Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

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Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

5 Mai 2010 ::

« Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 2ème partie »

:: Histoire moderne, 1792

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte trois :
1. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 1ère partie
2. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 2ème partie
3. Genèse de la guillotine, un supplice humanitaire - 3ème partie


La planche naît… dans un concert !

Décidément, il manque quelque chose à la machine à décapiter du docteur Louis. C’est en tous cas l’opinion de Charles-Henri Sanson, le bourreau de Paris, qui veut à tout prix qu’on trouve un moyen de fixer le condamné dans la position horizontale en entravant ses mouvements.

Or, il se trouve que ce brave Sanson, en plus d’être un bourreau, est un mélomane, joueur de violon et de violoncelle. C’est ainsi qu’il a fait la connaissance de Tobias Schmidt, un facteur de clavecins allemand, qui lui a vendu plusieurs instruments. Les deux hommes se sont rendus compte qu’ils avaient en commun une passion pour le répertoire du compositeur Gluck, sont devenus amis et se réunissent de temps à autre pour un concerto à deux.

Sanson parle de tout à son ami Schmidt, y compris de son métier et des problèmes qu’il y rencontre. C’est ainsi qu’il s’est ouvert à lui de sa préoccupation.
Et ce jour-là, Schmidt, qui est aussi un excellent mécanicien, lui dit :
- Attendez, che crois que ch’ai fotre affaire, j’y ai bensé…
Il prend un crayon et trace un schéma sous les yeux de Sanson ébahi : il vient de dessiner la première guillotine, avec sa planche à bascule qui va devenir si tristement célèbre.
Devant la satisfaction du bourreau, Schmidt poursuit :
- Che ne foulais pas m’en mêler, barce que, foyez-fous, c’est la mort du prochain ; mais je vous foyais trop ennuyé ! Si nous rebrenions cette bedide air d’Armide que nous afons chouée l’autre chour ?
- De grand cœur, mon bon Schmidt ! répond Sanson.

Dès le lendemain, il court porter le dessin au docteur Guillotin, qui se montre enthousiaste.


Portrait de Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814), Musée Carnavalet. L'homme n’est resté célèbre que pour le nom qu’il donna à la guillotine, dont il fut l’inspirateur et le défenseur, mais en aucun cas le créateur. En défendant devant l’Assemblée la future machine à décapiter, un jour de 1791, il commet dans son enthousiasme quelques maladresses de langage qui déclenchent l’hilarité de ses pairs : « ce mode de supplice humanitaire n’entraîne point de souffrance. Le patient sent tout au plus une fraîcheur sur le cou (…) Avec cette machine, je vous fais sauter la tête d’un clin d’œil, et vous ne souffrez point ! »
Pourtant, Guillotin a accompli un tas d’autres choses bien plus louables : avant la Révolution, il demande à ce que les députés du Tiers-Etat soient au moins aussi nombreux aux Etats-Généraux que ceux du Clergé et de la Noblesse. Cela lui vaut un procès, mais il est acquitté et le Roi lui donne raison en 1788. Médecin, professeur d’anatomie à la Faculté de Paris, il est lui-même député du Tiers-Etat au moment des Etats Généraux de Mai 1789. Quand les députés trouvent porte close le 19 juin, c’est encore lui qui donne l’idée que l’Assemblée investisse la Salle du Jeu de Paume où sera prononcé le célèbre « serment du jeu de paume ». Il sera emprisonné sous la Terreur, mais libéré après l’exécution de Robespierre, contrairement à une idée très répandue mais totalement fausse selon laquelle il aurait été lui-même guillotiné. Après la Révolution, il quitte la politique et se consacre entièrement à la médecine. Devenu médecin chef à l’hôpital d’Arras, il est chargé sous le Consulat de mettre en œuvre le premier programme national cohérent de santé publique, dans le cadre duquel il cherchera notamment à propager la vaccination contre la variole. Certains lui ont prêté des regrets sur la création de la guillotine à la fin de sa vie, il semble bien que ce soit là encore une pure invention : jusqu’au bout, Guillotin fut persuadé d’avoir humanisé la peine de mort. La seule chose qu’il regretta vraiment, c’est qu’on ait baptisé la machine par son nom.


