Trajet des différents éléments de la flottille lors du raid.
Les objectifs du raid sur une photo aérienne (photo draleuq).
Coup pour coup :
Aussitôt, les balles traçantes se mettent à pleuvoir sur le Campbeltown, montrant le chemin aux obus de plus gros calibre. Le vieux destroyer, nettement plus grand que les autres navires, s'attire dans un premier temps presque tous les tirs ennemis.
Le Sperrbrecher 137 commence à lui tirer dessus avec son dangereux canon de 88 mm. A l'avant de la MGB 314, qui ouvre toujours le chemin, le matelot Savage, aux commandes du "pom pom" 40 mm, réalise aussitôt le danger que ce canon fait courir à la mission, et il le réduit au silence de plusieurs rafales bien senties.
Passant à côté du Sperrbrecher désarmé, toutes les vedettes de la colonne tribord en profitent pour faire feu de tous leurs canons et mitrailleuses sur le bateau blessé, qui pour finir se prend même un obus de 75 mm allemand en provenance de Chemoulin, et coule.
Les britanniques, bien qu'aveuglés par les projecteurs, ripostent rageusement aux tirs allemands. Les "pom pom" et les mitrailleuses maniés par les marins, et les mitrailleuses légères "bren" des commandos visent au jugé les points de départ des rafales allemandes et les sources des faisceaux lumineux.
Plusieurs canons côtiers sont réduits au silence, et plusieurs projecteurs détruits. L'intensité des tirs allemands faiblit même un moment.
Etant données les conditions de tir calamiteuses, selon le rapport du Capitaine Ryder,
"l'efficacité des tirs britanniques fut un triomphe".
A gauche : Canon à tir rapide Oerlikon 20 mm, surnommé "pom pom" en raison
de son bruit caractéristique. Cadence 450 coups/mn.
A droite : Mitrailleuse légère Bren. Un commando dans chaque équipe de protection en portait une.
Enfer sur le Campbeltown :
Mais cette accalmie est de courte durée, et le Campbeltown, toujours cible privilégiée, n'est pas pour autant tiré d'affaire... Dans les huit tourelles où des matelots défendent leur navire avec des rafales de "pom pom" 20 mm, deux d'entre eux sont tués à leur poste. Aussitôt, d'autres marins se ruent pour les remplacer.
Sur le pont du destroyer, la situation n'est pas plus enviable : des hommes tombent tout autour du capitaine Beattie. Le bosco et le barreur sont tués à leur poste. Un second barreur est tué à son tour. Le capitaine Bob Montgomery, un commando, commandant en second des équipes de démolition, se dirige vers la barre en croyant qu’il est le seul survivant, tout en se demandant ce qu’il va en faire ! Mais le lieutenant Nigel Tibbets, aussi imperturbable que son capitaine, le devance pour prendre la barre en disant tranquillement :
"je vais la prendre, mon vieux". Le pont est bientôt jonché de morts et de blessés. La plupart des commandos qui s'y trouvent sont blessés au moins une fois.
De la canonnière MGB qui ouvre toujours le chemin, le Lieutenant Colonel Newman assiste impuissant au carnage :
"le poids du feu coupait le souffle. Les côtés du navire semblaient vivants sous l'éclatement des obus" écrira-t-il plus tard dans son rapport.
La batterie de 4 canons de 75 mm du Pointeau, à St Brévin, tirera à elle toute seule la bagatelle de 1 300 obus en une heure !
L'unique canon de 76 mm du Campbeltown est bientôt abattu par un obus de gros calibre qui tue également plusieurs commandos qui se trouvaient autour. L'explosion aveugle momentanément le capitaine Beattie. Mais quand il recouvre ses sens, il distingue la jetée du Vieux Môle juste à sa gauche, que par chance les Allemands viennent juste d’illuminer avec des projecteurs, ce qui lui fournit un excellent point de repère. Il se trouve bientôt en vue de son objectif.
Le canon de 76 mm du Campbeltown, récupéré après son explosion, est aujourd'hui exposé "Place du Commando", à côté du monument à la mémoire des morts du raid. (photo draleuq)
La colonne bâbord des vedettes émet alors de la fumée et vire pour se diriger vers le débarcadère du Vieux Môle, pendant que le Campbeltown poursuit vers la forme Joubert.
