Ce billet fait partie d’un sujet qui en comporte neuf :
31/10/1793 : Les girondins
La Convention, qui gouvernait la France depuis la proclamation de la république en septembre 1792, comprenait plus de 700 députés et siégeait dans la salle du manège aux Tuileries. On pouvait la diviser en trois parties :
- Les Girondins, ainsi appelés parce que beaucoup d’entre eux venaient du sud-ouest de la France, étaient le plus souvent issus de la grande bourgeoisie provinciale. Souvent (mais pas toujours) plus modérés que les Montagnards, ils étaient plutôt opposés aux mesures d’exception, et certains d’entre eux étaient pour une monarchie constitutionnelle. Ils dominèrent la Convention de septembre 1792 à juin 1793.
- Les Montagnards, ainsi appelés parce qu’ils siégeaient sur les gradins les plus hauts, étaient davantage issus de la capitale et du peuple. Volontiers extrémistes, ils étaient favorables aux mesures d’exception, et tous ardents républicains. Ils dominèrent la Convention de juin 1793 à
la chute de Robespierre, en juillet 1794.
- La Plaine (on disait aussi « Le Marais », péjorativement), ainsi appelée parce qu’ils occupaient les gradins du bas, comprenait tous les autres députés, les plus nombreux. Selon le sujet, ils penchaient du côté des Montagnards ou des Girondins. Ils étaient souvent (mais là encore, pas toujours !) parmi les plus modérés.
Les Girondins furent vaincus par leurs adversaires Montagnards et mis en accusation en juin 1793. Beaucoup quittèrent Paris pour se cacher, mais d’autres refusèrent de le faire. Sous un chef d’accusation grotesque (« traîtres liberticides à la solde de l’étranger »), 21 d’entre eux furent jugés à partir du 24 octobre 1793, et guillotinés une semaine plus tard.
La mort des girondins fut très durement ressentie en province, et des révoltes éclatèrent un peu partout dans les régions dont ils étaient issus.
Brissot et Vergniaud, principaux leaders des girondins
Dans les jours précédant la chute des Girondins, l’accusateur public Fouquier-Tinville prévient le bourreau qu’il doit trouver des aides supplémentaires. Or curieusement, en ces temps où le travail et le pain manquent et où le spectacle des exécutions attire une foule de curieux malsains, en particulier des femmes surnommées « lécheuses de guillotine », Sanson ne trouve personne.
Un se présente pourtant, un certain André Dutruy, surnommé « Jacot », une sorte de saltimbanque, ami
d’Hébert. Faisant très mauvaise impression au bourreau, il est éconduit, mais Fouquier-Tinville intervient pour qu’il l’embauche tout de même.
Lorsque Sanson et ses aides viennent prendre possession des prisonniers, ils sont accompagnés d’un huissier du tribunal qui fait l’appel. Plusieurs répondent non sans ironie. Ainsi Vergniaud :
- Présent ! Et si vous m’assurez que notre sang suffira à cimenter la liberté, soyez les bienvenus !
Ou Ducos :
- Je n’aime point les longs discours, je ne sais pas outrager la raison et la justice (il parodie en fait
Robespierre)
L’huissier l’interrompant avec humeur, il ajoute :
- Eh bien, présent sans phrases !
Quand l’appel est terminé, tous ensemble crient « Vive la République ! »
Pendant la « toilette », ils continuent de discuter avec animation. Duprat ajoute quelques mots à une lettre que vient d’écrire Mainvielle, destinée à une femme qu’ils ont aimée tous les deux. En coupant les cheveux de Ducos, Sanson lui en arrache quelques uns, ce qui lui fait dire : « Il faut espérer que le tranchant de la guillotine coupe mieux que celui de tes ciseaux ! »
Pour la sortie, Vergniaud décide de laisser passer en premier la civière avec le cadavre de Valazé, « notre aîné dans la mort », dit-il. Celui-ci s’était enfoncé un poignard dans le cœur au Tribunal révolutionnaire, à l’annonce de leur condamnation à mort.
