Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

J'en ai
vraiment
rat le cul...
Et ta soeur ?
De plus en plus, l'Humanité dévore atrocement le règne animal. Par là même, la piété filiale s'évade, immobile depuis l'extase des sens
Saint Tobustin ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

24 Décembre 2011 ::

« Penmarc'h : grandeur, décadence et mythe - 3ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1893

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte trois :
1. Penmarc'h : grandeur, décadence et mythe - 1ère partie
2. Penmarc'h : grandeur, décadence et mythe - 2ème partie
3. Penmarc'h : grandeur, décadence et mythe - 3ème partie


L'époque romantique

De l'époque de la grandeur de Penmarc'h, il reste des témoignages comme celui du saintongeais Jean Fonteneau qui écrit en 1544 : « Pesmarc est un grand peuple et ont force navires, les meilleurs de toute la Basse-Bretaigne », mais aussi des témoignages datant de l'époque du sac de La Fontenelle. Chroniqueur des guerres de la Ligue en Cornouaille, le chanoine Moreau vers 1600, est le premier à oser un chiffre : « Les habitants de Penmarc'h, lors en grand nombre, se glorifiaient de leurs forces, car ils pouvaient bien fournir 2500 arquebusiers, comme voulant faire une république à part. »
Nous avons également vu que Sourdéac, l'ennemi juré de La Fontenelle, avait probablement démesurément gonflé les chiffres pour charger au maximum le brigand ligueur.

Au XIXème siècle, en pleine période romantique, ce sont plutôt ces derniers témoignages, renforcés par l'impression produite sur les voyageurs par la quantité d'amas de ruines qui subsistent encore à cette époque sur le territoire de la commune bretonne, qui vont influencer les écrivains, pour le plus grand malheur de la réalité historique.
Déjà, en 1799, Jacques Cambry écrit dans son « voyage dans le finistère » : « J'ai parlé des ruines de Penmarc'h, elles annoncent une très grande population : elles sont pour les habitants du pays les ruines de la ville d'Ys. »
Jean-François Brousmiche écrit, 30 ans plus tard : « si l'on en croit les habitants, la ville florissante dont le hameau faisait partie s'étendait bien au-delà des limites que la mer lui assignent aujourd'hui. Elle en a, disent-ils, envahi une partie. Ils affirment que l'on distingue facilement sur la masse des rochers nommés les Etocs des débris d'habitations, et qu'à marée basse on peut encore même descendre des marches d'escaliers qui sont entièrement conservés. » (Voyage dans le Finistère 1829, 1830, 1831)


Les fameux rochers des Etocs, vus de la pointe de Penmarc'h. Les ruines d'une ville là-dedans ? Avec un peu d'imagination, allez...

En 1835, le chevalier de Fréminville réédite et annote Cambry : « Vers le soir, je vis se dessiner à l'horizon un amas de ruines que surmontaient de distance en distance les tours massives de quelques grandes églises : c'était la ville de Kérity-Penmarc'h, jadis importante et florissante... » (« Les antiquités du finistère »)
Dans « Finistère 1836 », Emile Souvestre écrit : « si l'on se rapporte à la tradition du pays, Penmarc'h fut autrefois aussi considérable que Nantes. »
Charles Nodier ajoute son illustre nom à la légende dans le tome consacré à la Bretagne du monumental « Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France », paru en 1845.
Des sommets sont atteints en 1893, dans « Les bigoudens de Pont l'Abbé et les pêcheurs de Penmarc'h et de la baie d'Audierne » de Gabriel Puig de Ritalongi. Pour sa part, « Penmarc'h comptait de 15 000 à 20 000 habitants, quoique quelques auteurs évaluent sa population à 30 000, et d'autres à 40 000 habitants ! »
Comme on le voit, ces braves chroniqueurs romantiques avaient une forte tendance à s'en remettre au témoignage des riverains, qui, bien qu'étant bretons et non marseillais, semblaient avoir une vaste tendance à l'extrapolation.

Quelques historiens sérieux s'efforcent de calmer les esprits, mais il faudra attendre les années 1960 pour que Penmarc'h trouve sa juste place, grâce aux archives portuaires de Bordeaux, de La Rochelle, d'Angleterre, des Flandres et de Zélande.
Plus probablement, la population de Penmarc'h atteignit, à son apogée vers 1500, la barre des 10 000 habitants, ce qui reste malgré tout considérable, quand on sait que Nantes, cette année-là, abritait 14 000 âmes, et Rennes 13 000 !