Un peu plus loin, la MGB s'écarte pour laisser la voie libre au destroyer, pendant que Beattie, toujours aussi flegmatique, ordonne les corrections de cap, aussitôt répétées et appliquées par Tibbets.
A 20 noeuds, les 1 000 tonnes du Campbeltown déchirent sans difficulté le filet pare-torpilles qui protège la forme-écluse, dans un grincement métallique.
"Préparez-vous à l'éperonnage." dit Beattie.
A 1 h 34, dans un fracas épouvantable, le Campbeltown s'encastre de près de 11 m. dans la porte écluse sud du Dock Normandie. Selon une source, 5 hommes sont tués dans la collision.
"Nous y voilà, avec 4 minutes de retard." dit simplement Beattie en regardant sa montre.
A gauche : le HMS Campbeltown au petit matin, avant l'explosion, encastré de 11 m. dans le caisson de la forme écluse Joubert par la proue, et sabordé par l'arrière.
A droite : le capitaine Stephen Beattie, commandant du HMS Campbeltown. Il survécut miraculeusement à la destruction de la ML qui l'évacuait, fut recueilli dans la Loire et fait prisonnier. Il était en cours d'interrogatoire, le 28 mars à 11 h 45, quand son ex-navire explosa, soufflant la vitre du bureau où il se trouvait. Il fut l'un des 5 hommes du raid à être décoré de la Victoria Cross.
Tibbets, l'expert en explosifs, amorce la charge à retardement qui sabordera plus tard le Campbeltown par l'arrière, privant les Allemands de toute possibilité de l'extraire de la porte avant l'heure du "grand boum".
Pendant ce temps-là, sur le pont, tous les commandos valides, même les blessés, comme nous allons le voir, se préparent à descendre de chaque côté de la proue du navire par des échelles métalliques prévues à cet effet, pour se ruer vers leurs objectifs.
Mais nous y reviendrons plus tard, après avoir envisagé de plus près les mésaventures des colonnes de vedettes ML, qui, au moment où le Campbeltown percute le caisson, ont hélas déjà commencé...
Aujourd'hui, la porte-écluse sud de la forme Joubert (ici occupée par le "Rotterdam Trader"), vue de la jetée du Vieux Môle. Au milieu, il s'agit des vestiges de l'embarcadère du Bac de Mindin qui permettait aux voitures de traverser la Loire avant l'existence du Pont St Nazaire-St Brévin. (photo draleuq)
Le cauchemar de la colonne bâbord :
Commençons par la colonne bâbord, qui a quitté la première la formation pour contourner la jetée du Vieux Môle par la droite et y débarquer.
La mission globale des commandos de cette colonne est de neutraliser les deux bunkers et tous les Allemands qui se trouvent sur cette jetée, puis de conserver le contrôle de cette jetée qui doit servir de point de réembarquement pour l'ensemble de tous les commandos débarqués des deux colonnes de vedettes et du Campbeltown.
Les commandos de cette colonne doivent aussi faire sauter plusieurs installations de la partie sud du port, notamment le pont levant, nommé "iron bridge" par les Anglais, et les écluses de l'entrée sud (ou nouvelle entrée).
La jetée du Vieux Môle et son débarcadère. Seule une vedette sur sept parvint à y déposer ses commandos, avec le Capitaine Pritchard et les Lieutenants Walton et Watson. C'était le point de réembarquement prévu, mais il resta aux mains des Allemands, privant les commandos de toute retraite vers la mer. (photo draleuq)
La
ML 447 du Lt Platt transporte 14 commandos menés par le capitaine Birney, qui ont la lourde tâche de conquérir la jetée et de nettoyer les bunkers. Première de la colonne, elle attire inévitablement une concentration du feu ennemi. Avant même de s'approcher du débarcadère, plusieurs marins et commandos sont touchés. Mais Platt tente tout de même une approche. Malheureusement, il dépasse légèrement l'endroit où il pourrait accoster et doit manoeuvrer pour faire demi-tour et tenter une nouvelle fois sa chance. C'est à ce moment qu'il est pris pour cible par une fusillade d'armes de petit calibre, et que sa machinerie est touchée de plein fouet par un obus. Platt (décoré du distinguished service order) ordonne à tous ceux qui le peuvent d'abandonner la vedette en flammes. Quelques uns gagnent la berge à la nage, d'autres sont recueillis à bord de la ML 160 du Lt Boyd.
