits enfants. Les habitants d'un immeuble complet de 4 étages ont péri, excepté la concierge qui n'avait pu s'absenter. 30 jeunes filles travaillant dans un même grand magasin du centre ville ont disparu. Sur 35 employés de l'Union des Coopérateurs, il n'en reste plus que 3.

Les obsèques, civiles (n'oublions pas que les noyés sont tous des "gauchistes"), rassemblent près de 80 000 personnes. Le cortège funèbre se contente de passer devant la cathédrale. L'évêque sort sur le parvis de l'édifice pour lui donner l'absolution.


Cadavres de noyés rassemblés dans un hangar
Source photo http://www.chez.com/follenn



Chapelle ardente au chateau des ducs de Bretagne, à Nantes
Source photo : Ville de Nantes


Suites de la tragédie

Sur la côte, le naufrage donne lieu à de fausses rumeurs d'empoisonnement, aussi les crustacés et même les poissons seront boudés sur les marchés pendant tout l'été.
Le naufrage est également instrumentalisé par les polémistes cléricaux, dont certains n'hésitent pas à y voir un châtiment divin contre ces mécréants qui ont osé aller se détendre le jour de la Fête Dieu.

Le Saint-Philibert est renfloué avec l'aide d'une société spécialisée de Hambourg. Il est ensuite remorqué jusqu'à la plage de Mindin pour échouage, où une foule à la curiosité malsaine s'est rassemblée pour assister au spectacle macabre. On retire encore de nombreux cadavres putréfiés qui sont ensuite transportés par le Paul-Leferme, encore lui.

Un procès a lieu, mais les puissantes compagnies qui sont au banc des accusés ont menacé de licencier du personnel. Les plaignants sont donc déboutés et condamnés aux dépens (!)

Le Saint-Philibert est réarmé et devient la gabarre "Les Casquets", puis le caboteur "Saint-Efflam", puis le sablier "Côte d'Amour", dans différents ports d'attache, notamment en Aquitaine. Il donnera toute satisfaction jusqu'à sa démolition en... 1979.


Vue de la Pointe vers l'estuaire de la Loire (on distingue le pont de St Nazaire et le portique du chantier naval tout au fond.) De nombreux bunkers attestent que la Pointe était fortement gardée par les Allemands pendant la guerre 39-45, ce qui n'est pas étonnant vue sa position. (photo draleuq)


Une question qui demeure sans réponse

Mon arrière grand-mère, qui habitait alors à Saint-Nazaire, apprit le drame le lundi matin en allant faire ses courses : "Z'étiez pas sur le Saint-Philibert, vous Madame ! Sinon, seriez pas là c'matin pour en parler !"
Elle avait alors entendu dire, et elle l'a répété à ses enfants par la suite, qu'au moment de quitter Noirmoutier, le Capitaine Ollive voulait rester à quai, mais qu'il aurait été pris à parti par des ouvriers vindicatifs qui voulaient absolument pointer à l'embauche le lendemain matin pour ne pas perdre un jour de salaire (les congés payés n'existaient pas encore). Certains l'auraient même "bousculé", et le capitaine aurait fini par céder à la pression, mais en disant "très bien, mais on n'ira pas très loin !"
Cette rumeur, qui a pas mal circulé, parmi d'autres, a été démentie par les rescapés. Mais en même temps, une telle imprudence, pour un marin aussi expérimenté, demeure inexplicable. Ce qui s'est passé sur le quai de Noirmoutier à 16 h 30 demeure donc encore nimbé de mystère.

draleuq, 20h31 :: :: :: [2 haineuses invectives]

:: COMMENTAIRES

 Mathilde , le 16/01/2011 à 11h14

"Un procès a lieu, mais les puissantes compagnies qui sont
au banc des accusés ont menacé de licencier du personnel.
Les plaignants sont donc déboutés et condamnés aux
dépens (!)"

Ce genre de chantage ne date pas d'hier alors.

 draleuq , le 16/01/2011 à 17h48

Je crois même que c'était pire avant qu'aujourd'hui.
De nos jours, je pense qu'un tel chantage serait impensable. Les médias s'empareraient de l'affaire et des manifestants soutenus par l'opinion publique (et donc par les politiciens qui veulent être réélus) séquestreraient les patrons jusqu'à ce qu'ils deviennent "raisonnables".

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