C'est maintenant sur les méthodes de Montfort que je m'attarderai plus particulièrement.
En 1210, il assiège le château de Bram qui lui résiste trois jours. A la garnison (plus de cent hommes), il fait arracher les yeux, couper le nez et la lèvre supérieure. Seul un soldat garde un oeil pour pouvoir guider ses malheureux camarades jusqu'au château voisin de Cabaret, réputé imprenable. Epouvantés, les gens de Cabaret se rendent au bourreau sans coup férir.
Montfort se dirige ensuite vers Lavaur, place forte défendue par un certain Aimery de Montréal. Ce dernier, comme une multitude de chevaliers occitans, s'était déjà rallié aux croisés plusieurs fois avant de les trahir à chaque fois. Cette politique était en quelque sorte obligatoire pour des chevaliers sincèrement catholiques et désirant le rester, mais ayant des amis ou de la famille proche parmi les cathares. La châtelaine de Lavaur, Guiraude de Laurac, était cathare et de surcroît la soeur de Montréal. Après la prise de Lavaur, Aimery de Montréal et ses 80 chevaliers furent pendus. Comme le gibet s'écroula sous le poids des corps, ceux qui n'étaient pas encore morts furent égorgés. Quant aux 400 cathares que le château abritait, ils furent brûlés vifs dans un bûcher géant.
En 1213, à la bataille de Muret, après avoir mis en déroute la chevalerie occitane et aragonaise, il ordonne à sa chevalerie d'arrêter la poursuite et de revenir sur l'infanterie ennemie, composée en grande partie de miliciens toulousains, qui est en train d'assiéger le château. La bataille tourne au massacre : la moitié des miliciens, soit environ 20 000 hommes, périssent dans l'aventure, pour une bonne partie noyés dans la Garonne. La cité endeuillée voit ce jour-là sa population masculine décimée.
Cinq ans plus tard, c'est justement devant Toulouse révoltée que Montfort vient mettre le siège. Mais il n'a pas du tout les ressources pour isoler la ville et ne peut pas empêcher les toulousains de recevoir de nombreux renforts, si bien qu'à la fin il se retrouve en sous-nombre et subit lui-même des attaques de la part des assiégés, qu'il réussit toutefois à repousser. Chaque camp laisse alors libre cours à sa haine, excitée depuis dix ans de guerre. Les croisés pris vivants pendant leurs assauts sont mutilés, traînés à la queue des chevaux, écorchés vifs... Les toulousains pris vivants pendant les sorties, ne subissent pas un sort plus enviable bien évidemment, surtout que l'exaspération de Montfort, qui n'a jamais été aussi malmené, est à son comble. On leur coupe la tête et on l'envoie dans les murs de la ville à grands coups de catapultes.
Le siège de Toulouse en 1218 : les toulousains fortifient leurs remparts
(Tableau de J.P. Laurens)
La chronique parle alors de l'horreur de ces femmes et de ces vieillards qui défendent leur ville (par manque d'hommes) et voient la tête de leur mari ou de leur fils tomber à leurs pieds... Montfort fait construire une gigantesque tour roulante, mais elle est endommagée par les machines de siège toulousaines. Réparée à la hâte, elle n'a pas le temps de servir à nouveau puisque les toulousains attaquent le campement croisé à l'aube, par deux côtés en même temps, dans le but de l'incendier. Guy de Montfort, frère de Simon, est alors blessé d'une flèche tirée des remparts. Simon est atteint d'un projectile de pierrier en pleine tête au moment où il se porte à son secours. « Ses yeux, sa cervelle, ses dents, son front et sa mâchoire lui volèrent en éclats et il tomba par terre, mort, sanglant et noir. »
La même chanson de geste rapporte évidemment que le projectile mortel, acclamé par une explosion de joie générale, fut lancé par un pierrier manié par une femme. C'est peut-être un peu romancé, mais parfaitement possible au sens où toute la population de Toulouse avait décidé d'une seule voix de s'opposer à ce dictateur criminel.
Pour en finir avec lui, je vous laisserai en compagnie de Zoe Oldenbourg, excellente romancière et historienne spécialiste de cette époque :
Quel que puisse être le sort réservé pour l'éternité à l'âme de Simon de Montfort, ceux qui admirent Napoléon, César, Alexandre et leurs semblables ne sauront, en toute justice, refuser leur admiration à ce grand soldat ; les autres sont libres de constater qu'il fut, somme toute, un être assez médiocre, choisi pour une besogne cruelle dont il s'est acquitté du mieux qu'il a pu. La responsabilité morale de ses actes lui incombe bien moins qu'à ceux qui avaient pouvoir de les bénir et de les absoudre au nom de Jésus-Christ.