Le capitaine David Leslie Birney ne survécut pas à la destruction de la ML 447. A droite, sa tombe au cimetière de Cuy à Escoublac. On y lit : "captain DL Birney. The Rifle Brigade. No2 Commando. 28 th april 1942. Age 27" Il est le seul des victimes du commando dont les tombes se trouvent dans ce cimetière à avoir une date de décès aussi tardive (28 avril au lieu de 28 mars). Est-ce une erreur ? Ou a-t-il mis un mois à mourir de ses blessures ? (photo draleuq)
La
ML 457 du Lieutenant Collier s'approche à son tour du débarcadère du Vieux Môle. Elle transporte 20 commandos répartis en trois équipes :
- Le groupe de commandement du Capitaine Pritchard, l'expert en explosifs et spécialiste de la destruction des ponts et des écluses, qui doit coordonner par la suite tous les commandos de la colonne bâbord.
- Le groupe de démolition du Lieutenant Walton, chargé de faire sauter le pont levant qui sépare la vieille ville du reste de la cité.
- Le groupe de protection du Lieutenant Watson, chargé de protéger celui de Walton.
Collier parvient à débarquer ses 20 commandos (nous verrons leur destin plus loin dans notre récit). Il sera le seul de toute la colonne ! En s'éloignant, il est touché et un incendie se déclare à bord. La ML 262 du Lieutenant Burt, de la colonne tribord, qui regagnait le large après avoir débarqué et réembarqué ses commandos à l'entrée est, et réembarqué l'équipe de commandos du lieutenant Smalley, se porte alors à son secours. Mais les deux navires ensemble font une excellente cible et sont immédiatement dévastés par des obus d'artillerie lourde. Le lieutenant Collier est tué.
La
ML 307 du Lieutenant Wallis arrive à son tour en vue du débarcadère. Comme Platt, il méjuge la distance et rate son approche. Alors qu'il manoeuvre pour tenter une deuxième approche, il s'échoue dans un objet immergé et se retrouve immobilisé un moment. Devenue une cible facile, la vedette est touchée par de nombreuses rafales et il y a de nombreuses pertes parmi les commandos, au point que le Capitaine Bradley, dont l'équipe devait se charger de démolir une des écluses de l'entrée sud, estime qu'il n'est plus en mesure d'accomplir sa mission. En accord avec Wallis (décoré de la distinguished service cross), la vedette se retire donc avec l'intention d'engager les canons et les projecteurs qui gêneraient les autres navires.
Quand vient le tour des trois dernières vedettes, la
ML 443 du Lieutenant Horlock, la
ML 306 du Lieutenant Henderson et la
ML 446 du Lieutenant Falconar, pour tenter d'accoster, les abords du Vieux Môle sont un lieu d'apocalypse. Les épaves des ML 447, 457 et 262 dérivent en flammes, au milieu des incendies de flaques de fuel fort dangereuses pour les embarcations en bois. Les bunkers du Vieux Môle, toujours aux mains des Allemands, crachent la mort sur les bateaux, qui sont accueillis à la mitraillette et à la grenade dès qu'ils s'approchent. Les équipages des trois dernières vedettes doivent, la mort dans l'âme, reculer et renoncer à débarquer leurs commandos.
A gauche : A la pointe de l'Eve, blockhaüs pour canon de gros calibre, probablement de 150 mm. On voit que l'ouvrage comportait sur le toit un leurre destiné à ce que les éventuels avions ennemis le prennent pour une maison.
A droite : A l'intérieur du fort, bariolé de tags, un dernier vestige de canon allemand. D'une manière générale, l'artillerie navale allemande fit un véritable carnage parmi les pauvres vedettes ML britanniques de bois. (photos draleuq)
Le martyre de la colonne tribord :
Les commandos de la colonne tribord, eux, doivent notamment détruire des objectifs secondaires et nettoyer toutes les poches de résistance ennemies entre la vieille entrée et le Vieux Môle pour assurer aux démolisseurs descendus du Campbeltown une retraite sûre vers la jetée du Vieux Môle, point prévu pour le réembarquement. Hélas, le sort des vedettes de ce côté sera pire encore que de l'autre.