Ils se placent ensuite à leur guise dans les quatre charrettes qui les attendent, malgré les protestations de l’huissier qui entendait les faire monter dans l’ordre de sa liste.
Sur les quais de Seine, « Jacot » fait pour la première fois une démonstration de ses bouffonneries, enfourchant un cheval, faisant des tours d’équilibre, excitant la foule contre les condamnés. Sanson tente désespérément de lui faire cesser ses clowneries, mais il continue de plus belle. La foule prend fait et cause pour le misérable qui semble beaucoup l’amuser, et Sanson doit renoncer.
Les Girondins crient « Vive la République ! » avec la foule.
L’un d’eux dit pourtant : « La République, vous ne l’aurez pas ! »
Mais Vergniaud corrige aussitôt : « Si ! Ils l’auront ! Elle nous coûte assez cher pour que nous emportions dans la tombe l’espoir de la leur laisser ! »
A deux reprises, ils entonnent la Marseillaise.
Quand ils arrivent enfin devant la guillotine, Ducos n’a toujours pas perdu son humour :
- Quel dommage que la Convention n’ait pas décrété l’unité et l’indivisibilité de nos personnes !
Après les six premières exécutions, les paniers et la bascule sont tellement inondés de sang que Sanson ordonne de jeter des seaux d’eau et d’éponger les pièces après chaque supplice.
Pendant toute la durée de l’exécution, ceux qui restent encore en vie ne cesseront pratiquement jamais de chanter.
Bientôt, il ne reste plus que Vergniaud et Vigée.
- Plutôt la mort que l’esclavage ! crie Vergniaud avant de monter à l’échafaud.
Quant à Vigée, mort en dernier, il chante encore au moment où le couperet tombe sur sa tête.
06/11/1793 : Philippe Egalité
Louis-Philippe d’Orléans, cousin du Roi Louis XVI, fut député de la noblesse aux Etats Généraux de 1789. Tout comme Mirabeau et Lafayette, il fit partie des 47 députés de la Noblesse qui se joignirent à ceux du Tiers-Etat pour le serment du jeu de paume.
Elu député à la Convention en 1792, il se rebaptisa « Philippe Egalité » afin de faire un peu oublier ses origines nobles, et n’hésita pas à voter la mort du Roi !
[1]
Ses partisans voulurent sans doute lui faire récupérer la couronne pour un changement de dynastie, mais il ne semble pas qu’il ait eu réellement cette ambition. Ses ennemis, en revanche, ne lui pardonnèrent ni ses origines, ni sa fortune, ni surtout le fait que son fils aîné
[2] ait trahi la France et fui à l’étranger aux côtés du Général Dumouriez.
Il fut écroué à Marseille en juin 1793 avec ses deux autres fils, le Duc de Montpensier et le comte de Beaujolais.
[3] Ramené à Paris en octobre, emprisonné à la Conciergerie, il fut envoyé à la guillotine sous le prétexte de sympathie avec les Girondins (qu’il avait pourtant toujours méprisés).
Le Duc Louis-Philippe d'Orléans, alias "Philippe Egalité"
Lorsque Sanson se présente à Philippe Egalité, il cause en se promenant avec son aide de camp, le général Coustard, condamné en même temps que lui. Lorsqu’il voit le bourreau, il n’interrompt ni sa promenade, ni son bavardage.
A la demande de Sanson, il se laisse toutefois couper les cheveux sans mot dire. C’est alors que les trois autres condamnés du jour font leur apparition. Parmi eux figure Monsieur de Laroque, un noble de soixante-dix ans. Lorsque les aides veulent lui couper les cheveux, il retire sa perruque qui couvrait son crâne chauve et leur dit :
- Voici qui me dispense de cette formalité essentielle.
Puis le vieillard reconnaît le Duc d’Orléans et lui déclare alors avec indignation :
- Je ne regrette plus la vie, puisque celui qui a perdu mon pays reçoit la peine de ses crimes ; mais je suis, je vous l’avoue, Monseigneur, bien humilié d’être obligé de mourir sur le même échafaud que vous !