Lame oblique ou lame convexe ?

Pour arriver à la forme définitive (si je puis me permettre cet adjectif de mauvais goût) de la guillotine telle qu’elle allait rester au cours de ses presque 200 ans de sanglante carrière, il ne manque plus maintenant que la lame oblique.

L’anecdote qui conduisit au remplacement de la lame convexe par une lame oblique est assez célèbre car elle constitue une belle ironie du sort : c’est en effet Louis XVI lui-même qui eut cette idée, ne sachant pas encore que moins d’un an après il allait lui-même l’expérimenter à ses dépens.

Le 2 mars 1792, le docteur Guillotin et le bourreau Sanson sont convoqués au Château des Tuileries par le Docteur Louis, qui est aussi médecin personnel du Roi. En fait, c’est Louis XVI lui-même qui a demandé cette conférence : il se préoccupe de la jurisprudence criminelle de son Royaume, et surtout il est passionné par la serrurerie et le travail du fer ! Tous deux sont donc bien curieux d’examiner les plans de la « machine de Guillotin ».
Les visiteurs pénètrent dans le cabinet du Docteur Louis. Les deux confrères se saluent respectueusement. Guillotin tend à Louis le schéma dessiné par Schmidt et annoté par Sanson. Louis l’examine, assis à son bureau.
C’est alors que le Roi fait son apparition dans la pièce. Aussitôt, Louis se lève. Guillotin s’incline.
- Eh bien, docteur, qu’en pensez-vous ? dit le nouveau venu à Louis.
- Cela me paraît parfait, et justifie pleinement ce que Mr Guillotin m’en avait dit. Du reste, jugez par vous-même.
Et Louis tend le dessin au nouveau venu. Celui-ci le considère, puis secoue la tête :
- Ce fer en forme de croissant est-il bien là ce qu’il faut ? Croyez-vous qu’un fer ainsi découpé puisse s’adapter exactement à tous les cous ? Il en est qu’il ne ferait qu’entamer, et d’autres qu’il n’embrasserait même pas !
Le bourreau, très connaisseur, est frappé de la justesse de l’observation du visiteur, et en regardant le cou de ce dernier, il observe qu’il est musculeux et dépasse de beaucoup les proportions du croissant de Schmidt (!)
- Est-ce l’homme ? demande tout bas le Roi au docteur Louis en désignant du menton le bourreau qui jusqu’ici est resté en retrait.
Antoine Louis confirme d’un signe de tête.
- Demandez-lui son avis, reprend le Roi.
- Vous avez entendu l’observation de Monsieur[1] ? dit le médecin. Quelle est votre manière de voir sur la forme du couperet ?
- Monsieur a parfaitement raison, répond Sanson. La forme du couperet pourrait amener quelques difficultés.
Le roi sourit de voir sa théorie ainsi confirmée, prend une plume sur le bureau de son médecin et corrige le dessin d’un trait oblique.
- Du reste je puis me tromper, ajoute-t-il, et lorsqu’on fera des expériences, il faudra essayer des deux manières.
Puis le Roi se lève et se retire en saluant de la main.

C’est la seconde fois que Charles-Henri Sanson rencontre le Roi[2]. La troisième – et dernière – fois, ce sera pour l’exécuter avec la machine à laquelle il vient de contribuer !

Essai transformé

Le 17 avril 1792, le Docteur Louis assiste aux « expériences » qui ont lieu dans la cour de la prison de Bicêtre. On a fait rentrer les prisonniers dans leurs cellules, mais ceux-ci observent avec curiosité ce « spectacle » de leur fenêtre.
On décapite successivement trois cadavres, aimablement fournis par les hospices de Paris. Les deux premiers essais, effectués avec la lame oblique, réussissent parfaitement. Le dernier, avec la lame convexe, échoue. La cause est entendue : le couperet sera oblique.