La
ML 192 du Lieutenant Stephens, première de la colonne, s'attire très vite de gros ennuis : elle est touchée par un obus de gros calibre avant même que le Campbeltown n'ait embouti le caisson. Ses machines fortement endommagées, la vedette est hors de contrôle et va s'écraser dans un mur. Stephens
[1] (décoré de la distinguished service cross) donne l'ordre d'abandonner le navire : les blessés sont descendus dans des canots de sauvetage, les autres ne peuvent pas débarquer à cause de la hauteur du mur. Le capitaine Michael Burn, chef des commandos, réussit pourtant à mener quelques hommes, à la nage, à leur faire prendre pied sur le quai, et les emmène jusqu'à leur objectif initial, des tours de DCA. Mais celles-ci sont vides ! Capturé une première fois par trois Allemands qui hésitent à le tuer, il parvient à leur échapper mais est capturé à nouveau par une patrouille. Il sera le seul survivant de son groupe.
Le capitaine Michael Burn, immortalisé par une des plus célèbres photos du raid : prisonnier et voyant qu'il est photographié par la propagande allemande, il fait discrètement, de la main gauche, le V de la victoire. Burn avait été, dans les années 30, un admirateur du nazisme, et avait même rencontré Hitler en personne lorsqu'il travaillait comme correspondant du Times, avant de déchanter quand on lui fit visiter le camp de concentration de Dachau, à tel point qu'il s'engagea dans l'armée britannique peu après. Cherchant toujours à s'évader, il fut interné dans la forteresse de Colditz que les Allemands réservaient aux fortes têtes. Il fut décoré de la Military Cross à sa libération, puis de la Légion d’Honneur en 2006, à l’âge vénérable de 96 ans. Il décéda un an plus tard. Poète, il fit son coming out sur le tard, et révéla avoir été l'amant de l'espion pro-soviétique Guy Burgess ! Il rencontra également Roosevelt et sauva la vie d'Audrey Hepburn ! Il a écrit ses mémoires, dont un film documentaire de Greg Oliver a été tiré : "Towards the Sun"
A bord de la
ML 262, le Lieutenant Burt, aveuglé par les projecteurs ennemis, rate complètement la vieille entrée et continue sur sa lancée, remontant la Loire sur plusieurs centaines de mètres.
La
ML 267 du Lieutenant Beart, qui le suivait d'assez près, continue dans son sillage. Le temps de faire demi-tour, ces deux vedettes ne reviendront qu'après toutes les autres.
Sur la
ML 268, le Lieutenant Tillie a vu l'erreur des deux précédents et entreprend l'approche prévue par le plan, mais sa vedette est aussitôt prise pour cible par des tirs nourris à très courte portée, et prend feu. Tillie et la moitié de ses matelots ont le temps de sauter à l'eau juste avant que le navire n'explose. 16 des 18 commandos à bord ont été tués dans la déflagration, dont les deux officiers, le Capitaine Harold Pennington et le Second Lieutenant Morgan Jenkins.
La
ML 156, elle, a déjà été touchée plusieurs fois en remontant la Loire. Son commandant, le Lieutenant Fenton, et le Capitaine Hooper, des commandos, ont tous deux été blessés par le même obus qui a explosé sur le pont. Affaibli, Fenton (décoré de la distinguished service cross) dépasse l'entrée est et commence un large cercle pour faire demi-tour. Il cède alors le commandement à son second, qui est touché à son tour. Les trois principaux officiers hors de combat, décision est prise de battre en retraite, et aucun commando n'est débarqué.
Le capitaine Richard Henry Hooper, grièvement blessé par un obus, n'a jamais pu débarquer à St Nazaire. Il prendra sa revanche un an et demi plus tard en gagnant la Military Cross à Scaletta, en Sicile, où il sera à nouveau blessé d'une balle à l'épaule.
