Lorsque l'on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ce n'est pas forcément le pot qui est vide.
Confucius
Parmi toutes les tâches qui m’échoient dans cette formidable « fonction » de directeur d’école (je rappelle à toutes fins utiles qu’il s’agit d’une fonction multitâches sans statut, et non d’un métier), une de mes « préférées » est décidément de faire standardiste téléphonique.
Outre le
dialogue ubuesque avec quelques funk-tionnaires du conseil général, narré récemment , d’autres personnages hauts en couleur de ma blogosphère nous ont déjà régalés par d’autres conversations trépidantes. Finipe par exemple, toujours avec des
funk-tionnaires, mais surtout Winy et sa très regrettée rubrique « bonjour et bienvenue chez XxX », rubrique à laquelle je dédie ce billet, ainsi qu'à Hergé qui a bercé mon enfance.
Après ça, je pense que certaines personnes de mes amis, parmi lesquels Winy en particulier, justement, comprendront probablement pourquoi, dans un cadre privé, je voue une telle haine aux conversations téléphoniques.
Ce matin donc, j’ai eu cette courte communication :
-
DrrRRRrrrriiing
- Ecole Machin, draleuq, j’écoute ?
-
Allô ? Les établissements Gerbeau ?
Ce n’est bien entendu pas la première fois que j’ai affaire à un turlupin qui me téléphone sans écouter une seule traître syllabe de ce que je lui dis. Nous avons vu récemment que jusqu’à trois fonctionnaires successives, durant le même appel et dans le sens de l’ascendance hiérarchique, pouvaient ne rien écouter de ce que je leur disais !
Mais le fait que cet abruti se soit trompé de numéro m’a brusquement rappelé une anecdote, que dis-je, un véritable feuilleton, qui date maintenant de quelques années…
-
DrrrRRRRrrrring
- Allô ?
(à cette époque, je ne prenais pas encore très au sérieux ma tâche de standardiste, et je ne me présentais point en décrochant, ce qui est très mal dans un service public, j’en conviens)
-
[voix d’une femme d’un certain âge] Allô, Monsieur Daniel ?
- Non madame, vous avez dû faire erreur, vous êtes à l’école Machin.
[Clic] (l’interlocutrice a raccroché fort impoliment)
Quelques semaines plus tard :
-
DrrrRRRRRrrring
- Ecole Machin, draleuq, j’écoute ?
(comme vous le voyez, j’étais devenu, entre temps, un honorable standardiste du service public)
-
Allô, Monsieur Daniel ?
- Non Madame, comme je l’ai mentionné, vous êtes à l’école Machin et il n’y a pas de Monsieur Daniel ici.
-
Ah bon ? Désolée. (comme vous le voyez, cette dame, de son côté, était devenue polie. C’est fou ce qu’on peut faire de progrès en trois semaines)
- Pas de mal. Au revoir Madame.
Quelques jours plus tard :
-
DrrrrRRRrrrrRRing
- Ecole Machin, draleuq, j’écoute ?
-
[long silence, manifestant sans aucun doute une hésitation] M… Monsieur Daniel ?
- Non madame, vous êtes dans une école ! Vous avez fait un faux numéro et je vous engage à faire plus attention car j’ai l’impression que ça vous arrive souvent ! Au revoir madame !
Quelques minutes plus tard :
-
DrrRRRRrrrring
- Ecole Machin, draleuq j’écoute ?
-
[quelques secondes le temps que la reconnaissance vocale monte jusqu’à l’éponge qui lui sert d’encéphale] Rooooh bah mince j’a encore fait un mauvais numéro !
- Certes. Au revoir madame.
Je n’entendis alors plus parler d’elle et de son Monsieur Daniel pendant plusieurs mois, et je me crus tiré d’affaire. Mal, très mal m’en avait pris, car un beau jour…
-
DrRRRRrrrriiiing
- Ecole Machin, draleuq j’écoute ?
-
Allôôôô ? Monsieur Daniel ?
-
[quelques secondes de deuil] Madame, vous avez fait un faux numéro. Vous savez ce que nous allons faire ? Je vais vous donner mon numéro de téléphone et vous allez le comparer avec celui que vous avez tapé, comme ça nous saurons pourquoi vous vous trompez tout le temps.
-
Non non, c’est pas la peine [clic]
Quelques heures plus tard :
-
DrRRRRrrrrrring
- Ecole Machin, draleuq j’écoute ?
-
[silence, suivi de quelques marmonnements imbitables qui me suffisent à la reconnaître]
- Ah ! Madame Daniel ! Vous tombez bien ! Justement j’allais vous appeler pour prendre des nouvelles de Monsieur Daniel ! Comment ça va-t-y ? Ça se passe-t-y bien la convalescence ?
-
Mais… Mais… J’m’appelle pas Madame Daniel ! [à en juger par la voix effarée, le mystère s’épaissit pour mon interlocutrice]
- Oh ben zut alors, j’m’avions sans doute trompé de numéro !
[clic]
Quelques jours plus tard :
-
DrrrRRrrRrrrRing
- Ecole Machin, draleuq j’écoute ?
-
All… Allô M…Mons… Monsieur D…
-
NON MADAME VOUS N’ETES PAS A LA BOUCHERIE SANZOT !
-
[voix qui s’amenuise à mesure qu’elle s’éloigne du combiné]…
Bah dis donc, ils sont vraiment pas bien là dedans… [clic]
Ainsi, peut-être grâce à la force de persuasion du Capitaine Haddock, se termina l’incroyable feuilleton Monsieur Daniel. Dommage, juste au moment où ça commençait vraiment à devenir drôle…
Quand j’y songe, je me dis que la vie est injuste : il y a sans doute là, quelque part dans la nature, un de nos frères humains nommé Monsieur Daniel, qui ignore que l’amour de sa vie le cherche désespérément et ne parvient pas à le retrouver, sans doute pour une cause dérisoire, telle qu’une dyslexie très prononcée lui faisant lire des 6 à la place des 9. Quelle misère !
Copyrat draleuq 2007