Première nuit :
C'est donc l'après-midi du 26 mars que la flottille quitte le port de Falmouth, situé à 750 km de son objectif.
A peu près au même moment, à Saint-Nazaire, l'Amiral Dönitz, alors commandant en chef des sous-marins allemands, et qui remplacera un an plus tard l'Amiral Raeder en tant que commandant en chef de la Kriegsmarine, est en tournée d'inspection à Saint-Nazaire, siège d'une importante base sous-marine.
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Qu'avez-vous prévu au cas où les Anglais attaqueraient le port ? demande-t-il au lieutenant Sohler qui commande la 7ème flottille de sous-marins, basée à St Nazaire.
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Une telle éventualité fait l'objet de mesures incorporées dans un plan d'alerte, mais on la considère comme extrêmement improbable.
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Je n'en suis pas si sûr, répond Dönitz.
Il ne savait pas alors à quel point son intuition était exacte !
En attendant, la flottille adopte un déploiement imitant la recherche anti sous-marine afin de tromper d'éventuels avions de reconnaissance allemands. On n'a rien laissé au hasard : les commandos qui sont sur le pont des navires ont reçu des pulls blancs et des
duffel coats afin qu'ils soient pris pour des marins.
La "formation anti sous-marine" adoptée par la flottille durant le trajet aller pour tromper l'ennemi
(illustration tirée de la BD "Objectif St Nazaire" de J. Gille et JP. Lucas, éd. Presse Océan)
Le voyage de nuit se passe sans encombre, pendant que la flottille double la péninsule bretonne et met le cap sur le Golfe de Gascogne, toujours pour tromper l'ennemi et lui faire croire qu'elle se dirige vers le sud.
A bord, les commandos fourbissent leurs armes, piochant dans des caisses de raisins secs tenues à leur disposition, graissent les vitres des navires pour les rendre moins brillantes et moins repérables. Dans une des vedettes, il y a même un énorme jambon qui pend et chacun peut s'y découper une tranche quand il le souhaite.
Le U 593 :
A l'aube du 27 mars, la flottille hisse pavillon allemand et change brusquement de direction, mettant cap à l'est. Il est
7 h 00.
Aussitôt après, premier imprévu, et de taille : le destroyer Tynedale repère un sous-marin allemand, l'U 593. Il largue immédiatement la MGB qu'il remorque et va à sa rencontre. La première salve du Tynedale rate le
U Boot de justesse, ce dernier plonge aussitôt pour échapper à la destruction. Le Tynedale l'arrose de grenades anti-sous marines. Visiblement touché, le U Boot est forcé de refaire surface. Le Tynedale tente de l'achever d'une nouvelle salve qui le manque à nouveau de très peu. Le U 593 replonge de plus belle, mais ne reparaît pas.
Bientôt rejoint par l'Atherstone, le Tynedale passera les deux heures qui suivent à tenter de localiser le sous-marin pour en finir avec lui, mais il ne redonne pas signe de vie.
La flottille reprend donc sa route à
9 h 00, en étant réduite à espérer que le U 593 a été coulé et n'a donc pas pu signaler leur présence.
Le destroyer HMS Tynedale, qui faisait partie de l'escorte.
Il remorqua la MGB 314 dont l'autonomie était insuffisante pour supporter l'aller-retour.
Le sous-marin U 593, qui fut touché et grenadé par le Tynedale et la MGB 314, ne coula pas et signala la flottille au commandement allemand, mais sur un mauvais cap, ce qui avantagea les britanniques.
Ironie du sort, le U 593 aura sa revanche sur le Tynedale un an et demi plus tard, car c'est lui qui le coulera le 12 décembre 1943 dans la Méditerranée. Il sera toutefois lui-même coulé le lendemain, au terme d'une course poursuite de 32 heures, mais tout son équipage sera sauvé. La photo a été prise pendant qu'il sombrait.