La légende de la Ville d'Ys

La version la plus ancienne de la légende d'Ys, écrite par Pierre Le Baud, date de 1495. La princesse Dahut n'y apparaît même pas. L'engloutissement d'Ys y est la punition de ses habitants pour leurs péchés. La première apparition de Dahut se fait dans « La Vie des Saints de Bretagne Armorique », d'Albert Le Grand, en 1636. Plusieurs versions courtes et romantiques se succèdent au XIXème siècle, dont une de Guy de Maupassant (1883). La première version longue et complète, résumée ci-dessous, où la Reine du Nord Malgven fait son apparition, ne date que de 1926. Elle est de Charles Guyot.

Le Roi Gradlon habitait en Cornouaille. Il possédait une flotte nombreuse, était excellent marin et gagnait souvent ses combats, pillant alors les navires ennemis et remplissant ainsi ses coffres d'or.
Un jour ses marins, fatigués de se battre dans des pays froids, se rebellèrent, beaucoup d'entre eux étant morts durant l'hiver. Ils regagnèrent leurs navires et mirent le cap vers leur terre, la Bretagne. Le Roi Gradlon les laissa partir et se retrouva seul, dans une nuit froide.
Tout à coup le roi aperçut, blanche dans le clair de lune et vêtue d'une cuirasse, une femme aux longs cheveux roux. C'etait Malgven, la Reine du Nord, souveraine boréale régnant sur les pays froids. Elle dit au Roi Gradlon: "Je te connais, tu es courageux et adroit au combat. Mon mari est vieux. Toi et moi allons le tuer. Ensuite, tu m'emmèneras dans ton pays de Cornouaille." Ils tuèrent le vieux roi du Nord, remplirent un coffre d'or et enfourchèrent Morvarc'h, le cheval magique de Malgven, et rejoignirent les bateaux de l'armée de Gradlon. Une violente tempête arriva, éparpillant les bateaux sur l'océan.
Gradlon et Malgven restèrent une année entière sur la mer. Un jour, sur un bateau, Malgven donna naissance à un enfant, une fille qu'ils appelèrent Dahut. Mais la Reine mourut en couches. Le Roi Gradlon et sa fille Dahut rentrèrent en Cornouaille. Mais le roi était si triste qu'il ne sortait plus jamais de son chateau. Dahut grandissait, elle était belle comme sa mère. Le Roi Gradlon aimait jouer avec les boucles de ses longs cheveux blonds. Dahut aimait beaucoup la mer. Un jour elle demanda a son père qu'il lui construise une ville au bord de la mer
Gradlon adorait sa fille et accepta. Plusieurs milliers d'ouvriers furent mis au travail et construisirent une ville qui semblait sortir de la mer. Pour la défendre des hautes vagues et des tempêtes, il fut construit une très haute digue encerclant la ville, avec une unique porte de bronze qui y donnait accès. Le Roi Gradlon seul en possédait la clé. On l'appela ville d'Ys
Les pêcheurs, chaque soir, voyaient sur la plage un femme qui chantait fort, peignant ses longs cheveux blonds. C'était la princesse Dahut. Elle disait "Océan, bel Ocean bleu, roule moi sur le sable, je suis ta fiancée, Océan, toi qui retournes comme tu le veux bateaux et hommes, donne moi les navires somptueux des naufrages et leurs richesses. Fais venir dans ma ville de beaux marins que je pourrai regarder."
La ville d'Ys devint alors un endroit où l'on s'amusait, la ville s'emplit de marins. Chaque jour voyait de nouveaux festins, des jeux, des danses.
Chaque jour, la princesse Dahut avait un nouveau fiancé. Le soir, elle lui mettait un masque noir sur le visage, il restait avec elle jusqu'au matin. Dès que le chant de l'alouette se faisait entendre, le masque se resserrait sur la gorge du jeune homme et étouffait le fiancé de la nuit. Un cavalier prenait alors le corps sur son cheval pour aller le jeter dans l'Océan, au delà de la baie des Trepassés.
Un jour, un chevalier étrange arriva dans la ville d'Ys, habillé de rouge. Il passa ses longues mains dans les beaux cheveux blonds de la princesse. Soudain, un grand coup de vent heurta les murailles de la ville d'Ys. "Que la tempête rugisse, les portes de la ville sont solides et c'est le Roi Gradlon, mon père, qui en possède l'unique clé », dit Dahut. "Ton père le roi dort, tu peux maintenant t'emparer de cette clé", répliqua le chevalier.
La princesse Dahut entra dans la chambre de son père, s'approcha doucement de lui et prit la clé. Son père se réveilla et elle lui dit: "Père, vite, prenons le cheval Morvarc'h, la mer a renversé les digues". Le roi prit sa fille sur le cheval, la mer était déchaînée. Dahut se serrait contre son père et lui dit: "Sauvez-moi, mon père!" Il y eut alors un grand éclair et on entendit une voix qui disait "Gradlon, lâche la princesse"
Une forme pâle comme un cadavre apparut, enveloppée dans un grand vêtement brun. C'était Saint Guénolé, qui dit à la princesse: "Malheur à toi, tu as voulu voler la clé de la ville d'Ys!" Dahut suppliait: "Sauvez-moi, emportez-moi au bout du monde!" Saint Guénolé répéta son ordre à Gradlon alors celui-ci, furieux, poussa sa fille dans la mer. Les vagues se refermèrent sur la princesse. La mer engloutit alors la ville d'Ys, dont tous les habitants périrent noyés.
Le cheval du roi repartit, bondissant sur les plages puis au travers des prés et des collines, galopant toute la nuit. Gradlon arriva enfin dans la ville ou deux rivières se rejoignent entre sept collines, Quimper. Il décida d'en faire sa capitale et y vécut le restant de ses jours. A sa mort, on sculpta sa statue dans du granit. Cette statue est aujourd'hui élevée entre les deux tours de la cathédrale Saint Corentin à Quimper. Elle représente le Roi Gradlon, à cheval, regardant en direction de la ville disparue.


