Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Faut pas se
mettre la rate
au court-bouillon
Ça c'est
balot...
Tant bien que mal, l'on décroche joyeusement le règne animal. C'est ainsi que la vie s'échappe en rampant depuis le bonheur de l'individualisme
La Piscine ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

13 Juillet 2010 ::

« Charles-Henri Sanson, la Terreur à travers les yeux du bourreau - 4 »

:: Histoire contemporaine, 1793

Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
1ère partie2ème partie3ème partie – 4ème partie – 5ème partie
6ème partie7ème partie8ème partie9ème partie





08/11/1793 : Manon Roland

Née en 1754, issue de la haute bourgeoisie provinciale, Manon Phlipon épousa en 1780 le vicomte Jean-Marie Roland de la Platière, de 20 ans son aîné. S’ennuyant ferme dans la vie conjugale, elle s’engagea corps et âme dans l’aventure révolutionnaire à partir de 1791, tout comme son mari qui devint ministre de l’intérieur sous le gouvernement girondin. Pendant ce temps, Manon ouvrit un salon où elle reçut tous les révolutionnaires influents de l’époque. Comme son mari, elle prit fait et cause pour les girondins et s’éprit d’ailleurs de l’un d’entre eux, Buzot. Fin janvier 1793, Jean-Marie Roland, fatigué des attaques des montagnards et durement choqué par la révélation de sa femme qui venait de lui avouer sa liaison avec Buzot, démissionna. Décrété d’arrestation avec les girondins, il s’enfuit à Rouen à l’été 1793, où Manon refusa de le suivre. Apprenant la mort de Manon en novembre, il se suicida avec sa canne épée dans un chemin sur la route Rouen-Paris.
De son côté, Buzot s’enfuit à Bordeaux où il se suicida également en 1794 pour échapper à l’arrestation.


Lorsqu’elle entend sa condamnation à mort, la première phrase de Manon Roland est : « Vous me jugez digne de partager le sort des grands hommes que vous avez assassinés. Je tâcherai de porter à l’échafaud le courage qu’ils ont montré. »

La toilette est un peu difficile, la condamnée étant très attachée à ses longs cheveux noirs. Elle porte ses mains à sa nuque et dit : « Au moins, laissez-en assez pour pouvoir montrer ma tête au peuple s’il demande à la voir ! »

Elle doit être exécutée en même temps qu’un autre condamné, Simon-François Lamarche, ancien directeur de la fabrication des assignats. Celui-ci est terrorisé par ce qui l’attend. Pendant tout le trajet entre la Conciergerie et la Place de la Révolution, Manon Roland n’aura de cesse que de consoler et de tenter d’encourager son compagnon d’infortune, ne se préoccupant pas des monstrueux quolibets de la foule, qui, selon Sanson, sont pires que pour les Girondins, Charlotte Corday et même Marie-Antoinette !

Lorsque le convoi arrive à l’échafaud, Lamarche flanche en descendant de la charrette. Il est livide, tremble de partout et un aide doit le soutenir.
- Je ne peux que vous épargner l’horreur de voir couler mon sang. Allez le premier, mon pauvre monsieur ![1]
Sanson dit qu’il ne peut pas laisser faire cela, qu’il a des ordres pour l’exécuter la première.
En effet, depuis la pagaille des Girondins, l’accusateur public a décidé de déterminer à l’avance l’ordre des exécutions. Pour ce faire, il considère le fait de passer en premier comme un « privilège », celui de ne pas voir couler le sang des autres avant soi. Les « chefs de complot » seront donc presque toujours exécutés en dernier, cependant que les femmes seront exécutées en premier (à moins qu’elles ne soient elles-mêmes des « chefs de complot » !)
Parce qu’elle était une femme, Fouquier-Tinville avait donc accordé à Madame Roland le « privilège » de passer en premier. Mais celle-ci ne l’entend pas de cette oreille, et insiste auprès du bourreau en souriant :
- Je suis certaine qu’on ne vous a pas donné l’ordre de refuser à une femme sa dernière prière !
Sanson finit par céder et met Lamarche, à moitié évanoui, sur la bascule. Manon Roland le regarde mourir sans frémir et s’avance d’elle-même vers la guillotine. Elle regarde une dernière fois la statue de plâtre dédiée à la liberté, qui trône toujours sur la Place depuis la fête du 10 août commémorant la Prise des Tuileries, et dit :
- O liberté, comme on t’a jouée ![2]


