Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je ronge mon
frein, ça fait
mal
Pauvre
tocard...
De temps en temps, l'esprit assassine irrémédiablement la démocratie. C'est ainsi que la piété filiale s'enfuit en atteignant l'extase du rationalisme
La Piscine ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

14 Décembre 2011 ::

« On a tout essayé - 1 : le protocole TIAC »

:: Professorat

Seigneur, toi qui m’observes de tout là-haut, je te remercie.
Car même si je ne travaille pas pour toi, ayant choisi l’école laïque avec impudence tel un vulgaire mécréant, je vois que tu ne m’oublies pas, et en particulier que tu n’oublies pas que j’ai un blog à tenir et que je refuse catégoriquement d’y expliquer pourquoi je n’aime pas le gâteau au chocolat, d’y dire que la guerre c’est mal et que je suis contre, d’y publier des photos de mon chien sous toutes les coutures, d’y répéter inlassablement que j’aime ma femme (même si c’est vrai), et toutes ces sortes de choses.
Merci Seigneur de peupler ma morne et terne vie professionnelle de ces choses qui n’arrivent qu’à moi, afin que je puisse amuser la galerie de mon lectorat.



Ce midi-là, après la cantine, on me désigna du doigt quatre élèves de ma classe alignés sur des chaises. A en juger par leurs mines d’enterrement, je crus dans un premier temps qu’ils étaient punis. Mais non, ils étaient tous les quatre malades, me précisa-t-on en substance. Je songeai alors à ce qui s’était passé en février, ou en l’espace de 24 heures, 14 de mes 25 élèves étaient tombés malades, emportés par une épidémie de grippe/gastro/un peu les deux… Au pic de la pandémie, le matin du deuxième jour, un élève était évacué toutes les demi-heures et on commençait à avoir une sacrée envie de faire le cours de maths avec un masque à gaz pour tenter d’échapper aux miasmes… Ceux qui restaient étaient goguenards, jusqu’au moment où c’était à leur tour de devenir tout verts.

Mais septembre, me dis-je, ce n’était ni la période de la gastro, ni celle de la grippe. Je demandai des précisions : deux d’entre eux s’étaient mis à vomir presqu’au même moment, juste en sortant de la cantine, tandis que les deux avaient été pris de violentes nausées.
- Etiez-vous à la même table ? leur dis-je.
- Oui.
- A une table de combien d’élèves ?
- Quatre.
Je renonçai très vite à me souvenir de mes lointains cours de maths sur les probabilités afin de calculer combien y avait-il de chances pour que les quatre élèves situés à la même table tombent tous les quatre malades en même temps juste en sortant de la cantine. Je conclus simplement qu’elle était extrêmement faible.

J’allai donc interroger le personnel de restauration afin de connaître le menu, et je fus assez fraîchement accueilli, il me semble que ce n’était pas qu’à cause de la proximité de la chambre froide. Je leur posai également des questions sur le conditionnement, mais il ne s’agissait que de paquets de dix ou de cinquante, ce qui voulait dire que logiquement, il n’aurait pas dû y avoir que quatre élèves malades si la cause était bien au niveau de la nourriture.

Mais je ne pouvais prendre aucun risque et j’appelai donc le médecin scolaire ainsi que les parents des quatre élèves malades. Tout ce beau monde arriva pratiquement en même temps. Le médecin m’expliqua alors qu’il nous fallait suivre un « protocole TIAC » (« Toxi-Infection Alimentaire Collective », ravi de faire votre connaissance). Les élèves furent donc auscultés et interrogés séparément, en présence de leurs parents dans l’ensemble calmes et compréhensifs, à l’exception d’une famille, représentée en l’occurrence par la grand-mère, qui arriva une bonne demi-heure après tout le monde, et m’interpella en ces termes :
- Y’en a pour longtemps là ? Parce que j’ai à faire, moi !
- Pour le temps qu’il faudra, Madame. Le temps de s’assurer que ce n’est pas grave. Et vous savez, on en est tous là : moi aussi j’ai beaucoup à faire (et en plus, je ne suis pas comme toi une enfoirée de retraitée qui court toute la journée entre la coiffeuse, le salon de thé et l’esthéticienne et qui fait chier la population active en faisant la queue à Super U juste avant la fermeture alors que t’avais toute la journée pour faire tes courses grosse coooooooooonne !)

Une fois les quatre visites médicales effectuées, les élèves furent renvoyés chez eux avec ordre d’aller voir leur médecin traitant.

Phase suivante du protocole : prévenir la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, plus connue sous le nom de DDASS grâce à la célèbre phrase : « il est de la DDASS », ce qui veut dire que c’est un pauvre gosse abandonné par ses enfoirés de parents et qu’il a donc toutes les excuses pour être bête. Mais là, dans le cas d’une intoxication alimentaire, il s’agit de la face cachée de la DDASS, celle des affaires sanitaires.
J’eus donc au téléphone une infirmière fort aimable. Je lui faxai les noms et coordonnées des enfants malades, la copie du menu. Elle m’informa que les services de contrôle vétérinaire allaient venir contrôler dans les jours à venir les installations de la cantine, ainsi que les échantillons obligatoires, qu’il fallait que je m’assure qu’ils les avaient bien gardés (c’était déjà fait, quelle anticipation !), et qu’il fallait que je lui signale aussitôt tout nouveau cas.

