Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je suis
fait comme
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Pauvre
tocard...
Somme toute, la Femme dévore affreusement la morale. Ce faisant, le temps s'évade en rampant depuis le bonheur de l'indifférence
Caporal de Bol ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

24 Mars 2007 ::

« Troisième guerre punique - Delenda est Carthago »

:: Histoire antique, -149

Ce billet fait partie d'un sujet composé de trois parties :

1. Première guerre punique - La ruine de la Sicile
2. Deuxième guerre punique - L'épopée d'Hannibal
3. Troisième guerre punique - Delenda est Carthago




Pour les détails de la troisième guerre punique, cf. notamment « Histoire générale » de Polybe, ainsi que « Histoire romaine » livre VIII, de Appien d'Alexandrie.



Encore une fois, Carthage se relève

Après la deuxième guerre punique et la défaite finale lors de la bataille de Zama, Carthage a de nouveau dû acquitter de terribles tributs de guerre : paiement d'une amende écrasante sur 50 ans, abandon de l'Espagne, interdiction d'une action militaire sans l'accord de Rome, interdiction de posséder une flotte, autant de contraintes dont les carthaginois ont dû se satisfaire. Mais après quelques dizaines d'années, la cité nord-africaine est parvenue à se redresser malgré tout : son tribut est entièrement payé, une armée fonctionnelle a été mise sur pied, et la ville commence à retrouver un peu de sa gloire et de sa puissance passées.

Le redressement économique de Carthage est certes une réussite, mais la fière cité demeure vulnérable : Massinissa, roi de Numidie, allié de Rome et grand vainqueur de la bataille de Zama, ne cesse de harceler les territoires carthaginois et de s'en arroger des portions toujours plus conséquentes. Ce puissant et très respecté personnage est alors âgé de près de 90 ans : il a connu plus de 40 de ses descendants, a vivement encouragé les arts et la littérature, a mis en place un état riche et organisé, a fondé une armée solide et obéissante, et fait rayonner son royaume en conservant son autonomie vis-à-vis des appétits expansionnistes de Rome.

Carthage supplie à plusieurs reprises Rome de la laisser se défendre contre Massinissa, elle offre de somptueux cadeaux pour se faire entendre, elle propose même de devenir un loyal sujet romain, mais à chaque fois le Sénat fait la sourde oreille : tout au plus, Rome retient un peu les ardeurs des Numides. En -187, Carthage propose de payer d'un seul coup tout ce qui lui reste de tribut, mais Rome refuse, souhaitant conserver à Carthage son statut de débiteur.

En -153, le vieux sénateur romain Marcus Porcius Caton (il est alors âgé de 81 ans), censeur[1] depuis plus de 30 ans, dirige une mission d'arbitrage diplomatique entre Carthage et la Numidie. Il constate alors l'important développement de la culture de l'olivier et de la vigne à Carthage, qui souhaite se défaire de sa dépendance vis-à-vis des importations de vin et d'huile. En outre, Caton est très impressionné par l'étonnant renouveau et le dynamisme économique de la cité, à tel point que la peur d'une nouvelle menace sur Rome s'insinue en lui : Caton a en effet servi comme soldat lors de la précédente guerre, il a combattu Hannibal, il sait à quel point Rome a failli être perdue à tout jamais face au génie militaire du célèbre général carthaginois.

Ainsi, dès son retour à Rome, Caton n'a de cesse de convaincre le Sénat qu'il faut en finir une bonne fois pour toute avec cette Carthage qui renaît de ses cendres à chaque fois qu'on la vainc : dès lors, il termine tous ses discours au Sénat par la célèbre phrase « Delenda est Carthago », qui signifie « Il faut détruire Carthage ». Il est appuyé, sinon poussé par les grands propriétaires terriens, qui voient dans l'indépendance économique de Carthage une perte financière trop importante pour eux... Au Sénat, deux partis s'opposent fermement : l'un souhaite la guerre, l'autre pas.