Egalité ne répond pas.
La charrette s’arrête volontairement plusieurs bonnes minutes devant le « Palais Egalité », ex-Palais Royal, demeure des ducs d’Orléans, sur lequel est inscrit en grosses lettres : « Propriété Nationale ». Le Duc regarde une dernière fois son ex-propriété, puis détourne les yeux avec dédain.
Mr de Laroque, exécuté le premier, met un point d’honneur à dire Adieu à ses compagnons d’infortune, y compris à l’ouvrier, sauf à Orléans auquel il n’adresse toujours pas la parole.
Philippe Egalité, passant en dernier, voit les quatre têtes tomber sans sourciller. Une fois monté sur l’échafaud, il regarde d’un air hautain la foule qui le hue, et hausse les épaules.
Les aides lui retirent son manteau et veulent lui enlever ses bottes, mais le Duc va vers la bascule tout en disant : « C’est du temps perdu, vous me débotterez bien plus aisément mort ; dépêchons-nous ! »
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1. Même Robespierre fut, parait-il, profondément écœuré de cette traitrise à son sang.
2. Qui n’est autre que le futur Louis-Philippe 1er (1773-1850), Roi des Français, qui régna sur la France de la Révolution de 1830 jusqu’à celle de 1848. Il fut le dernier roi à régner sur la France, et l’on appela son régime la « Monarchie de Juillet ».
3. Tous deux moururent prématurément (1807 et 1808), en exil, des suites de la tuberculose qu’ils avaient contractée en prison.
:: COMMENTAIRES
draleuq , le 11/07/2010 à 15h38
Et comme être sur un site d'intellectuels, comme dit skogkatt, ne nous empêche pas d'être un peu badin de temps en temps, ne trouvez pas que Brissot ressemblait à Michel Platini ? :-)
skogkatt, le 12/07/2010 à 21h16
Faut cherche un peu, les cheveux peut-être ?
En fait, Philippe Egalité, c'est quoi ? Une sorte d'égorgeur noble, son CV parle pour lui : membre du Club des Jacobins, élu à la Convention avec le soutient de la Commune de Paris, Franc-maçon... C'est qu'il avait tous les vices cet homme là !
(Je ne suis pas légitimiste au cas où on me soupçonnerait de ringardisme :-)
draleuq , le 13/07/2010 à 11h36
Il est vrai que parmi toute cette galerie de macchabées révolutionnaires étêtés, c'est loin d'être celui qui m'a été le plus sympathique, et quand on regarde sa biographie, il paraît effectivement bien louche. Sanson lui-même, d'ailleurs, tout royaliste qu'il était, fut beaucoup plus secoué par l'exécution des courageux Girondins que par la sienne.
Enfin, celui qui a tiré les marrons du feu là-dedans, c'est quand même son fils aîné, qui s'est carapaté en Angleterre, provoquant l'emprisonnement (fatal) de ses frères et l'exécution de son père, et ramenant sa gueule enfarinée 37 ans plus tard pour être sacré Roi.
Et comment ça, skogkatt, les légitimistes sont des ringards ?
Je te jette mon gant à la face, vil faquin, et tu me rendras compte de cette insulte sur le champ d'honneur demain matin à 6 heures !
Hu hu hu... allez, j'décooooonne !
Brath-z , le 13/07/2010 à 12h46
Encore un petit commentaire constructif :
"Les Montagnards, ainsi appelés parce qu’ils siégeaient sur les gradins les plus hauts"
Ce point fait débat (assez violent, étonnamment) chez les historiens modernistes : si la salle du Manège (puis celle des Machines) comporte bien des gradins, les Montagnards n'en occupaient pas toujours la partie la plus élevée. D'ailleurs, l'appellation "Montagne" était déjà utilisée dès les débuts de la Constituante de 1789 (avant l'installation au Manège) par les "patriotes" (les franges les plus radicales et les plus révolutionnaires) pour se distinguer des jacobins "mous" menés par Mirabeau puis (surtout) le triumvirat Barnave-Duport-Lameth.
