Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Je ronge mon
frein, ça fait
mal
Eh
ouais
Paradoxalement, l'envie embrasse parfaitement l'intelligence. Ainsi, l'amour s'échappe, se précipitant vers le secret de l'indifférence
Jean-Sol Partre ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

22 Septembre 2007 ::

« Le cochon régicide qui changea l'Histoire »

:: Histoire médiévale, 1131

La descendance de Louis VI le gros

Depuis son accession au trône en 1108, Louis VI s'est montré un roi plutôt habile. Rompu aux batailles, notamment grâce aux nombreux combats livrés sous le règne de son père Philippe Ier, il renforce le domaine royal, apporte la paix sur les territoires et renforce son autorité sur les vassaux qui ont trop de vélléités d'indépendance. Conseillé par Suger, le renommé et respecté abbé de Saint-Denis, le roi Louis VI mène également une politique de soutien aux territoires, en favorisant la natalité, en usant d'une fiscalité avantageuse pour les campagnes, et affranchit de nombreuses communes des fiefs dont elles dépendent, leur offrant une indépendance qui marque le tout début du déclin de la féodalité en France. Enfin, tout en s'imposant auprès des grands comtés et duchés du royaume, Louis VI favorise l'Eglise et lui offre également plus d'autonomie.

Mais les relations avec le duché de Normandie et le royaume d'Angleterre, à la tête desquels règne le très puissant Henri Ier Beauclerc, fils de Guillaume le Conquérant, sont très fluctuantes : des accords sont signés (1120), puis les disputes reprennent, une tentative d'invasion est même repoussée par le roi de France (1124), qui ne règne réellement guère plus que sur le bassin parisien.

La descendance de Louis VI est quant à elle prometteuse : marié à Adélaïde de Savoie, la nièce du pape Calixte II, le roi a associé son fils aîné Philippe à la couronne dès 1129, alors que ce dernier n'a que 13 ans. Formé à la guerre, le caractère bien trempé, le futur roi Philippe semble promis à un grand avenir. Mais le 13 octobre 1131, tandis que le jeune Philippe de France chevauche dans une rue de Paris, un cochon se fiche dans les pattes de sa monture, qui prend peur et se cabre. Philippe chute brutalement sur la tête, et meurt quelques instants plus tard des suites de sa blessure...[1]


Miniature du XIVème siècle représentant le pourceau régicide

La répudiation d'Aliénor d'Aquitaine

C'est le fils cadet de Louis VI qui devient alors héritier du trône, en 1131. Louis le jeune, ainsi qu'on le surnomme, n'est pas fait du même bois que feu son frère aîné : certes intelligent, mais très dévôt, plutôt mou et très influencé par l'Eglise, il se destinait à une vie monastique. Son père arrange un mariage avec Aliénor, unique héritière du puissant duché d'Aquitaine, qui apporterait en dot à la France un territoire gigantesque. Le 25 juillet 1137, le mariage est célébré à Bordeaux, et les festivités durent, comme à l'accoutumée, plusieurs jours. Sur le voyage du retour vers Paris, le 1er août 1137, les époux apprennent la mort de Louis VI, malade et obèse d'avoir trop abusé de la bonne chère. Louis VII devient roi, Aliénor reine, et l'abbé Suger reste à leurs côtés en tant qu'habile conseiller.

Mais les relations entre les époux ne sont pas très bonnes : Aliénor est d'une grande beauté, indépendante, elle aime la poésie, la littérature, elle monte à cheval, a des goûts luxueux, elle prise les moeurs libres que chantent les troubadours qu'elle fait venir à Paris. Cette conduite déplaît à la cour, plus froide et rigide. Louis VII, influençable et très dévôt, se brouille pourtant avec l'Eglise en imposant des évêques, ce qui lui vaut une excommunication de la part du pape Innocent II. Pour s'amender, il part pour la deuxième croisade en 1147, accompagné d'Aliénor.


Louis VII le jeune et Aliénor d'Aquitaine

Mais durant la croisade, les époux se brouillent définitivement : Aliénor est soupçonnée d'avoir une relation incestueuse avec son oncle Raymond de Poitiers, le prince d'Antioche, elle se plaint d'avoir « épousé un moine », et sa liberté de ton et de vie tranche trop singulièrement avec l'austérité de la cour. Après le désastre de la seconde croisade et le retour en France, les choses vont trop mal, et, bien que Suger le déconseille vivement à Louis VII, le mariage est annulé en 1152.

Aliénor se remarie l'année même avec Henri Plantagenêt, qui devient Henri II, roi d'Angleterre, en 1154 : l'immense duché d'Aquitaine est désormais possession de l'Angleterre, et ne retournera à la France que trois siècles plus tard !

Un cochon qui change le cours de l'Histoire ?