La
ML 177 du lieutenant Rodier, dernière de la colonne, parvient à accoster sur la rive nord de la vieille entrée, et y débarque les commandos du Sergent Major Haines, un tireur d'élite qui fera de véritables exploits, comme nous le verrons plus tard. La ML 177 est la première qui atteint l'objectif en restant à flot : du Campbeltown, Beattie appelle donc Rodier de son mégaphone afin qu'il vienne récupérer des marins à bord du destroyer échoué dans la porte écluse. Rodier s'exécute aussitôt, et vient s'accoter au navire bélier, prenant notamment à son bord Beattie lui-même, et le Lieutenant Tibbets. C'est avec 50 hommes à son bord que la vedette fonce vers la haute mer, dépassant la ML 156 de Fenton, très abîmée. Mais tout près du but, la vedette de Rodier est touchée de plein fouet par un obus de 75 mm en provenance du Pointeau, et coule. Nigel Tibbets périt dans le naufrage, de même que le Lieutenant Rodier. Seuls quelques uns survivent, parmi lesquels le capitaine Beattie. Ils seront recueillis quatre heures plus tard et faits prisonniers par les Allemands alors qu'ils sont accrochés à un radeau de fortune.
Le lieutenant Nigel Tibbets, principal artisan de la machine infernale du Campbeltown, ne sut jamais à quel point son "bébé" devait fonctionner à merveille... Il fut décoré de la distinguished service cross à titre posthume.
Mais voici que les deux vedettes de la colonne qui avaient dépassé l'objectif reviennent sur leurs pas et tentent à leur tour de débarquer leurs commandos.
La
ML 262 de Burt pour commencer. Elle réussit à accoster sur le quai nord de la vieille entrée, et débarque l'équipe de commandos du Lieutenant Woodcock, chargée de faire sauter le pont tournant de l'entrée est, et celle du Lieutenant Morgan, chargée de protéger la précédente. Burt commence à manoeuvrer pour repartir au moment où retentit une violente explosion, non loin de là : c'est l'équipe de démolisseurs du Lieutenant Christopher Smalley, débarquée du Campbeltown, qui vient de s'acquitter de sa mission en faisant sauter le poste de manoeuvre de l'écluse sud de la Cale Joubert. Mais voilà le Lieutenant Morgan qui revient déjà en courant, criant que le signal de la retraite a été vu (probablement une fusée de couleur). Burt retourne accoster et récupère donc les commandos qu'il vient de débarquer, influencés par un faux signal, et qui n'ont pas accompli leur mission. Il repart, mais voit maintenant arriver, toujours sur le même quai nord l'équipe du lieutenant Smalley ! Celui-ci devait se replier vers le Vieux Môle, mais après avoir très rapidement rempli sa mission de sabotage, il a vu la ML 262 à quai et a saisi cette opportunité d'exfiltrer son équipe plus rapidement. Burt manoeuvre une troisième fois, récupère Smalley et son équipe, puis reprend le chemin du large. A hauteur du Vieux Môle, comme on l'a vu plus haut, il voit la ML 457 du lieutenant Collier en feu et décide d'aller lui porter assistance. C'est là que les deux vedettes sont détruites par l'artillerie navale. Burt (décoré de la distinguished service cross) et Morgan survivent, mais de nombreux hommes à bord sont tués, parmi lesquels Smalley et Woodcock.
Le lieutenant RF Morgan
La
ML 267 du Lieutenant Beart, à son tour, parvient au quai de la vieille entrée et commence à débarquer quelques commandos, mais elle est prise sous un feu violent et précis, et les quelques hommes descendus du bateau sont rappelés immédiatement. Beart recule en catastrophe vers le milieu du fleuve, tout en continuant à être ravagé par les rafales. La vedette prend feu. De nombreux hommes tombent à l'eau et sont brûlés vifs dans les étendues de carburant enflammé. Le Sergent Major Moss remorque à lui tout seul un radeau couvert d'hommes blessés, nageant dans l'eau glacée. En essayant de gagner la rive, tous sont massacrés dans l'eau à la mitrailleuse. Le corps du lieutenant Beart sera repêché et identifié, il sera l'un des rares tués sur le fleuve à pouvoir être enterré à Escoublac trois jours après.
