Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Ne pas juger
les gens sur la mine...
Dans tes
rêves
Somme toute, l'Homme répand irrémédiablement l'art, de sorte que l'amitié se délite en courant vers l'extase du post-modernisme
Confunius ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

28 Septembre 2011 ::

« Dernières tendances catastrophistes - 2 : menace chimique »

:: Professorat

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte deux :
1. Dernières tendances catastrophistes - 1 : menace bactériologique
2. Dernières tendances catastrophistes - 2 : menace chimique


C'est moi, le maître du feu,
Le maître du jeu, le maître du monde
Et vois ce que j'en ai fait,
Une Terre glacée, une Terre brûlée,
La Terre des hommes que les hommes abandonnent.

Je suis un homme au pied du mur
Comme une erreur de la nature
Sur la Terre sans d'autres raisons
Moi je tourne en rond, je tourne en rond.

Je suis un homme et je mesure
Toute l'horreur de ma nature
Pour ma peine, ma punition,
Moi je tourne en rond, je tourne en rond

Zazie (Je suis un homme)


Prise de conscience

Je suis sous le choc.
Il y a encore quelques jours, je dormais paisiblement sur mes deux oreilles, fort de savoir que mon école, bien que située dans un rayon de 2 à 15 km d’une demi-douzaine d’usines « Seveso 2 », n’était pas considérée comme étant dans une zone à risque, contrairement à une autre école, distante d’1 km.
En d’autres termes, les hypothétiques nuages toxiques qui eussent éventuellement pu agrémenter accidentellement le ciel de ma zone urbaine se voyaient interdire le survol de mon établissement scolaire. Quelques ennuis de moins en perspective, puisque les effets de l’ammoniaque sur l’enfant de 8 ans sont assez incertains.

Mais avant d’aller plus avant, il convient peut-être d’expliquer d’un point de vue purement formel ce qu’est une usine « Seveso 2 ». N’étant expert que des acronymes de l’Education Nationale, je ne peux que m’interroger sur le sens précis du sigle « Seveso », mais il semblerait tout à fait vraisemblable qu’il s’agisse d’une contraction de « SEVErement maSO ». En d’autres termes, ces vénérables installations industrielles, construites en zone très urbanisée bien entendu, sinon c’est pas drôle, sont susceptibles de gazer/intoxiquer/brûler/mutiler/tuer/vaporiser/annihiler/ volatiliser (ne rayez pas les mentions inutiles, ça peut aussi faire tout ça à la fois, c’est ce qu’on appelle l’octuple effet Seveso 2) des milliers de gens en quelques minutes à quelques heures, selon leur humeur du moment. Oui, elles sont très joueuses. La plus coquine d’entre elles, murmure-t-on, pourrait tout souffler dans un rayon de 70 km si elle explosait, rayon qui comporte environ 500 000 habitants. Hiroshima, à côté, serait relégué au rang de hoquet d’hirondelle grabataire. Mais ne soyez pas inquiets, car les cuves sont prévues pour résister à un crash d’avion. Non pas pour prévenir un nouveau 11 septembre, qu’allez-vous chercher là. Nous n’avons pas cette prétention, petits provinciaux que nous sommes. Non, juste parce qu’il y a un aéroport juste à côté. Sinon c’est pas drôle.


« Interdit aux nuages toxiques. Traversée d’enfants » Voilà le panneau très explicite qui surplombait mon honorable établissement, encore très récemment. A noter qu’une semblable interdiction destinée aux nuages radioactifs est stipulée au dessus de toutes les frontières de notre bel hexagone. Comme chacun sait, c’est grâce à ces dispositions salvatrices pour la sûreté nationale que la France a échappé au nuage de Tchernobyl en 1986, à l’exception peut-être de l’Alsace, si l’on prête foi aux fantasmes de quelques langues de vipères. Quand bien même ce serait le cas, il existe une explication tout à fait plausible à cette regrettable et involontaire intrusion : entendant les autochtones de cette région parler leur dialecte germanique, et voyant à l’entrée des bleds des noms tels que « Kaysersberg » ou « Truchtersheim », le nuage radioactif aura confondu les Alsaciens avec des schleus. L’erreur est humaine.