Le fil de l'Histoire ne peut certes pas être réécrit, mais un événement insignifiant peut avoir des conséquences très lourdes : si ce cochon n'avait pas provoqué la mort de Philippe, le fils aîné de Louis VI, le cadet ne serait pas monté sur le trône. On peut supposer qu'Aliénor aurait épousé Philippe s'il avait été roi, et les choses n'auraient probablement pas tourné de la même façon : Louis VII, dévôt et mou, influençable bien que courageux sur les champs de bataille, n'aurait alors pas répudié Aliénor, et l'Aquitaine n'aurait pas quitté le giron de la France pour faire de l'Angleterre le vassal très puissant qu'elle devint.

Car les Plantagenêts sont maîtres d'une grande partie du territoire français (l'Anjou, le Poitou, le Maine, la Normandie, et désormais l'Aquitaine), et la vassalité qui les lie au royaume de France n'est pas toujours acceptée de bonne grâce. Lorsque, deux siècles plus tard, en 1337, la guerre de cent ans débutera en raison de la querelle dynastique qui oppose la France et l'Angleterre, les Capétiens et les Plantagenêts, le très puissant duché d'Aquitaine et sa capitale Bordeaux, possessions anglaises, joueront un rôle prééminent[2]...

_________________________________
1. A la suite de cet incident, un édit royal interdit que les cochons circulent librement dans les rues. Les seuls porcs qui échappèrent à cette règle furent ceux appartenant à l'abbaye Saint-Antoine, considérés comme serviteurs des desseins divins.

2. Lire à ce propos l'excellentissime saga de Pierre Naudin « Le cycle d'Ogier d'Argouges »

finipe, 16h12 :: :: :: [4 déclarations infondées]

:: COMMENTAIRES

 draleuq , le 23/09/2007 à 15h53

Eh oui, un rien peut changer le cours de l'histoire...
Pourtant, tout est bon dans l'cochon !
Excellente anecdote, en tous cas.

 sthéouriz, le 26/09/2007 à 11h19

L'Histoire, finalement c'est un peu comme la vie : Elle ne se réécrit pas.
Alors, à quoi sert de spéculer...?
... à rêver ?

 Rikomer , le 16/02/2012 à 22h14

Je tiens à préciser que les Plantagenêts étaient une
famille issue de la noblesse franque qui étaient comtes
d'Anjou et du Maine (aujourd'hui Maine et Loire Sarthe
et Mayenne) depuis la fin du Xe siècle. Ainsi Henri II
Plantagenêt est-il né au Mans, son fils, le fameux
Richard Coeur de Lion a été élevé en Aquitaine auprès
de sa mère Aliénor, entre Tours et Poitiers.
Culturellement, la noblesse anglaise était alors
"normande" depuis la conquête de 1066 par Guillaume
duc de Normandie. Tous ces gens qui dominaient
l'Angleterre méprisaient les anglo-saxons, l'immense
majorité des seigneurs étaient alors d'origine française
et parlaient français, du moins un parlé français, le plus
souvent celui de Normandie. Avec les Plantagenêts,
c'est encore plus compliqué puisque par exemple
Richard Coeur de Lion parlait autant la langue d'oc que
la langue d'oil, langues dans lesquelles il écrivit des
poèmes. L'Angleterre n'était pas très puissante au XIIe
siècle car peu peuplée, à côté, les duchés et comtés de
Normandie, Maine Anjou et Aquitaine étaient ensembles
plus peuplés et plus riches et certainement plus
importants pour les Plantagenêts. C'est pourquoi
Richard Coeur de Lion n'a passé que six mois de sa vie
environ en Angleterre ! et ne parlait pas l'anglais. Son
règne, il l'a passé à guerroyer en France et au Proche
Orient contre respectivement Philippe Auguste et
Saladin. Ces rois d'Angleterre "français" sont peu
appréciés des historiens anglais qui leur reprochent de
ne pas s'être beaucoup occupés de l'Angleterre et ils
sont peu appréciés des historiens français qui voient en
eux l'ennemi anglais, redoutables obstacles de la
construction monarchique des capétiens.
D'ailleurs la propagande capétienne a tout fait pour que
les français acceptent le roi comme leur roi ce qui
n'était pas gagné du temps d'Henri II Plantagenêt, ce
dernier a financé la diffusion d'écrits sur le roi Arthur, de
manière à tenter d'unifier les populations sur qui il
régnait car ces écrits se basaient sur les légendes
celtes et les populations de l'ouest français ainsi que
celles d'Angleterre avaient en commun ce vieux fond
celtique. La construction d'un royaume c'est un peu
comme celle d'une nation, à coups de propagandes, cela
se joue au final à peu de choses.

 draleuq , le 21/02/2012 à 11h33

C'est quoi c'te mise en page, Rikomer, mmmmh ?
Tu as de la chance que le Lion hiberne encore, il te boufferait tout cru pour moins que ça ! :)

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