Le voeu d'un chevalier en péril
En 1248, le roi de France Louis IX, futur Saint Louis, entreprend de partir pour la septième croisade, avec la bénédiction du pape Innocent IV. Les croisés partent d'Aigues-Mortes (actuel département du Gard), passent l'hiver à Chypre, puis reprennent la mer pour aller combattre les « infidèles », syriens et égyptiens en particulier. En 1249, l'armée sainte assiège la ville de Damiette (actuelle Egypte) ; parmi les croisés qui suivent le roi, on trouve les frères Blacas, des chevaliers provençaux. Ils sont originaires de Moustiers, un village situé au coeur d'un paysage de pierre, au fond d'une vallée magnifique, près des gorges du Verdon.
Comme souvent en cette époque de guerre sainte, les chevaliers ont tendance à implorer Dieu à leur secours dans les épreuves difficiles : afin d'attirer l'attention du Créateur, de nombreux chevaliers font le voeu d'accomplir un acte extravagant si jamais ils se tirent du péril qu'ils encourent. Et, tandis que le siège de Damiette traîne en longueur, l'aîné des frères Blacas propose une issue : il fait réunir quatre navires de guerre francs en les attachant par leurs ancres, fait construire sur les ponts des bateaux des tours de bois aussi hautes que les remparts de la ville, et place des échelles aux sommets des tours pour passer les fortifications et conquérir Damiette
[1].
Avant l'assaut, les frères s'agenouillent et jurent solennellement que s'ils reviennent en leur pays, ils consacreront à leur protectrice, la Vierge du Moustiers, une chaîne en or avec une étoile en son centre, qui reliera les deux rochers surplombant leur village. Puis, la bataille s'engage, les croisés se ruent à l'assaut, et sont finalement victorieux : le 8 juin, Damiette est conquise par les croisés
[2].
Saint Louis arrivant à Damiette
Le retour au pays
En 1253, la septième croisade va vers son achèvement, après que Louis IX ait appris la mort de sa mère et régente du royaume, Blanche de Castille. Les croisés rentrent en France, un voyage au cours duquel le roi de France change profondément, pour se muer en un homme dont la piété est celle que l'Histoire a retenu pour faire de Louis IX le roi Saint-Louis. En 1254, les croisés sont de retour en France, et Blacas le preux rentre en son village pour tenir sa promesse.
Mais la mise en pratique de ce voeu est une gageure : les deux rochers qui surplombent le village sont distants de 227 mètres ! Comment faire pour trouver l'argent nécessaire à la confection d'une chaîne en or de plus de 200 mètres, qui pèserait plusieurs tonnes ? Même si l'on se contente d'une chaîne d'argent, le prix demeure totalement invraisemblable, et Blacas est face à un grave cas de conscience. Il consulte le prieur de Moustiers, qui, avec un grand bon sens, lui dit qu'une chaîne en fer avec une étoile d'argent suffira amplement, puisqu'une chaîne en or attirerait trop les convoitises des brigands. Le chevalier acquiesce, mais reste pris d'un doute : la Sainte Vierge du Moustiers n'y verra-t-elle point d'offense ? Et le prieur le rassure : « Point d'offense, mon fils ! A condition bien sûr que tu consacres une partie de la différence entre le fer et l'or à la construction d'un hospice, près de ma chapelle. Nos pauvres ont plus besoin de pain que les montagnes n'ont besoin d'or. »
Et, aujourd'hui encore, l'étoile de Moustiers-Sainte-Marie (actuel département des Alpes-de-Haute-Provence) est tendue entre les deux rochers surplombant le village : remplacée plusieurs fois au cours de l'Histoire, au fil des ravages du temps, elle rappelle le voeu pieu d'un jeune chevalier revenu sain et sauf d'Orient.
Le village de Moustiers-Sainte-Marie, aujourd'hui, et son étoile dorée,
suspendue à la chaine reliant les deux rochers.
Détail de l'étoile, qui aujourd'hui mesure 1,15 mètres de large
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1. Cette histoire est, dans d'autres sources, située lors du siège de Corfou en 1353 par l'armée de Robert de Tarente, empereur de Constantinople.
2. Le grand écrivain occitan Frédéric Mistral raconte une autre version de cette histoire : l'aîné des Blacas aurait fait ce serment alors qu'il était prisonnier des Sarrasins. Le calife de Damiette aurait fait défiler devant lui de magnifiques blondes d'Istrie et de superbes brunes de Chypre, et lui aurait dit pour le corrompre : « Choisis, Chrétien, prends la plus belle. Mais naturellement, il faut aussi que tu coiffes le turban ». Le valeureux chevalier provençal, incorruptible, aurait alors répondu : « Dieu engloutisse le renégat », et le Calife, impressionné par tant de droiture, l'aurait libéré.