Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Comme disait Joffre, je les grignote !
J'ai
faim
Paradoxalement, l'envie décroche doucement son destin. Ce faisant, l'amitié se délite en courant vers l'extase du post-modernisme
Confunius ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

31 Juillet 2010 ::

« Maman les gros bateaux qui vont sur l'eau »

:: Elucubrations

Comment espérer en l’homme? Peut-on attendre le moindre élan de solidarité fraternelle chez ce bipède égocentrique, gorgé de vinasse, rase-bitume et pousse-à-la-fiente?

(P. Desproges)


Quatre gros navires, en attendant l’autorisation d’entrer dans le chenal, se disputaient pour savoir lequel d’entre eux était capable de faire le plus de mal aux hommes, ces salopards d’esclavagistes qui leur faisaient inlassablement traverser l’océan les cales pleines à craquer, jusqu’à épuisement complet des moteurs.
Ils se chamaillaient pour savoir lequel d’entre eux avait le meilleur potentiel pour zigouiller un maximum de ces ingrats, qui, après avoir exploité leurs bateaux sans relâche pendant trente ans et parfois même cinquante ans, les envoyaient se faire démanteler sans pitié dans un pays du tiers-monde quelconque, par de la main d’œuvre à bon marché.


Le fier paquebot parla le premier. Ses collègues ne l’aimaient pas trop car ce bourgeois se la pétait un peu trop :
« Moi, dit-il, j’ai tué seize de mes visiteurs à quai, et j’en ai mutilé deux fois plus dans l’effondrement de ma passerelle. Je m’attribue cette victoire car au procès qui a lieu en ce moment, ni le chantier naval ni le constructeur de la passerelle ne veulent en assumer la responsabilité. J’imagine donc que ça doit être de ma faute. Et puis, songez un peu, je pourrais faire comme mon illustre ancêtre le Titanic et me suicider sur un iceberg de l’atlantique nord en plein hiver. En sombrant j’aurais l’immense satisfaction de les voir se débattre et geler sur place dans le bouillon la bagatelle de près de 2700 passagers et 1300 membres d’équipage, soit un score de 4000 victimes. Pas mal, non ? »


Le pétrolier, un super tanker à simple coque jaugeant 200 000 tonnes de brut, prit la parole d’une voix fatiguée :
« Séduisant, en effet. Mais si tu le permets, je pense réussir à faire bien mieux que toi dans un avenir proche. Ça fait belle lurette que je devrais être en pièces détachées, mais mon armateur en a décidé autrement en me faisant encore circuler sous un pavillon de complaisance. Il ne me manquerait plus qu’une petite avarie moteur par gros temps, et je viendrais me crever sur le premier récif venu et déverser toute la merde que je contiens sur leurs côtes, à ces peigne-culs. J’empoisonnerais et tuerais des millions de poissons et d’oiseaux de mer, de même que des milliers de cétacés piscivores, je pousserais des centaines de marins pêcheurs à la faillite et au suicide, sans parler de ceux qui vivent du tourisme sur la côte, qui viendraient par centaines avec des cirés, des pelles et des seaux, dérisoires armes contre les flots de pétrole que chaque marée amènerait et contre les galettes de mazout gluantes qui viendraient s’agglomérer aux algues, se coller aux rochers, se mélanger au sable, provoquant à long terme des milliers d’incurables cancers de la peau sur les plagistes et les dépollueurs volontaires. Ah ah ah ! Je m’en réjouis d’avance ! »


