Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

J'en ai
vraiment
rat le cul...
Et ta soeur ?
Malheureusement, la Femme répudie amoureusement son destin. Par là même, l'Histoire s'échappe, se précipitant vers le futur de l'existence
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

3 Août 2010 ::

« Confidences d'un tueur - 2ème partie »

:: Baratin

Ce billet fait partie d'un sujet qui en comporte deux :
1. Confidences d'un tueur - 1ère partie
2. Confidences d'un tueur - 2ème partie


Dans la nuit du tombeau, j'enfermerai ma honte.

Jean Racine ("Iphigénie en Aulide")


On commence à parler, de tout et de rien, de ses enfants (il a donc une famille), de ses talents de magnétiseur (il me fait une démonstration de pendule)… Comme si on avait trois ans de silence à rattraper.
Et puis, je ne sais plus si je lui ai demandé ou si c’est lui qui me l’a dit, mais on en est venu à son activité professionnelle.
- J’étais militaire, qu’il me dit… J’ai commencé en Algérie.
- Mon beau-père l’a faite, il m’a raconté un peu. Ça n’a pas dû être facile…
- Non. Et on a fait des trucs dont on n’a pas lieu d’être fier. Je le sais d’autant mieux que j’étais dans le renseignement.



Militaires français contemplant des cadavres de fellaghas pendant la guerre d'Algérie


Le regard du tueur

Tuez les tous, pourvu qu’il n’en reste pas un ensuite pour me le reprocher.

(Charles IX à la St Barthélémy)


Moi, naïf, je pensais qu’être « dans le renseignement », c’était être une espèce de James Bond, ou au contraire faire de la paperasserie dans un bureau. Je ne tardais pas à découvrir que dans l’acception de l’époque, il s’agissait plutôt de faire partie d’un commando de la mort.
- Nous étions répartis en petits groupes qui fonctionnaient en marge de l’armée régulière. Parfois, on nous demandait d’extorquer une information, par tous les moyens. Parfois, on nous demandait carrément de nettoyer un village entier qu’on savait infiltré par les fellouzes. On rassemblait tout le monde sur la place, femmes, enfants, vieillards. Ensuite, c’était un gars qui se chargeait du reste, avec la 12.7
- Avec la 12.7 ?
- Oui, la mitrailleuse 12.7. Le gars qui faisait ça était toujours le même. Quand il te regardait, tu te sentais mal à l’aise. On appelait ça le regard du tueur. Les recruteurs savaient bien reconnaître ce regard-là chez un type. Ils savaient parfaitement bien à qui s’adresser.
- Mais vous faisiez ça sur ordre ?
- Oui. Mais jamais d’ordre direct, ni oral, ni surtout écrit. Ils fonctionnaient avec des cartes.
- Des cartes ?
- Des cartes à jouer, oui. Il y avait tout un code en fonction de la carte qu’on recevait. Nettoyer tout le village, c’était as de pique.

A ce stade de la conversation, sans doute aussi pour « me protéger », je jugeais fort probable que Roger était un mythomane pur et simple. Après tout, il m’avait exposé peu avant ses croyances parapsychologiques, et comme j’étais très sceptique sur tout ça, je pouvais encore juger le personnage plutôt très peu crédible dans sa globalité.



Mitrailleuse calibre 12.7 mm


De l’histoire officielle à l’histoire officieuse

Il continua de plus belle à raconter sa vie, me parla de la guerre des six jours en 1967, et de celle du Yom Kippour en 1973, où il était selon ses propos.
Je l’interrompis, croyant avoir trouvé la faille dans son délire mensonger. En effet, j’avais quelques notions historiques, d’autant plus fraîches que la terminale était encore récente, et j’étais donc en mesure de lui dire ce qui suit :
- Mais la France n’a participé à aucune des guerres israélo-arabes !
- Officiellement non, c’est vrai. Mais nous étions quelques uns à y être. J’étais de ceux-là.

Il continua la litanie des théâtres d’opération sur lesquels il avait été déployé entre les années 60 et 70 : le Congo Belge, le Tchad, d’autres pays d’Afrique Noire dont beaucoup étaient alors en cours de décolonisation.
Tout ceci avait l’air de plus en plus vrai. D’autant plus que l’homme ne semblait pas, par ailleurs, avoir un niveau de culture générale exceptionnel, loin s’en faut, et que là, son exposé géo politico historique était plutôt convaincant, voire criant de vérité.