A gauche : Tombe du Lieutenant Beart de la ML 267 au cimetière de Cuy à Escoublac ("Lieutenant EH. Beart. RNVR, HM Motor Launch 267, 28th march 1942, age 37") RNVR signifie Royal Navy Volunteer Reserve, le lieutenant Beart était donc un réserviste ! (photo draleuq)
Au milieu : Alan Moss était RSM (Sergent Major Régimentaire), tout comme Haines qui allait le remplacer à la garde rapprochée du PC de Newman. On peut donc considérer qu'il s'agissait d'un vétéran. Tout en étant sous-officier, il était d'ailleurs plus âgé que la plupart des officiers présents (32 ans).
A droite : Tombe d'Alan Moss à Escoublac : "A. Moss, The Queen's Own Cameron Highlanders, No 2 Commando, 30th march 1942, age 32".
Les vedettes lance-torpilles :
Après avoir envisagé le terrible destin des vedettes de débarquement, voyons maintenant celui des vedettes lance-torpilles, guère plus enviable :
La
ML 160 de Boyd, comme nous l'avons déjà vu, se consacre à recueillir les survivants du naufrage de la ML 447 de Platt dès le début de l'engagement. Avec tous ces blessés à son bord, Boyd (décoré du distinguished service order) estime qu'il n'est plus en mesure de combattre et s'éloigne. Sur le chemin, il s'arrête à nouveau pour ramasser trois survivants dans la Loire. Devenue vulnérable aux tirs d'artillerie à cause de son immobilité, la vedette est encadrée d'un chapelet de trois obus de canons de marine qui tuent plusieurs hommes et provoquent des dégâts aux moteurs, mais parvient à repartir et à s'échapper. Un peu plus loin, les matelots parviendront à réparer le moteur pour reprendre pleine vitesse.
La
ML 270 du Lieutenant Irwin (décoré de la distinguished service cross) attire sur elle un volume de tirs incroyable, et prend notamment un obus dans la timonerie, mais, d'après une source, parvient malgré tout à torpiller un destroyer et un chalutier armé allemands avant de s'échapper, trouée de partout.
La
ML 298 du Lieutenant Bob Nock prend également sa dose de tirs de flak et décide donc de prendre le large après avoir inspecté la vieille entrée, puis le Vieux Môle, à la recherche d'éventuels commandos à réembarquer. Ne voyant personne, il file vers le large, mais lorsqu'il passe dans une flaque de fuel enflammé, un incendie se déclare à bord, qui grandit à mesure que la vedette redescend la Loire. Le feu sert inévitablement de repère aux artilleurs allemands, et la vedette est bientôt la cible de tirs de tous calibres, avant d'être finalement détruite par plusieurs gros obus.
L'une des tombes de marins non identifiés, au cimetière de Cuy à Escoublac. On y lit : "a sailor of the 1939-1945 war. Royal Navy. Buried 1st april 1942. Known unto god". Comme on le voit dans le récit, les marins, bien que ne devant pas débarquer, subirent au moins autant de pertes, si ce n'est plus, que les commandos. (photo draleuq).
A bord de la
MTB 74, le Lieutenant Micky Wynn constate avec satisfaction que le Campbeltown a atteint son objectif et que le caisson sud de la cale n'a plus besoin de ses torpilles. Il se tourne alors vers son second objectif, l'écluse de la vieille entrée, et tire ses deux torpilles dessus en espérant que le système de retardement fonctionne ! Elles frappent la porte de l'écluse en faisant un gros "bong" métallique, puis coulent comme prévu. Sa mission accomplie, Wynn se dirige vers l'arrière du Campbetown où il récupère 16 autres hommes (des marins et des commandos blessés) qui viennent s'ajouter aux 10 hommes de l'équipage de la vedette lance-torpilles. La MTB file ensuite vers le large. A 40 noeuds, il est pratiquement impossible pour les batteries allemandes de la toucher. Mais Wynn voit tout à coup deux naufragés anglais à bord d'un radeau pneumatique. Hors de question pour l'excentrique lieutenant de les abandonner à leur sort, malgré les directives qui disent le contraire. En dépit des risques, il s'arrête pour les récupérer. L'artillerie allemande ne rate pas cette occasion : le bateau est aussitôt touché par deux obus de gros calibre et explose. Seuls trois hommes seront récupérés vivants par un bateau allemand, le lendemain vers 14 heures. Parmi eux, Wynn, avec un oeil arraché, qui avait été sauvé de la noyade par son mécanicien, Lovegrove (décoré de la conspicuous gallantry medal). Il sera opéré sans anesthésie à l'hôpital militaire allemand de La Baule, rapatrié pour raisons de santé quelques mois plus tard, et décoré de la distinguished service cross.