Plan Permanent de Menaces sur la Santé

Hélas ! A l’instar des jeunes, les nuages toxiques, jadis si disciplinés, ne respectent plus rien. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé sur le banc, non pas des accusés, mais d’une réunion d’information PPMS. Et ceci étant un acronyme de l’Education Nationale, je peux vous le fanfaronner, cela veut dire Plan Particulier de Mise en Sûreté.

On nous l’annonce en préambule : le département est un mauvais élève. Seules 14 % des écoles ont un PPMS. L’Inspecteur d’Académie a dû se faire taper sur les doigts comme à l’école des années 50, et il a dû assouvir sa frustration sur ses subalternes. L’objectif est donc clair, il est même claironné : il s’agit de doubler les PPMS à l’horizon de fin 2008.
En langage moins administratif, mais aussi moins politiquement correct, cela signifie : seules 14 % des écoles savent réagir en cas d’alerte chimique, il faut passer à 28 %.

Mais d’où vient donc cette lubie ? C’est un sujet sérieux, je ne dis pas qu’il faut le traiter légèrement, mais sans faire de mauvais esprit, il faut quand même dire qu’à chaque fois que l’institution prend brusquement conscience d’un truc qui craint (qui existe pourtant depuis belle lurette), c’est qu’il s’est passé quelque chose.
Et effectivement, il s’est passé quelque chose : il s’est passé AZF, à Toulouse. On en fêtait même le 6ème anniversaire ces jours-ci.


Pense-bête

Mais alors c’est quoi, un PPMS ? Eh ben, c’est de la paperasse, pour dire qui qui fait quoi, quand et où en cas d’alerte chimique.

Petit pense-bête non exhaustif :
- Prévoir le plan de confinement avec au moins 2 m3 d’air par personne. Si possible, prévoir des toilettes dans le plan de confinement (sinon, voir ci-dessous)
- Prévoir une malle de confinement avec une radio à piles, une lampe électrique, un seau (s’il n’y a pas de toilettes dans le plan de confinement), du ruban adhésif pour calfeutrer portes et fenêtres, des brassards de sécurité, des packs d’eau de source, une trousse de secours type école (avec ciseaux, gaze, désinfectant, pansements, sparadrap et pince à échardes, de quoi impressionner même le nuage toxique le plus récalcitrant)
- Prévoir un nouveau type d’alarme, car l’alarme incendie semble pour le moins inadaptée. En effet, on leur a toujours appris que lorsque cette alarme retentit, il faut sortir. Alors que là, il faut rentrer. On propose le talkie-walkie (« CP à CE1, me recevez-vous ? » - « CE1 à CP je vous reçois 5 sur 5 » - « CP à CE1 pour ordre de confinement, je répète, ordre de confinement »), la corne de brume (demander à l’Amicale des Supporters de la Vigilante de Boumdent-les-Vainlouses, ils ont peut-être des surplus), ou à défaut, aller toquer à toutes les portes.

Sketch n°1 : le technicien du risque industriel

Pour sûr, cette réunion était merveilleusement préparée. De quoi rassurer tout le monde. Ils avaient même invité un technicien spécialisé dans le risque industriel. Il s’était super bien concerté au préalable avec les gens de la mairie, présents à la réunion. Extrait de conversation :
Technicien : - Alors quel est le signal ? C’est une alarme montante et descendante diffusée par tous les canaux habituels. Tenez, la voici (il nous la fait écouter avec son ordinateur portable flambant neuf). Vous êtes en ville, normalement vous devez l’entendre partout.
Directeur : - Lors de l’exercice de l’an dernier, on ne l’a pas entendue.
Directrice : - Chez nous c’est pareil, on l’entend de nulle part !
Directeur : - Pareil chez nous !
Technicien – Eh bien, hum (air gêné, regardant les responsables municipaux)… De toute façon ne vous inquiétez pas, vous avez un quart d’heure pour vous confiner, et vous serez prévenus par téléphone par la police ou la gendarmerie. Vous avez tous le téléphone dans vos classes, n’est-ce pas ?
Directeur : - euh non, le téléphone est dans le bureau de direction pour toutes les écoles de la ville.
Technicien : - ah… (air emmerdé, puis il se reprend) Mais vous avez un téléphone sans fil ?
Directrice : - oui, mais vous avez dit tout à l’heure que l’alerte pouvait nécessiter une coupure d’électricité, or les téléphones sans fil ne fonctionnent pas sans courant.
Directeur : - Moi de toute façon, ma classe est trop loin de mon bureau, le sans fil ne porte pas jusque là.
Directeur : - Pareil pour moi !
Technicien : - Ah oui...(de plus en plus gêné, regardant avec insistance les gens de la mairie qui se planqueraient volontiers sous terre s’ils le pouvaient) Dans ce cas, vous devez au moins avoir un téléphone portable !
Directeur : - Ah ben c’est pas faute de l’avoir réclamé, mais la mairie nous l’a toujours refusé !