Une flotte de chalutiers français :
En fin de matinée, nouvelle rencontre imprévue : une flotte d’une centaine de chalutiers français. Deux d'entre eux, le "Slack" et le "Nungesser et Coli", se détachent et s'approchent un peu trop près de la flottille anglaise. Ryder, craignant que des observateurs allemands déguisés, appelés "jerries", soient à bord, ou que les pêcheurs bavardent une fois rentrés au port, donne l'ordre de les arraisonner. Les équipages des deux chalutiers sont transférés sur la MGB 314, tandis que le Tynedale les coule. Le lieutenant Curtiss s'en excuse auprès d'eux au nom de sa Majesté. "C'est la guerre !", répond simplement un patron pêcheur sur un ton fataliste.
Les pêcheurs sont ensuite accueillis sur l'Atherstone où ils devront rester, et jurent à Ryder qu'il n'y a ni
boche, ni radio sur les autres chalutiers. La mission reprend son cours.
Le destroyer HMS Atherstone, deuxième de l'escorte, transporta Ryder et Newman et fut donc le bateau de commandement du raid jusqu'à ce que les deux officiers soient transférés sur la MGB 314.
Le bluff fait son oeuvre :
L'après-midi, à bord de l'Atherstone, on communique à Ryder et Newman les résultats des dernières photos de reconnaissance sur St Nazaire, et ce n'est guère encourageant : deux nouvelles batteries de canons ont été installées, et surtout, quatre torpilleurs allemands de classe "Möwe" ont quitté le port de Nantes et descendent la Loire. Ces navires, beaucoup plus puissants que ceux des britanniques, constituent de redoutables ennemis. Mais de concert, les deux chefs maintiennent la mission.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que l'arrivée de ces quatre torpilleurs ne doit rien au hasard : l'U 593, qu'ils espéraient avoir coulé le matin, avait pu refaire surface après 5 heures 1/2 de plongée. Aussitôt, il avait envoyé un message reçu par le commandement allemand à 14 h 20 et signalant la présence de "3 destroyers et une dizaine de vedettes britanniques faisant route vers le golfe de Gascogne, probablement pour mouiller des mines". Le bluff avait donc bien pris.
Les 4 torpilleurs avaient par conséquent reçu l'ordre d'intercepter la flottille, mais l'erreur commise par le sous-marin sur le cap suivi par les Anglais avait fait qu'ils étaient partis trop vers le sud et qu'ils ne les trouveraient pas.
Deuxième soirée :
A
18 h 30, le moteur de la ML 341 du Lieutenant Briault donne des signes de faiblesse. On décide de la renvoyer en Angleterre sans délai et elle fait donc demi-tour, non sans avoir au préalable transféré les commandos qu'elle transportait à bord de la ML 446 du Lieutenant Falconar, qui passe du coup du statut de vedette lance-torpilles au statut de vedette de débarquement.
Plus la journée a avancé, plus le temps s'est dégradé, et le ciel est désormais couvert et menaçant.
A
20 h 00, le point de ralliement est atteint. Le Tynedale largue la MGB 314, cette fois-ci pour de bon. Ryder et Newman sont transférés de l'Atherstone vers la MGB, leur nouveau poste de commandement. Le lieutenant Dunstan Curtiss
[1], toujours très protocolaire, souhaite la bienvenue au nouveau capitaine de la canonnière. Les deux destroyers de l'escorte n'iront pas plus loin et attendront le retour du raid. Les autres navires de la flottille prennent leur formation de combat et mettent le cap directement sur Saint-Nazaire, à une vitesse de 12 noeuds.
A
22 h 00, pile à l'heure, la flottille parvient au dernier point de rendez-vous, dit "point Z". Le sous-marin anglais Sturgeon est là, avec son feu de position, il sert de balise de navigation. Nous sommes à 70 km de l'objectif. C'est le début de la dernière ligne droite.
Le sous-marin HMS Sturgeon, ici photographié en 1935, qui servit de repère pour le dernier point de rendez-vous, dit "point Z", à 70 km de l'estuaire de Loire.
A
23 h 00, c'est l'heure de l'amorçage de la machine infernale à l'avant du Campbeltown. Nigel Tibbets se rend au chevet de "son oeuvre" et introduit un crayon explosif à retardement dans une grenade sous-marine sur trois. Ce type de retardateur n'étant pas très précis, la détonation est prévue à 7 h 00, plus ou moins deux heures, donc entre 5 h 00 et 9 h 00.
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1. Il sera décoré de la distinguished service cross.