C'est pourquoi certains historiens considèrent que l'appellation est plutôt due à une fresque peinte en 1789 et disparue en 1795 qui représentait "le rocher des Droits de l'Homme".
Je sais que ça ressemble à de la masturbation intellectuelle, mais c'est un débat toujours en cours.
En revanche, la "Nouvelle Montagne" de 1848 siégeait, elle, sur les sièges de gauche les plus élevés de la "salle de carton" dont l'acoustique était si déplorable qu'on surnomma rapidement les députés siégeant aux extrémités (dont la Nouvelle Montagne) les "sourds" et qu'un de ces députés du fond a lancé lors de la première séance : "L'architecte est un royaliste !"
draleuq , le 13/07/2010 à 14h06
Eh bien, je dois adorer la masturbation intellectuelle alors, car je raffole de ce genre d'anecdotes et je te remercie pour celles-ci !
Les cas sont nombreux effectivement où les noms utilisés aujourd'hui furent en vérité donnés avant... ou après !
Ainsi pour les Girondins, par exemple, cette appellation date en vérité des historiens du XIXème siècle, car au temps de la Révolution, on les appelait plutôt les "Brissotins" ou les "Rolandins".
Brath-z , le 10/05/2011 à 02h02
Je rebondis après plusieurs mois sur ta réponse : il me semble (souvenir un peu lointain) que l'appellation "brissotins" vient de Robespierre, qui haïssait littéralement Brissot (j'ai toujours trouvé qu'à côté de l'affrontement Brissot/Robespierre de 1791-1973, l'opposition Danton/Robespierre était de peu d'importance, un corrompu vendu à tout ce que la France comptait d'ennemis mais n'en faisait qu'à sa tête ne constituant pas dans mon imaginaire personnel un ennemi digne de l'Incorruptible, si brillant orateur fut-il... Sans son procès, on n'aurait jamais retenu le nom de Danton !) et affublait de ce surnom (particulièrement détestable pour lui) ceux des députés de la "Gironde" qu'il méprisait (ça, les témoins sont unanimes : il avait le mépris facile et la haine rare et tenace, le Maximilien !).
C'est son "ami" Desmoulins (les thèses les plus récentes ont relativisé cette amitié, qui semble avoir été essentiellement instrumentalisée par Desmoulins pour se "faire un nom" de journaliste grâce à son ancien condisciple de Louis-le-Grand, célèbre dès 1790 et qui était surnommé avec Pétion "les jumeaux de la Liberté" ou encore, au départ par dérision par opposition au surnom de Mirabeau, "la torche de Provence, "la chandelle d'Arras") qui a semble-t-il popularisé l'appellation "brissotins" avec son "Histoire des Brissotins", pamphlet dont il dira qu'il les a (involontairement) envoyé à l'échafaud.
Toujours sur Brissot : il était, paraît-il, d'une faiblesse physique proverbiale, sarcastique à souhait et jamais en manque d'une cruauté à dire dans les salons de ses chers amis Roland. Une chose en tous cas est assurée : grâce à sa correspondance personnelle, on sait depuis les années 1950 que le plus fougueux partisan officiel de la guerre contre l'Autriche et la Prusse (à l'assemblée législative de 1791-1792 comme au club des Jacobins) comptait que Louis XVI y opposerait son veto. En effet, d'après lui, la guerre était populaire, donc il fallait la soutenir, mais elle n'était pas souhaitable, donc il ne fallait pas la faire. Lorsque le roi accepta finalement après une entrevue houleuse avec son ministère de déclarer la guerre, le lâche Brissot aurait déclaré à un ami : "de toutes façons, nous ne la ferrons pas nous-mêmes !"
C'est amusant comme les personnages les plus détestables par leurs agissements accumulent parfois les pires défauts moraux. Brissot, Hébert... deux lâches démagogues adeptes de la politique du pire qui refusèrent toujours d'assumer leurs responsabilités et firent montre d'une couardise risible face au sort qu'ils réservaient à leurs ennemis.