Manon Roland s'adressant au buste de la Liberté


11/11/1793 : Bailly, premier Maire de Paris

Né en 1736, Jean-Sylvain Bailly fut un mathématicien, un astronome et un littérateur reconnu, membre de l’académie des sciences et de l’académie française. Parmi les pères fondateurs de la Révolution, il fut député de Paris pour le Tiers-Etat et Président de l’Assemblée Nationale. Le 20 juin 1789, il fut le premier à signer le Serment du Jeu de Paume[3], et le 15 juillet 1789, il fut élu, le premier, Maire de Paris.
Suite à la fuite de la famille royale, le 20 juin 1791, connue sous le nom de « fuite de Varennes », le peuple ne faisait plus aucune confiance au Roi. A l’initiative du Club des Cordeliers[4], la signature d’une pétition pour la destitution du Roi fut organisée sur le Champ de Mars le 17 juillet 1791. Cette manifestation tourna à l’émeute : la garde nationale, commandée à l’époque par Lafayette, se fit caillasser. Un émeutier tira même sur Lafayette sans l’atteindre. Bailly, en tant que Maire, décréta la Loi Martiale qui autorisait la garde nationale à faire usage des armes pour ramener l’ordre. Lafayette ordonna dans un premier temps à ses hommes de tirer à blanc, mais la foule s’en rendit compte et recommença de plus belle ses jets de pierre. Deuxième fusillade, à balles réelles cette fois, suivie d’une charge de cavalerie : une cinquantaine de morts et une centaine de blessés restèrent sur le carreau.
Discrédités, Lafayette et Bailly démissionnèrent de leurs fonctions, respectivement en octobre et novembre 1791, et se retirèrent sur leurs terres.
Bailly fut décrété d’arrestation en juillet 1793. Il fut appelé à la barre comme témoin à charge au procès de Marie-Antoinette, mais il préféra témoigner en sa faveur, ce qui acheva de le perdre.


L’arrêt de condamnation à mort de Bailly est un peu spécial au sens où il stipule qu’il sera exécuté sur le Champ de la Fédération[5], c’est-à-dire sur le lieu-même de la fusillade qu’il a ordonnée deux ans plus tôt, et qui a motivé sa condamnation. D’autre part, il y est dit que le bourreau devra brûler devant le condamné le drapeau rouge de la Commune de Paris[6].

Bailly n’est pas encore sorti de la Conciergerie qu’il est déjà pris à partie par les
guichetiers (gardiens de prison) qui le font valdinguer entre eux, le font tomber en l’injuriant.[7] Sanson ordonne à ses aides de s’emparer du condamné et de le sortir de là pour le faire échapper à ses persécuteurs. Bailly leur dit alors en souriant et en rajustant sa chemise : « C’est que je suis un peu vieux pour ces jeux-là ! »

Après la toilette, Sanson l’encourage à se couvrir car la journée est froide.
- Avez-vous donc peur que je m’enrhume ? lui répond-il.

Jusqu’à la Place de la Révolution, Bailly est assis au fond de la charrette, et tandis que la foule l’insulte copieusement, il discute tranquillement avec le bourreau des derniers instants de quelques illustres condamnés qui l’ont précédé. Il lui demande même combien il gagne pour son travail !
Tout à coup, un aide se rend compte que quelques madriers du plancher de la guillotine ont été oubliés dans la précipitation (car l’instrument du supplice, qui a été démonté de la Place de la Révolution pour l’occasion, suit le cortège et doit être monté au champ de mars juste avant que l’ancien Maire n’y passe !) On retourne chercher les morceaux de bois, et comme il n’y a plus de place dans les autres charrettes, on les charge avec Bailly.
Le vieil homme est très gêné par les madriers, alors le bourreau lui propose de marcher à pieds, et il accepte. La foule en profite, s’infiltre, lui déchire sa chemise en lambeaux, le jette à terre. Remonté hâtivement dans la charrette, il reçoit une grêle de projectiles de toutes sortes. Malgré les prières de Sanson qui veut qu’il s’abrite, il veut faire face en disant : « Il serait fâcheux d’avoir appris à vivre avec honneur pendant cinquante-sept ans, et de ne pas savoir mourir avec courage pendant un quart d’heure ! »