En -149[2], ulcérée par les incessantes incursions des troupes de Massinissa, Carthage décide de réagir et de s'y opposer par les armes : elle lève une armée de 50.000 hommes contre les Numides, mais subit une défaite à la bataille d'Oroscope. Rome y voit le prétexte qu'elle attendait, les carthaginois étant censés ne pas intervenir militairement sans son accord : plusieurs légions ainsi qu'une flotte de guerre conséquente, menées par les consuls Censorinus et Manilius, débarquent ainsi à Utique.

Afin d'apaiser la colère des romains, Carthage envoie plusieurs négociateurs pour tenter une conciliation : ils se voient alors imposer un désarmement total, la livraison de toutes ces armes et armures, ainsi que la prise de 300 otages issus des grandes familles carthaginoises. Carthage accepte ces conditions, mais le Sénat impose une dernière volonté : il exige que Carthage soit détruite, puis rebâtie à 80 stades[3] de la mer. Les carthaginois accueillent cette exigence avec indignation, et décident cette fois-ci que c'en est trop : ils refusent, se réarment avec un empressement et une efficacité incroyables, tout en consolidant les fortifications de la cité.

Le Sénat bascule dans le camp des plus belliqueux, et la guerre est déclarée.

Héroïque résistance

Rome lance donc l'assaut sur Carthage, sûre de remporter une victoire rapide : mais, à la surprise générale, les légions sont repoussées une première fois. L'armée romaine établit donc un camp, commence à construire des machines de siège, mais les carthaginois se défendent avec une audace et une astuce folles : plusieurs fois, ils repoussent les assauts adverses, et font même des sorties victorieuses parmi les rangs ennemis, provoquant de lourdes pertes chez les romains. Manilius échappe de peu à la mort, sauvé par le tribun Scipion Emilien[4], qui plusieurs fois rattrape des situations devenues périlleuses, se faisant ainsi une belle réputation.

En -148, le Sénat donne le commandement du siège à deux nouveaux généraux, les consuls Mancinus et Pison, mais sans grand succès : les légions tentent de couper les approvisionnements de Carthage en s'attaquant aux cités alliées, mais encore une fois c'est un échec cuisant, et des milliers de soldats romains meurent dans les combats. Au milieu de l'année -147, Scipion Emilien, devenu entre temps consul malgré son jeune âge, intervient une nouvelle fois in extremis et sauve Mancinus du désastre. Il devient ensuite commandant des légions romaines en Afrique, et n'a d'autre choix que de se résoudre à un long et pénible siège...

Le siège de Carthage

Dans la cité assiégée, les prisonniers romains sont suppliciés et jetés par dessus les murailles par les carthaginois : plus aucune concession ne semble vouloir être faite ! Scipion Emilien, quant à lui, commence par réorganiser et rediscipliner l'armée romain, puis il constate tout le caractère inexpugnable de Carthage, protégée par une succession de murailles épaisses, de fossés et de pieux. Il concentre donc tous ses efforts sur l'isolement des voies de ravitaillement en faisant construire une digue interdisant le passage aux navires qui parvenaient à forcer le blocus.

Aussitôt, toute la population de Carthage est mise à contribution, et, en travaillant jour et nuit, sans relâche, les carthaginois construisent 50 trirèmes et parviennent à creuser un canal leur donnant un nouvel accès à la mer ! Cette inattendue et invraisemblable flotte attaque les navires romains, mais c'est finalement un échec, et Carthage perd son accès à la mer à la fin de l'été -147. Scipion installe des machines de siège sur ces nouvelles positions face au port de Carthage, mais les assiégés réagissent à nouveau : de nuit, plusieurs hommes se faufilent entre les lignes romaines, et parviennent à incendier les catapultes et les tours de siège.

La situation se dégrade finalement pour les assiégés, avec la perte de ses principaux alliés : les légions romaines remportent une victoire décisive sur plusieurs des cités qui aidaient Carthage. Dans la foulée, Scipion Emilien parvient à prendre position à l'endroit où quelques temps auparavant il avait échoué avec ses machines de siège. Carthage réhausse encore ses fortifications et se terre à l'intérieur de ses murs.