Regarde-moi dans les yeux mon frère…

La bête la plus féroce connaît la pitié. Je ne la connais pas, et ne suis donc pas une bête

Shakespeare ("Richard III")


Au fil de son récit, d’abord assez froid et objectif, Roger devint un peu moins descriptif et commença à laisser filtrer quelques sentiments. Plusieurs fois, il répéta qu’il avait fait des choses dont il n’était pas fier, et il sembla un peu moins impassible qu’au début.

Et puis, et ce fut le tournant de la conversation, il me raconta ce qui lui était arrivé une fois. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, il me semble que c’était au Tchad. En tous cas, c’était en Afrique Noire.
Jusqu’alors, il avait laissé entendre plusieurs fois qu’il avait participé à des exécutions sommaires, sans s’étendre sur le sujet.
- Dans ce village, il y avait un homme, d’une trentaine d’années à peu près. Contrairement à la plupart des autres, quand il m’a vu arriver vers lui, il n’avait pas l’air de crever de trouille. Au contraire, il était calme, résigné. Du coup, quand j’ai levé mon flingue vers lui, j’ai hésité un instant.
Pour mieux m’expliquer la scène, Roger avait tendu son bras, son index et son majeur formant un pistolet, comme les gosses quand ils jouent à la guerre. Roger pointait son pistolet factice dans le vide, sa main tremblant légèrement…
- Et là, ajoute-t-il, il m’a dit : « regarde-moi dans les yeux mon frère. Tu peux y aller… » Sa voix était sans haine, sans colère, sans peur, presque amicale. Et je lui ai collé deux bastos… (sa voix s’étrangle, ses yeux se remplissent)… en pleine tête, comme ça : bang ! bang ! (il met son autre main en bâillon devant sa bouche, comme par pudeur)

A cet instant, j’ai su que Roger disait toute la vérité, depuis le début. J’ai su que c’était un homme miné, hanté par ses actes. J’ai su que ce pauvre bougre africain anonyme, à lui seul, en prononçant cette phrase testament, avait été plus efficace pour le repentir de Roger que toutes les cours d’assises du monde.

Descente aux enfers

Ensuite, Roger m’a expliqué que s’il n’avait pas un rond et qu’il devait moisir dans une petite chambre d’étudiant, c’est parce qu’il devait attendre encore plusieurs années avant de toucher sa pension d’ex-militaire. Et que s’il devait attendre, c’est parce qu’il avait été puni pour ce qu’il avait fait, et qu’il avait du passer plusieurs années au secret, en résidence surveillée sur une île où il était en semi-liberté, une sorte de prison dorée. Et que ces années-là ne pouvaient pas compter dans son service actif, d’où l’attente…
Moi, j’étais presque soulagé qu’il ait « payé » pour tout ça, mais je lui ai demandé si ceux qui étaient au-dessus de lui, les donneurs d’ordre, n’avaient pas payé eux aussi.
Il m’a dit que ça dépendait lesquels. Que certains étaient intouchables et le resteraient, mais que d’autres avaient « pris cher ». Quoi qu’il en soit, rien de tout ça n’a jamais filtré dans les médias.

Il a ajouté qu’encore aujourd’hui, « ils » le surveillaient, de temps à autre.
Moi j’ai dit : « qui ça, ils ? »
Il a dit : « eux, les barbouzes. Des petits jeunes qui ne savent même pas pourquoi ils doivent me surveiller. L’autre jour j’en ai chopé un dans la rue, je l’ai pris par le colbac et je lui ai dit de me foutre la paix. »

Pourtant, il n’y voyait plus grand-chose, Roger. Une espèce de virus apparemment, sa vue avait baissé brutalement, il ne distinguait même plus ce qu’il y avait écrit sur les panneaux routiers. Mais pour les barbouzes, il avait l’œil.

Enfin qu’importe. Moi j’y croyais maintenant, à son histoire. Et j’étais, moi aussi, pour qu’on lui foute la paix.

Rédemption

Les vieux boivent, les jeunes se droguent, tout le monde s’emmerde

G. Lautner (« Un inconnu dans la maison »)


Dans ce microcosme qu’était cet appartement estudiantin, un vieil alcoolique brisé par son tumultueux passé ne pouvait pas raisonnablement avoir le monopole de la souffrance, car si celle-ci ne touchait que les vieux, ça se saurait depuis longtemps.
Sans vous refaire tous les couplets de la chanson qui a lancé la carrière de Renaud, il y avait, cette année-là, un jeune homme d’une vingtaine d’années qui occupait la « grande » chambre (ex-salle à manger). A n’en pas douter, il était là pour étudier. Mais comme c’est souvent le cas, certains ne le savent que trop bien, il passait le plus clair de son temps à inviter des potes et à se prendre des murges en mettant la musique à hurler. Quand j’intervenais pour le faire baisser, l’odeur qui se dégageait de l’entrebâillement de la porte prouvait à l’évidence qu’il ne fumait pas que du tabac.
A mesure que l’année avançait, il nous inquiéta de plus en plus, se mettant de temps à autre à crier tout seul, à frapper dans les murs, ou dans sa porte.