En arrivant au Champ de la Fédération, les charpentiers commencent leur travail, mais la foule, furieuse, refuse que l’échafaud soit monté là, car "le sang d’un scélérat ne peut pas souiller le sol sacré où a coulé celui des martyrs" ! Les meneurs emmènent eux-mêmes les madriers dans un fossé, pendant que le condamné est entraîné par la foule, outragé, frappé, couvert de boue. Sanson le perd de vue, et quand il le retrouve, le pauvre Bailly est tout heureux… de revoir son bourreau !

Pendant que l’échafaud se monte enfin, le condamné grelotte. Quelqu’un dit :
- Tu trembles, Bailly ?
- Non, j’ai froid ! répond-il simplement.

Mais les dernières forces du condamné commencent à l’abandonner. Il est prêt de s’évanouir et réclame à boire. Quelqu’un lui jette à la figure de la boue liquide. D’autres spectateurs en sont indignés, l’un d’entre eux apporte une bouteille de vin et lui en verse un peu dans la bouche.
- Merci, dit Bailly.

Quand au bout de trois quarts d’heure, la guillotine est enfin montée, il faut soutenir l’ex-Maire pour qu’il monte.
- Vite, vite, Monsieur, finissons-en je vous en prie !
Hélas, il reste encore à accomplir la « formalité » du drapeau. Or, celui-ci est détrempé par la pluie, et on est obligé de casser quelques morceaux de bois des planches de l’échafaud pour improviser un brasier et y brûler le drapeau, ce qui prend du temps. Dans l’intervalle, Bailly menace de s’évanouir une seconde fois.

Quand le bourreau vient enfin le chercher, il se ranime un peu. Sanson lui dit :
- Courage ! Courage, Monsieur Bailly !
- Ah ! Maintenant je touche au port et…[8]


Jean-Sylvain Bailly, premier Maire de Paris


21/11/1793 : Boisguyon et Girey-Dupré

L’exécution de ces deux lascars mérite un petit détour.
Boisguyon était militaire, Girey-Dupré était un grand ami du Girondin Brissot, rédacteur du journal Girondin le « Patriote Français ».

Trois jours avant leur exécution, ils avaient hélé le bourreau en le voyant passer à la Conciergerie. Ils avaient alors fait allusion à une sorte de jeu de parodie de la guillotine à laquelle ils s’amusaient en prison avec d’autres. Quand Boisguyon eut sa réponse de Sanson, il se tourna vers Girey-Dupré et lui dit :
- Vous voyez que j’avais raison et que vous avez fort mal joué votre personnage ! Décidément, il faudra demander à Fouquier si le citoyen bourreau peut venir nous aider dans nos répétitions !
Et ils s’en allèrent en riant.

Au Tribunal Révolutionnaire, pour mieux signifier que son sort est déjà scellé, Girey-Dupré se présente en tenue d’échafaud ! Quand on le questionne sur Brissot, au lieu de le renier pour essayer de sauver sa peau, il dit simplement : « Mon intimité avec Brissot m’a convaincu qu’il avait vécu comme Aristide et qu’il est mort comme Sydney : en martyr de la liberté ! »

Lorsque Sanson vient pour la toilette, Girey-Dupré lui montre son « déguisement » en se tournant et en se retournant : « J’espère qu’il n’y manque que les ficelles, pour lesquelles vous êtes seul compétent ! », lui dit-il en lui tendant ses mains pour qu’il les lie.
Boisguyon, lui, apostrophe le bourreau en ces termes :
- C’est pour de bon aujourd’hui ! Vous serez étonné de voir comme je sais mon rôle !