Sketch n°2 : la directrice d’élite

Pour sûr, cette réunion était fantastique. De quoi anéantir toutes les inquiétudes même les plus légitimes. Ils ont même invité une directrice d’école pour « témoigner » en quelque sorte de son action experte. Située dans une zone à très haut risque, elle fait figure d’ancienne combattante du PPMS. Pour vous dire, elle a même connu les deux ou trois précédents acronymes !

Elle nous déballe le contenu de sa malle, ses beaux documents en couleur remis à tous les instits et à tous ceux qui interviennent dans l’école. Elle fait la fierté de l’inspecteur qui en ronronnerait presque de satisfaction. De quoi nous rendre verts de jalousie, nous les nouveaux PPMSisés.

J’ai ouï dire il y a peu que l’usine voisine de son école a connu l’an dernier un incident qui a bien failli être catastrophique. A vrai dire, c’est même une certitude puisqu’un de mes amis était d’astreinte ce jour-là dans ladite usine, et il m’a confirmé qu’on n’était pas passé loin du désastre. Rien n’en a filtré dans la presse, naturellement.
Et donc, à cette occasion, il y a eu une alerte chimique dans cette fameuse école exemplaire en tous points. Et une mauvaise langue m’a rapporté ce qui s’était passé à cette occasion :
- Allô, Ecole Machin j’écoute…
- Oui, ici la gendarmerie. C’est pour vous dire que tout est rentré dans l’ordre. Vous pouvez vous déconfiner.
- Ah ? Il fallait se confiner ?

Alea jacta est !

Mais même les meilleures choses ont une fin. La réunion s’est donc terminée, et nous sommes chacun retournés à nos occupations, investis d’une nouvelle mission de salut public, avec, pour la plupart, un vague sourire narquois au coin de la lèvre. Something like le sourire du condamné à mort qui a accepté son destin, tu vois.

Parce que tout le monde sait parfaitement bien que quand l’usine AZF a explosé, toutes les vitres ont été soufflées à plusieurs kilomètres à la ronde.
Tout le monde sait parfaitement bien qu’AZF c’est de la roupie de sansonnet à côté de la bombe sur laquelle on est assis.
Tout le monde sait parfaitement bien que quand bien même on survivrait à l’explosion, tout le ruban adhésif du monde ne suffirait pas à calfeutrer toutes les vitres explosées, surtout en un quart d’heure.
Tout le monde sait parfaitement bien que le jour où ça arrivera, ce sera sans doute le grand voyage vers notre dernier confinement.

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 10h25 :: :: :: [3 gentillesses]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 29/09/2011 à 11h24

Je pense que les méthodes de sûreté en vigueur dans l'EN peuvent s'apparenter à ce qu'on trouve de mieux dans la méthodologie anti-risques aux États Unis d'Amérique. Donc pas de panique : si eux le font, c'est que c'est génial et efficace, donc faisons exactement pareil.

[http]

"And remember kids : if you hear the blast, if you see the flash of an atomic bomb, juste duck and cover !"

 draleuq , le 03/10/2011 à 09h36

Jolie pièce d'archive. J'aime en particulier le gamin qui se jette de son vélo pour "duck and cover" dans le caniveau.
Le premier manuel de secourisme que j'ai lu, à la fin des années 80, abordait la question de la bombe atomique dans un entrefilet, et disait un truc dans ce genre si je me souviens bien : "abritez-vous dans la cave la plus profonde et aux murs les plus épais possibles, ou à défaut, derrière tout obstacle de béton ou de pierre. Si vous êtes dans la rue et que vous n'avez rien de mieux, allongez-vous dans le caniveau."

 Brath-z , le 03/10/2011 à 23h51

Dans l'absolu, c'est vrai que ça protégera du souffle, au moins.

Après, le béton peut isoler si c'est relativement loin, mais rien ne vaut une chape de plomb.

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