Les tours de la Cathédrale St Corentin de Quimper. A noter que plusieurs versions de la légende d'Ys parlent du Moine Corentin, futur St Corentin, accompagnant St Guénolé dans ses tentatives de convaincre les habitants de la ville légendaire de cesser leurs sacrilèges et/ou d'accepter la construction d'une église dans leurs murs.

Certains racontent que Dahut, après sa mort, devint une sirène et qu'elle apparait aux pêcheurs les soirs de lune, peignant sa longue chevelure d'or. Ils appellent cette sirène la Marie Morgane. Ils disent aussi que par temps très calme on peut entendre sonner les cloches de la cité disparue.
La légende rapporte que la ville d'Ys s'élevait dans la baie de Douarnenez. Le lieu-dit Pouldavid, quelques kilomètres a l'est de la ville de Douarnenez, est la forme francisée de "Poul Dahut", le "trou de Dahut" en breton, et indique l'endroit ou la princesse fut engloutie par les flots.
On dit aussi que la ville d'Ys était la plus belle capitale du monde et que Lutèce fut baptisée Paris car "Par Ys" en breton signifie "pareille à Ys"[1].


On voit donc que la « version officielle » de la légende, si tant est qu'il y en ait une, fixe les ruines de la Ville d'Ys dans la baie de Douarnenez, et non à la Pointe de Penmarc'h. Si certains auteurs assez peu scrupuleux ont pu suggérer dans la période romantique le déplacement de cette légende à Penmarc'h, on voit bien que c'est sous l'influence des paroles des riverains. Pourquoi cela ? Était-ce pour concurrencer les pêcheurs voisins Douarnenistes ? Pour attirer les prémices du tourisme, à une époque où cette légende était en plein boom, notamment sous l'influence de Maupassant ?




Et pour finir, quelques vues du Port de St Guénolé à Penmarc'h, aujourd'hui quatrième de Bretagne (premier pour la sardine.) Cette double palissade de béton ressemble furieusement au mur de l'atlantique, mais ce n'est pas des alliés qu'elle protège, mais de la mer... Et ce n'est pas un vain mot, lorsque l'on sait que pendant les tempêtes, l'écume parvient malgré tout à inonder les quais. On peut s'en faire une idée sur la photo du bas, où un rouleau s'écrase à marée basse sur les rochers un peu au large du port, par une journée plutôt calme. On prend dès lors pleinement conscience de la raison pour laquelle les marins bretons étaient si incontournables au XVI ème siècle lorsqu'il s'agissait de caboter dans ces zones...

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1. Totalement fantaisiste bien sûr. Le nom de Paris provient de la tribu gauloise des parisii qui occupaient sa région durant l'antiquité.

draleuq, 11h09 :: :: :: [1 déclaration d'amour]

:: COMMENTAIRES

 Yves Marhic, le 11/01/2017 à 00h17

Bonjour,
Un petit rectificatif concernant votre légende de photo "Les
fameux rochers des Etocs, vus de la pointe de Penmarc'h". Il
s'agit en fait ici de l'île Nonna (Enez Nonna), que je vois de
ma fenêtre. Les Etocs, eux, se trouvent plus au sud-est, en
face de Kérity, et sont plus éloignés de la côte.
Cordialement.
YM

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