Avec eux deux, un autre condamné doit être exécuté, un laboureur accusé de fabrication de faux-assignats. Dans la charrette, il explique à Boisguyon qu’il n’est pas coupable. Et celui-ci de lui répondre :
- Si de mourir deux fois pouvait te sauver, je consentirais à me prêter à l’expérience, car à présent que j’y suis, cela me semble bien peu de chose ; mais puisque c’est impossible, garde tes raisons pour le bon Dieu, devant lequel nous serons avant deux heures d’ici.
Girey-Dupré et Boisguyon entonnent une chanson que ce dernier a composée en prison.

Puis la charrette passe devant la maison de Robespierre :
- A bas le Cromwell ! A bas le dictateur, le tyran ! crie Girey-Dupré.

Après le laboureur, Boisguyon meurt sans broncher. Girey-Dupré veut parler au peuple, mais les bourreaux, qui en ont reçu l’ordre, l’en empêchent en l’empoignant et il ne peut que crier plusieurs fois : « Vive la République ! »

_________________________________
1. L’authenticité de cet épisode est contestée par certaines sources.

2. Ou, selon d’autres sources : « O liberté, que de crimes commis en ton nom ! »

3. Les députés du Tiers-Etat, unis dans la Salle du Jeu de Paume avec 43 députés de la Noblesse et quelques autres du Clergé, y jurent de ne pas quitter la salle avant d’avoir donné une constitution à la France.

4. Le Club des Cordeliers fut, comme le Club des Jacobins, très actif durant la Révolution. Plus proche des classes populaires que ce dernier, il avait cette autre différence que l’adhésion y était gratuite. Après la chute des Girondins, il se divisa en deux clans, les « Exagérés » d’Hébert et les « Indulgents » de Danton.

5. On appelait le champ de mars ainsi depuis la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790.

6. Drapeau qui sera repris comme symbole par les Communards en 1871, puis par les Communistes et Lénine dans les années 1920.

7. Selon Sanson, ces mauvais traitements se firent sur les ordres d’Hébert, leader des « Exagérés » issus du Club des Cordeliers.

8. Plusieurs historiens, dont Lamartine et Thiers, en rajoutèrent pas mal, selon le petit-fils de Sanson, sur le calvaire de Bailly : il fut dit par exemple qu’on l’avait obligé à lécher le sol du champ de mars, ou qu’on l’avait obligé à faire le tour du champ de mars en portant des pièces de la guillotine. Ces assertions sont inexactes selon le bourreau, qui précise que les circonstances du supplice furent déjà assez horribles et qu’il n’était pas nécessaire qu’on en rajoute. Notons que pour une fois, les gendarmes essayèrent de faire leur travail et de préserver le condamné de la vindicte populaire, mais malheureusement il semble qu’ils étaient loin d’être assez nombreux.

draleuq, 12h08 :: :: :: [5 déclarations d'amour]

:: COMMENTAIRES

 draleuq , le 13/07/2010 à 14h29

Dis donc le Lion, je viens de franchir la frontière du 200 000 ème mot commis sur ce site !

Fascinant, non ? :-)

Ça se fête !

 finipe , le 14/07/2010 à 00h34

Waw ! Ouais, en plus tu nous fabriques une véritable saga là : 9 parties, c'est du jamais vu... Tu as battu mon épopée sur Dolfuss.

Par contre, ton titre trop long fout la mise en page en l'air : c'est le CHAOS !!

 draleuq , le 14/07/2010 à 10h58

Bah, si y'a que ça... Suffisait de demander ! :)

 moi, le 01/06/2012 à 11h00

bon jour! ,tu veut etre mon ami ?

 draleuq , le 01/06/2012 à 13h30

Franchement ? Non.
Non seulement je suis assez circonspect, voire perplexe sur l'amitié via internet, mais en plus j'ai de vifs préjugés contre quelqu'un qui fait 3 fautes d'orthographe et 3 fautes de ponctuation dans une seule phrase de 6 mots.

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