A l’instar de mon fraternel (ça doit être génétique), je hais novembre, ce mois de merde, pluvieux, frileux et venteux, où les fêtes des morts au combat succèdent aux fêtes des morts naturelles.
De plus, c’est la crise. Non, ce petit mot sage et monotone est inconvenant. C’est LA CRISE. Vous m’entendez ? LA CRRRRRRRIIIIIISE ! (se drape dans une soutane noire ornée d’un crucifix à l’envers, se maquille à la gothique en se dressant les cheveux sur la tête - enfin, en ne se peignant pas le matin, quoi – écarquille les yeux et lève haut vers le ciel un doigt imprécateur). Qui peut encore l’ignorer ? Et si c’est à ce point la crise, pour nous tous, oui, ah ah, et pour vous, pauvres fous, et pour vous aussi, ronds de cuir, oui, pour vous, RONDS DE CUIR (se laisse pousser les cheveux jusqu’au cul, met son cuir à franges et saute dans ses cuissardes dernière tendance, pointe un doigt accusateur et manucuré vers la caméra en pleurant à chaudes larmes devant l’audimat médusé mort de rire) , alors il ne faut pas s’étonner que les blogs aussi soient en crise !
Eh oui,
souvenez-vous : la récession a déjà commencé depuis 1990. Mon Dieu que le temps passe vite.
Alors quelle excellente occasion donc que ce 2 novembre, Jour des Morts je le rappelle, au ciel gris comme une pierre tombale, pour lancer une nouvelle réédition en série, que nous appellerons "sinistrose".
Quoi ? Vous êtes déçus ? Vous vouliez du neuf ?
M'enfin, je viens de vous le dire : nous sommes en NOVEMBRE. Et en novembre, on déprime. Et quand on déprime, rien de nouveau.
Nous ne devons pas tenter de sauver le monde, mais de subsister : c'est la seule véritable aventure qui s'offre encore à nous, en cette heure tardive de l'histoire.
F. Dürrenmatt ("Le soupçon")
T3 duplex avec vue sur mer
Ça fait rêver, non ?
Résidence au nom ronflant, interphone, garage souterrain avec le bip et la porte automatique qui vont bien, couloirs feutrés à la moquette hôtelière, locataires huppés roulant en caisses rutilantes, autant de choses nouvelles pour moi.
Certains se sentiront fondés à dire que je me la pète, et même que j’ai ressuscité dans la peau d’un bobo. Que voulez-vous, on se console comme on peut. On essaie de trouver dans un cadre de vie confortable le sourire qu’on n’a pas dans le cœur. On essaie probablement de repousser l’impression d’échec en se réfugiant dans un matérialisme peu glorieux.
Pour être parfaitement honnête, ceci n’est pas sans m’évoquer certains souvenirs mêlés d’une bonne dose d’auto dérision.
Il y a quelques années, lorsque j’ai jeté l’éponge, après deux vaines années de tentatives de conciliations avec une certaine
Samira déjà évoquée précédemment, celle-ci m’a fait part de sa ferme intention de rester désormais toute seule (là-dessus bien entendu, je ne suis pas dupe), mais surtout de trouver refuge et réconfort dans le matérialisme, en s’achetant un appartement, voire une maison, et de somptueux cabriolets.
Bien sûr, je doute d’avoir un jour à en arriver là. Déjà, n’étant pas médecin, je n’en aurai pas les moyens. Et puis la bougresse avait au moins dix longueurs d’avance en matière de goûts de luxe. Issue d’une famille nombreuse d’immigrants ghettoïsés, on sentait qu’elle avait une revanche à prendre.
Mais tout de même, on ne peut s’empêcher de tirer un certain parallèle.
Alors, est-ce que devenir bobo est suffisant pour soigner ses bobos ? Rien n’est moins sûr.
Brassage social
Il y a quelques années, lorsque j’ai dû quitter mon logement de fonction, le gars de la mairie m’a dit, alors que je ne songeais pas particulièrement à demander un logement HLM : « vous n’êtes pas prioritaire pour un logement HLM, sauf si vous demandez les ZUP, en vertu des lois sur le brassage social ».
Ça m’en avait bouché un coin, je dois le dire, qu’il existe des LOIS sur le brassage social. Je lui avais dit ce que j’en pensais, c'est-à-dire que le brassage social moi j’étais pour, à condition qu’il soit dans les deux sens et qu’on envoie aussi des familles défavorisées dans le centre ville à côté des prolos bien pensants qui se liquéfient à la seule idée de voisiner avec des arabes ou des chômeurs. Alors j’avais refusé, poliment.
Si j’avais eu le cœur et l’âme de Mère Thérésa, après cette nouvelle déconvenue sentimentale, j’aurais prononcé mes vœux, ou pris la croix, et j’aurais demandé à intégrer un T3 au huitième étage de la tour F de la cité Truc, là où on brûle les bagnoles et les caves faute de barbecue, là où y’a écrit « nique ta mère » dans l’escalier, là où l’ascenseur sent le pipi, là où les flics deviennent subitement durs d’oreille quand tu leur téléphones.
Je me serais pleinement consacré à cette mission de salut public, j’aurais fait grand frère, médiateur, la pluie et le beau temps, j’aurais fondé un club de jeunes pour prévenir la délinquance et des groupes de parole pour permettre à des voisins de 38 nationalités différentes de discuter et de se comprendre.
Assurément, ç’aurait été une expérience fantastique, enthousiasmante, j’en serais sorti grandi.
Pourtant, j’ai préféré venir me réfugier entre un jogger aux Ray Ban qui roule en Land Rover, un couple de viocs en tenue de golfeurs et une dindasse tortillant du cul dont on peut suivre à la trace les effluves de Coco Chanel plusieurs heures après son passage.
J’ai préféré laisser le tiers de mon salaire dans le loyer.
Je suis un lâche.
Là où Renaud commençait sa carrière de chansonnier en écrivant « oh putain c’qu’il est blême mon HLM », je devrai probablement me contenter d’un « oh putain c’qu’elle est rance, ma résidence ».
En plein dans le panneau-rama
Quand j’ai pu contempler, lors de la visite initiale, ce qui s’offrait à moi vu du balcon, je n’ai pas pu réprimer un sifflement d’admiration, tout en précisant toutefois à l’agent immobilier que ce serait beaucoup mieux si on démolissait les grands bâtiments blancs de part et d’autre.
- Oui, et l’arbre aussi, il faudrait l’abattre, il gêne, précise-t-il.
A ces mots, je lui jetai un regard au moins aussi hautain que dans une pub pour les rillettes Bordeau-Chesnel.
Je ne me suis quand même pas fait prier, tant ce panorama me semblait symboliser ma vie à merveille : toujours la grande bleue dans ma ligne de mire, laissant entrevoir un coin de son étendue infinie à mon œil envieux, mais toujours des trucs moches et artificiels pour m’empêcher de l’atteindre.
Copyrat draleuq 2007