Porte aval du petit sas de l'écluse est, le seul des deux à être encore à l'air libre aujourd'hui, (les Allemands ayant recouvert l'autre en 1943 par un bunker qui devait permettre aux sous-marins de pouvoir écluser à l'abri des attaques aériennes, et qui ne fut en fait presque pas utilisé.) Cette écluse fut détruite par les torpilles à retardement de la MTB 74 du Lieutenant Wynn, qui ne sautèrent que 60 heures après, semant la panique chez l'occupant qui crut que des commandos étaient encore en liberté (ou que des Français avaient pris le relais et sabotaient le port), ce qui fit de nombreuses victimes parmi les civils. (photo draleuq)
La canonnière, une écumoire :
Lettre du Capitaine Ryder recommandant la Victoria Cross à titre posthume pour le matelot William Savage.
A gauche : au bas de la lettre, la recommandation de Ryder est contresignée par l'Amiral Forbes, commandant en chef de la Royal Navy qui précisera que cette Victoria Cross récompense également, à travers Savage, tous les héros anonymes qui soutinrent le débarquement en tirant sans répit sur les canons allemands alors qu'ils étaient presque à découvert.
A droite : le matelot William Savage, canonnier à bord de la MGB 314, détruisit de nombreux postes de tirs allemands durant 25 mn de tir quasiment continu. Complètement exposé, il finit par être tué aux commandes de son "pom pom" alors que le bateau regagnait le large.
Examinons, pour finir, le parcours de la MGB 314 de Ryder et Newman. Tournant et virant au milieu du fleuve, les commandants de l'opération ont supervisé l'éperonnage du Campbeltown et le débarquement des commandos du destroyer et des vedettes. Les canonniers et mitrailleurs n'ont pas cessé d'arroser les postes de tirs ennemis, et le matelot Savage a réalisé de nombreux exploits aux commandes de son "pom pom" 40 mm. Après la ML 177 de Rodier, mais avant le retour de celles de Burt et Beart, Ryder saisit l'occasion de déposer Newman et son escouade de commandement sur le quai nord de la vieille entrée. Il passe ensuite récupérer les derniers hommes qui se trouvent encore à bord du Campbeltown. Puis il continue son chemin vers le Vieux Môle, et constate alors l'étendue des dégâts, réalisant que la jetée est toujours aux mains des Allemands et voyant toutes les vedettes qui flambent comme des torches. Savage, complètement à découvert, tire toujours comme un diable sur les tourelles de flak, mais finit par être abattu. Sur le pont, presque tous les hommes sont blessés, et seront souvent touchés une deuxième ou troisième fois par les rafales qui continuent à balayer le navire. Ryder réalise qu'il n'a plus les moyens de se battre et décide de s'éloigner en s'enveloppant de fumigènes. Il est encadré plusieurs fois par des obus de gros calibre, mais parvient par miracle à s'échapper, son bateau réduit à l'état d'écumoire.
Finalement, entre le Campbeltown, la MGB et les deux colonnes de vedettes ML, ce sont 113 commandos qui seront débarqués, sur les 257 prévus. Environ un quart d'entre eux, portant une énorme charge d'explosifs, ne sont armés que de pistolets !
Déploiement d'attaque définitif de la flottille lors de son entrée dans l'estuaire.
Noms de tous les hommes évoqués dans ce récit.
Bilan des pertes de bâtiments.
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1. Stephens était l'officier commandant toute la colonne des ML. Comme Michael Burn qui se trouvait à son bord, il sera capturé par les Allemands, et comme lui, il se montrera un prisonnier particulièrement peu coopératif. Il sera interné à la forteresse de Colditz (réservée aux fortes têtes) comme Burn et comme Corran Purdon, mais lui sera même l'un des seuls à réussir à s'en échapper, et à gagner la Suisse.