Le jeune, mais néanmoins gigantesque méthanier, arborant une coque verte rutilante et un tatouage « Liquefied Natural Gaz », interrompit le rire du vieux rafiot :
« Ça fait rêver, sans aucun doute. Mais sauf le respect que je te dois l’ancien, je peux faire bien mieux que ça. Moi, je transporte régulièrement 150 000 mètres cube de gaz liquide. Sachant que l’explosion d’une bouteille de gaz domestique peut détruire entièrement un appartement, essayez seulement d’imaginer ce que je pourrais faire avec une étincelle mal placée. Ma sortie du chantier a déjà été retardée plusieurs fois pour des problèmes d’étanchéité de mes cuves, c’est donc loin d’être irréalisable, sans parler du fait que je pourrais être une cible de choix pour des terroristes. Ce serait un sacré feu d’artifice, pour sûr : toute cette foutue ville serait soufflée comme un fétu de paille. Des centaines de types seraient carbonisés, réduits en charpie, des dizaines d’immeubles volatilisés, et même beaucoup plus loin, des milliers de gens seraient criblés d’éclats de verre, sourds, traumatisés à vie. »


Les autres navires ne purent s’empêcher de corner de brume d’admiration devant une perspective aussi spectaculaire. Mais le porte-conteneurs, qui n’avait encore rien dit jusqu’à présent, n’avait pas l’intention de laisser sa part à la péniche :
« C’est bien beau tout ça mes amis, mais dans tous les cas, cela provoque irrémédiablement votre perte. Je ne dis pas que le suicide ne vaut pas le coup si cela peut permettre de provoquer un beau massacre, mais cela pose tout de même deux grosses questions : premièrement, vous n’avez même pas la joie de profiter du spectacle, et deuxièmement, plus grave, vous n’avez plus le loisir de récidiver. »

« Oui, mais que proposes-tu de constructif, ou plutôt de destructif ? lui dit le pétrolier. Ne nous dis pas que c’est en perdant accidentellement en mer un ou deux conteneurs de produits toxiques de temps à autre que tu comptes rivaliser avec nous ! »
Les autres opinèrent de la cheminée.

« Laissez-moi finir, fit le porte-conteneurs visiblement sûr de lui. Moi mon action est peut-être moins spectaculaire, mais c’est à long terme que se mesure ma nocive efficacité. Régulièrement, des trafiquants de drogue passent de l’héroïne, du crack et autres saletés en les cachant dans des conteneurs que je transporte. Le tout est revendu à des dealers qui finissent par en vendre à la sortie des écoles. Ça fait des milliers de junkies prêts à égorger leur mère pour avoir leur dose, et qui finissent tôt ou tard entre quatre planches après avoir lentement dépéri. Il m’arrive aussi de transporter, dans les mêmes conditions, du matériel pour le compte de trafiquants d’armes. Avez-vous seulement idée de la quantité d’hommes, femmes ou enfants qu’un fusil d’assaut Kalachnikov AK 47 peut tuer avant de donner son premier signe de faiblesse ? Les passeurs se font serrer moins d’une fois sur mille. Quand ça arrive, je me fais juste arraisonner quelques jours le temps de fouiller partout, puis on me revend à un autre armateur, je change de nom et je recommence la même chose pour un autre trafiquant, ou pour le même. Et je ne vous parle même pas des marchandises tout à fait légales que je transporte : des millions de cartouches de cigarettes, des millions de bouteilles d’alcool bon marché, des milliers de tonnes de malbouffe, de quoi alimenter durablement les cimetières en cancéreux, en cirrhosés et en obèses de toutes origines et de toutes conditions ! Et tout ça, sans le moindre suicide. Je peux à loisir contempler mon œuvre, ah ah ah !»

Les autres en étaient cheminée bée. Ils en avaient les hublots tout écarquillés, et l’hélice nouée. C’est à regret qu’ils durent reconnaître d’un seul et unanime signal maritime que le porte-conteneurs était indéniablement le roi de la nuisance à l’homme.

« Mais non, les consola le vainqueur, ce n’est pas moi le recordman de la nuisance à l’homme ! Il y a bien pire que moi ! »

« C’est impossible ! Qui donc !!?? » hurlèrent les trois autres d’une même sirène.

« C’est l’homme lui-même »

Copyrat draleuq 2008

draleuq, 13h07 :: :: :: [1 cri de désespoir]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 29/06/2011 à 16h17

Pour le porte-conteneurs, il n'est pas nécessaire de mentionner la présence des trafiquants de drogue pour les classer en première position des nuissances.
En témoignent les trois articles suivants :
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