Huit jours plus tard, le 25 avril 1792, en Place de Grève, la guillotine tranche parfaitement le cou de sa première victime vivante[3], le bandit Nicolas Pelletier. La foule, habituée à de grandes fêtes populaires à l’occasion des exécutions, est déçue par l’aspect expéditif de celle-ci et se met à huer le bourreau ! Ce brave populo est très loin alors de se douter qu’un an plus tard, il sera tellement écœuré par les pleines charrettes quotidiennes de condamnés à mort qu’il désertera quasiment les rues.

Après quelques hésitations entre « Louison » ou « Louisette », du nom du Docteur Louis, et « Guillotine », du nom du Docteur Guillotin, c’est finalement ce dernier vocable qui sera employé spontanément par le peuple pour qualifier la machine.
A ce surnom ordinaire s’ajouteront bientôt toutes sortes de sobriquets : la cravate à Capet, l’abbaye de Monte-à-Regret, la bascule, le glaive des lois, la lucarne, le vasistas, le rasoir national, la planche à assignats, le rasoir à Charlot, la petite chatière, la veuve, le raccourcissement patriotique…

_________________________________
1. Louis XVI tenait à garder l’incognito durant cette conférence.

2. Charles-Henri Sanson avait rencontré Louis XVI pour la première fois à Versailles le 19 avril 1789, suite à un courrier qu’il lui avait écrit pour se plaindre de ne plus recevoir ses appointements de bourreau, et de ne plus pouvoir faire face à ses créanciers (il avait notamment hérité des importantes dettes de son père).
Louis XVI le reçut, l’écouta, et lui dit que les caisses de l’état étant vides, il ne pouvait rien faire pour le moment pour qu’il soit payé, mais il lui fit rédiger un « sauf-conduit » qui lui permettrait d’échapper à ses créanciers :
« De par le Roy
Sa Majesté voulant donner au sieur Charles-Henri Sanson le moyen de vaquer à ses affaires, lui a accordé sauf-conduit de sa personne pendant trois mois, pendant lesquels sa Majesté fait défense à ses créanciers d’exercer contre lui aucune contrainte ; à tous huissiers, sergents ou autres de l’arrêter ni inquiéter ; et à tous concierges et geôliers des prisons de l’y recevoir, à peine de désobéissance, d’interdiction de leur charge et de tous dépens, dommages et intérêts (…) »
En sortant, le bourreau croisa la reine Marie-Antoinette et la princesse, qu’il trouva magnifiques. Plus tard, il racontera avoir eu ce jour-là un triste pressentiment à la vue de toutes ces Royales Personnes qu’il admirait.


3. Il y en aura des milliers d’autres jusqu’en 1981…

draleuq, 22h37 :: :: :: [2 divagations]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 01/02/2011 à 12h32

C'est donc bien Louis XVI qui a eu l'idée de ce fer ! Et moi qui me disais que c'était une légende comme il en circule tant...

A propos du nom "guillotine" : le docteur Guillotin était aussi l'inventeur du premier hémicycle pour la Convention Nationale (auparavant, les Assemblées Constituante et Nationale avaient siégé suivant une disposition rappelant le parlement anglais, et durant les premiers mois de la Convention les députés prenaient place sur de simples sièges, dans une salle, les "tribunes" n'étant séparées de la salle des séances que par un simple cordon), invention tenant à la fois du symbole (les formes rondes sont des symboles d'unité, comme chacun sait) et de l'amélioration acoustique qu'il eût aimé voir nommée... Guillotine.

 draleuq , le 02/02/2011 à 17h25

Oui, ce Guillotin était ce qu'on peut appeler un type bien visiblement, d'après tout ce que j'en ai lu, et je crois effectivement qu'il aurait de loin préféré que ce soit l'hémicycle qu'on appelle guillotine.

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