Une nuit de week-end, en dehors de ce garçon, il ne restait plus que Roger et moi-même dans l’appartement. Nous fûmes conjointement réveillés par des bruits de bris de verre suivis de hurlements hystériques, claquements de porte, appels au secours paniqués. Nous sortîmes ensemble, Roger et moi, pour découvrir notre voisin hurlant comme un forcené sur le palier, tout en regardant la plaie béante qui entaillait son biceps et son artère humérale, et surtout, le sang qui en giclait par saccades. Il y en avait une mare sur le sol, il pataugeait dedans. Complètement blindé, il avait flanqué son poing à travers le carreau de sa fenêtre, qui n’avait pas résisté. Le bras non plus.
Roger et moi nous tentâmes de le maîtriser, mais peine perdue, il se débattait comme une bête enragée et nos mains glissaient sur l’hémoglobine qui le recouvrait. Roger retrouva ses anciens réflexes et lui décocha un crochet qui le mit K.O. propre et net. Pendant que j’appelais le SAMU en patinant dans le sang, il improvisa un garrot avec un torchon et l’allongea en PLS.

J’aime à penser que ce jour-là, Roger s’est un peu racheté en sauvant une vie. Même s'il m’a dit plus tard que notre cher voisin, une fois remis sur pieds, était revenu juste une fois, un week-end où je n'étais pas là, pour récupérer ses affaires avant de quitter définitivement « l’auberge », et qu’à cette occasion il lui avait reproché de lui avoir « mis une pêche »…

Roger ne s’appelle pas Roger. Si je l’ai appelé comme ça, c’est une ruse pour que les barbouzes lui foutent la paix, ah ah ah !

Aujourd’hui, Roger est mort, sauf miracle. Il était sûr de mourir d’un cancer avant 5 ans, car, disait-il, c’était héréditaire dans sa famille. Il ne faisait d’ailleurs rien pour détromper l’hérédité, loin s’en faut.
Et c’est sans doute ce qu’il faut lui souhaiter, car c’était sûrement la seule solution pour qu’on lui foute la paix. Pour que tout ça lui foute la paix.

Copyrat draleuq 2007

draleuq, 00h05 :: :: :: [2 jubilations]

:: COMMENTAIRES

 Brath-z , le 01/02/2011 à 11h53

Brrr... Tu as fait de drôles de rencontres, jeune. Mais après tout, il faut bien se dire que la plupart des vétérans des "guerres sales" ont survécu à ces guerres. Je me rappelle (ce n'est pas très vieux) que, quand j'étais en prépa, le gardien de nuit était un ancien casque bleu qui avait fait le Kosovo. Il n'avait pas besoin de travailler, car il avait la retraite, mais il avait prit ce poste car son beau-frère (ou son cousin, je ne me souviens plus) qui bossait dans l'administration ne voulait pas qu'il passe ses journées à ressasser tout ça et l'avait pistonné.
Je ne vais rien mentionner de ce qu'il m'a apprit sur les méthodes des instances militaires (pardon, "de maintien de la paix") de l'ONU conjointement avec l'UCK car ça pourrait t'attirer des ennuis (après tout, officiellement, pour nous, l'UCK, c'était les gentils), mais on voyait dans les yeux du bonhomme (pas très âgé, en plus : il devait avoir moins de 40 ans lorsqu'il nous a raconté tout ça) qu'il avait commit des choses pas très jolies là-bas.

D'autres par contre n'ont aucun remords : un ancien compagnon d'armes de mon grand-père pendant la guerre d'Espagne (ma famille paternelle est espagnole) dans les Groupes de Combat Anarchistes se vantait avec un plaisir visible d'avoir un jour violé et tué une dizaine de nonnes avec sa troupe. Ce genre d'ordures ne s'amende pas, je le crains...

 draleuq , le 02/02/2011 à 17h13

Sans compter les fois où les casques bleus, faute de faire des trucs cradingues, n'ont rien fait du tout et ont regardé... Comme en Bosnie (les hollandais) ou au Rwanda (les français).

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