Nous sommes en 1617. Depuis l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac en 1610, c'est son fils aîné Louis XIII qui est officiellement roi : mais ce dernier n'avait que 9 ans à la mort de son père, et c'est la reine mère, Marie de Médicis, qui assume la régence du royaume. Cette femme peu intelligente, impérieuse et au physique ingrat, exerce son autorité de façon arbitraire et délaisse le jeune roi en le considérant comme partie négligeable. Mais par-dessus tout, elle a fait de deux petits nobles italiens ses favoris : il s'agit de Concino Concini, maréchal d'Ancre, et Leonora Dori, sa femme, aussi appelée Leonora Galigaï, également soeur de lait de la reine mère.
Concini est fat, prétentieux, arrogant, détesté d'une grande partie de la Cour et du peuple français pour son attitude en général et son immense fortune en particulier, amassée sur le dos de l'Etat, avec l'assentiment de la reine mère. Elevé à la distinction de maréchal de France en 1613 sans aucun mérite martial, l'homme est de surcroît d'une ambition démesurée, et il jouit d'une grande influence politique : gouverneur de plusieurs villes du nord du royaume, surintendant de la maison de la reine, premier gentilhomme de la chambre, Concini se permet surtout d'invraisemblables familiarités envers le jeune roi Louis XIII, imitant ainsi sans vergogne le peu de cas que fait Marie de Médicis de son propre fils aîné, qui lui préfère ostensiblement son fils cadet, Gaston, le futur Gaston d'Orléans.
Concino Concini & Leonora Galigaï
Ainsi, Louis XIII est un jour reconduit à la porte du Conseil par sa mère, humilié publiquement en ces termes : « Mon fils, allez vous ébattre ailleurs ! ». Un autre jour, Concini déclare au roi : « Sire, Votre Majesté me permettra bien de me couvrir ? ». Puis, sans attendre la permission de Louis XIII, il remet son chapeau. Leonora Galigaï se plaint que le roi la dérange en faisant trop de bruit dans sa chambre. Concini se fait appeler
Monseigneur, siège au Conseil sans aucun droit, et se permet même de s'asseoir dans le fauteuil du roi !
Ulcéré par ces brimades et ces humiliations répétées, le jeune roi est devenu peu à peu taciturne, renfermé. A ses côtés pourtant, de nombreux fidèles se plaignent avec véhémence de l'intolérable et dispendieux pouvoir que détient le maréchal d'Ancre (sa fortune s'élève alors à plus de huit millions de livres, c'est-à-dire près de la moitié du budget annuel du royaume...) : parmi ces gens, on trouve notamment le duc de Luynes
[1], fauconnier royal du jeune Louis XIII, lui-même passionné par la chasse.
Duc Charles de Luynes
Le 15 avril 1617, Louis XIII reçoit une lettre anonyme, que l'on attribue généralement à Sully, l'ancien et digne ministre d'Henri IV, renvoyé par Marie de Médicis. Après une critique violente de la conduite des époux Concini, la lettre poursuit en ces termes :
[...] Cet homme et cette femme, ainsi faits et conditionnés, ont tellement abaissé les uns, corrompu les autres, par l'entière disposition qu'ils ont de toutes les charges et trésors de France, emprisonné, banni, affoibli et intimidé le reste, qu'il ne leur manque plus, pour se voir en réelle possession de la royauté, que le titre et le nom d'icelle ; à quoi ils sont aspirants par degrés, puisque l'espérance non plus que l'apparence ne leur dénie point absolument le succès, croyant voir quelque raison qu'il y avoit bien plus loin de la condition la plus vile, honteuse et abjecte qui se puisse imaginer en laquelle leur naissance les avoit soumis, au degré d'extrême hautesse où ils sont maintenant constitués, qu'il n'y a d'icelui à obtenir le nom du roi, sinon pour eux au moins pour tel qu'il leur plaira.
Autour du roi et de son confident, Luynes, quelques gentilshommes se réunissent et les palabres vont bon train : le jeune Louis hésite, ne sait que faire pour se débarrasser de cet intrigant et de sa femme. Peut-on risquer un coup de force ? Un tribunal pourrait-il réellement être réuni pour juger pareils personnages ? C'est finalement Guichard Déageant, un fonctionnaire royal ami de Luynes, qui risque le premier l'hypothèse criminelle : « Et s'il résiste ? », demande le roi ; et Guichard de répondre, catégorique « Le tuer ! ».
Louis XIII refuse, scrupuleux et tremblant. Luynes appuie cette proposition en récitant la litanie des humiliations, mais le jeune roi se mure dans un silence perplexe. Ces quelques gentilshommes vont trouver un lieutenant, Monsieur de Mesmes, qui accepte d'arrêter Concini, mais pas de l'occire. Finalement, c'est Nicolas de l'Hospital, le baron de Vitry et capitaine des gardes du corps de sa Majesté, qui accepte de se charger de l'assassinat, mais à la seule condition d'en recevoir l'ordre de la bouche même du roi. On l'introduit auprès de ce dernier, et à la question « Sire, si le maréchal se défend, que veut Sa Majesté que je fasse ? », Déageant répond à la place du monarque indécis : « Le roi entend qu'on le tue. ».
A l'énoncé de cette sentence univoque, Louis XIII se contente de baisser les yeux sans mot dire, et Vitry s'incline : « Sire, j'exécuterai vos commandements. ».
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1. La femme du duc de Luynes deviendra quelques années plus tard la redoutable duchesse de Chevreuse, personnage que j'ai plusieurs fois évoqué ici. Voir :
- « Le complot de Chalais »
- « Anne d'Autriche & Mazarin étaient-ils amants ? »