Une fin tragique

L'année suivante, en avril -146, Carthage est au bord du gouffre : sans ressources, épuisée, affamée, sans allié, la fin apparaît comme inéluctable. Scipion Emilien décide de lancer l'assaut final sur la cité. La brèche est établie par cet avant port qu'il a eu tant de mal à conquérir, et les légions romaines se répandent dans la ville, tuant et pillant. Les rues deviennent des lieux de guérilla : chaque combattant se retranche dans les immeubles, reculant et combattant jusque sur les toits. Chaque pouce de terrain est défendu avec l'énergie du désespoir par les carthaginois, qui font de la prise de leur ville un véritable calvaire pour l'armée romaine. Au bout de six jours d'une résistance démente, Scipion Emilien décide d'en finir en incendiant la ville : alors seulement les carthaginois se rendent, et sont réduits à l'esclavage en échange de la clémence de Rome.

Seule une poignée de combattants refuse de se rendre : barricadés dans un temple, ils résistent coûte que coûte aux légions romaines. Se voyant finalement perdus, ces ultimes irréductibles incendient eux-même le temple, et se jettent dans les flammes...

Carthage est enfin rasée, et la légende prétend que les romains auraient répandu du sel sur tout le site de la cité nord africaine, afin de maudire ses terres[5]. Ce territoire devient une province romaine, et un long fossé, le fossa regia, est creusé afin de délimiter les territoires romains du royaume de Numidie. Rome, par cette victoire finale, s'est imposée comme la nouvelle puissance de méditerranée : c'est le début de sa grandeur et de sa suprématie.

_________________________________
1. Le censeur est un magistrat romain dont le rôle est, entre autres, de veiller aux bonnes moeurs des sénateurs. A ce titre, Caton fut le plus célèbre d'entre eux, tant sa rigueur et sa sévérité étaient proverbiales, et son titre est resté attaché à son patronyme : on le désigne ainsi généralement comme « Caton le censeur ».

2. Caton le censeur meurt cette même année à l'âge de 85 ans, sans avoir pu voir la destruction effective de cette cité de Carthage qu'il craignait tant.

3. 1 stade équivaut à environ 180 mètres, soit 80 stades qui équivalent à environ 14,5 kilomètres.

4. Scipion Emilien était le petit-fils adoptif de Scipion l'Africain, le grand vainqueur de la précédente guerre. Bien que plutôt reconnu pour son goût en matière artistique, il reçut le titre de « Second Africain » pour ses actes militaires au siège de Carthage. Il était aux côtés de Massinassa en tant qu'émissaire lorsque ce dernier livra bataille à Carthage l'année précédente, en -150.

5. Ceci apparaît toutefois comme comme très improbable, et demeure donc du domaine de la légende.

finipe, 00h09 :: :: :: [4 divagations]

:: COMMENTAIRES

 draleuq, le 24/03/2007 à 09h00

ah ces romains, quels humanistes ;o)

 finipe , le 24/03/2007 à 13h48

N'est-il pas... Je l'ai pas précisé, mais Scipion Emilien a eu la délicatesse de sauver un maximum d'oeuvres d'art de Carthage avant d'y mettre le feu. Il avait une âme d'artiste ce garçon décidément.

 Brath-z , le 22/02/2011 à 08h07

Tu ne crois pas si bien dire, finipe (enfin, il y a bientôt quatre ans, tu ne croyais pas si bien dire) : Scipion Emilien était un véritable esthète. Comme la moitié de l'aristocratie romaine de l'époque (l'autre moitié pestant contre cette tendance, le vieux Caton en étant justement l'exemple typique), il était féru de culture hellénistique (=culture hellénique très fortement teinté de culture orientale, après l'empire d'Alexandre) et fut l'un des plus grands collectionneurs d'objets d'art de son temps, et un grand mécène (même si le mot n'existait pas encore, puisque Mécène lui-même n'était pas encore né à l'époque) qui vivait entouré de poètes et de comédiens. On comprend qu'il était plus populaire dans les provinces soumises à Rome qu'à Rome même, où régnaient encore à l'époque les austères canons artistiques et moraux de la romanité.

 finipe , le 22/02/2011 à 14h05

C'est vrai que ces romains étaient franchement culs serrés finalement ! J'en ai lu quelques exemples criants quand j'ai écrit le billet sur l'affaire des bacchanales.

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