Nous passâmes donc à la dernière phase du protocole, car la fin de l’après-midi approchait, et avec elle le week-end. Il s’agissait de transmettre aux familles de tous les élèves ayant déjeuné à la cantine une note expliquant qu’il y avait suspicion de TIAC et que si des signes tels que nausées, vertiges, vomissements apparaissaient chez leur enfant, il fallait qu’ils consultent leur médecin immédiatement.

Le temps de faire plus de 200 photocopies, deux autres cas de nausées… J’appelai aussitôt les parents, puis la DDASS. La gentille infirmière nota les noms, puis me dit que si d’autres cas se déclaraient avant 17 heures, je pouvais la rappeler, mais que si c’était après 17 heures, je devrais attendre lundi matin.

Oui, à la DDASS, ce sont des fonctionnaires.

La distribution des fameux papiers fut faite, et fut suivie d’une curieuse avalanche de nouveaux cas de nausées, comme c’est bizarre, surtout chez les CM2 qui étaient les plus à même de comprendre le langage quelque peu médical contenu sur les fameux papiers.
Incrédule, je me disais qu’on était en train de provoquer une véritable psychose, alors que pourtant tout avait été fait pour rester le plus discret possible. Mais le protocole étant lancé, je ne pouvais plus faire marche arrière et ne pouvais prendre aucun risque. Il fallut donc encore appeler un nombre conséquent de familles, avant que la sonnerie de fin de semaine ne vînt mettre un terme à ce calvaire.

Le contrôle vétérinaire ne donna rien, et l’on ne sut jamais ce qui s’était passé.

Je m’en tirai avec un coup de fil du responsable de la restauration municipale qui m’expliqua que le pauvre personnel de cantine était traumatisé et que c’était tout juste s’il ne fallait pas lui faire ouvrir une cellule psychologique, parce que, rendez-vous compte, c’est ce qui peut arriver de pire à un cuisinier, du moins si on peut appeler ainsi quelqu’un qui se contente de faire réchauffer des plats sous cellophane tous préparés et déjà précuits. Mais à part ça, j’avais très bien fait de faire ça, et il en aurait fait autant à ma place.

Quant au médecin scolaire, il m’avoua que depuis vingt ans qu’il était en poste dans cette ville, c’était la première fois que ce genre de chose lui arrivait.

Allez, soyez pas jaloux…

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 09h06 :: :: :: [5 divagations]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 14/12/2011 à 20h23

Un cas subit d'épidémie psychologique ?

En tous les cas, j'espère pour toi que tu ne penses pas trop souvent en parenthèses, c'est un coup à s'emmêler les pinceaux et à tout dire tout haut. Surtout quand on souffre d'insomnies.

 Lohen, le 28/12/2011 à 16h43

Dommage que tu n'aies pas eu droit à la fameuse cellule psychologique. Je suis sûr que les journalistes prennent leur pied quand ils annoncent qu'il y en a une de mise en place, tellement on a l'impression qu'ils ne ratent jamais une occasion de mentionner quand c'est le cas. A moins que la France ne soit définitivement un pays de traumatisés ??

 draleuq , le 30/12/2011 à 12h31

Dans le cadre de l'école élémentaire, le seul cas où le mot "cellule" est mentionné, c'est pour "cellule de crise". Celle-ci est constituée en cas d' "évènement dramatique". La définition "d'évènement dramatique" est d'ailleurs volontairement très vague, mais en gros je pense qu'il faut quand même au minimum le décès d'un élève sur place, ou des blessures sérieuses occasionnées à plusieurs d'entre eux... Sans blessure, je pense qu'il faut au moins une prise d'otages.
Maintenant, pour en revenir à la cellule psychologique, je pense qu'elle peut être instaurée immédiatement à la demande de la cellule de crise, mais je crois à juste titre, quand je vois comment les enfants de cet âge réagissent parfois d'une façon qui peut nous paraître à nous, adultes, disproportionnée, face à un évènement d'une gravité toute relative, comme un camarade qui se blesse dans la cour et qui doit être évacué par les pompiers par mesure de précaution.

 Lohen, le 31/12/2011 à 10h21

A vrai dire, je ne me prononce pas pour les enfants, car comme tu dis, leur réaction peut parfois être incompréhensible pour nous face à des évènements que nous qualifierions de bénins.
En revanche, pour nombre d'autres cas médiatisés, j'ai tendance à croire que profusion de ces cellules psy n'est qu'une autre manifestation d'un état d'esprit qui consiste à considérer n'importe quelle personne en proie à des difficultés, comme tout à fait incapable d'y faire face.
D'ailleurs, étant donné que les études en psychologie ne débouchent pas suffisamment sur des emplois rémunérateurs (dixit les medias), c'est sans doute une bonne solution pour donner du travail à tous ceux qui choisissent cette voie ?
Bon, j'arrête l'ironie : bonnes fêtes au lion et au rat !

 draleuq , le 02/01/2012 à 17h23

Bonne année Lohen, et surtout, beaucoup d'ESPOIR à toi !!!

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