Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Ne pas juger
les gens sur la mine...
C'est ce qu'on dit
Paradoxalement, l'on décroche atrocement la religion, de sorte que le temps s'oublie, immobile depuis le futur de l'existence
Nabot Léon ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

8 Juin 2007 ::

« Le coup de Jarnac - 2ème partie »

:: Histoire moderne, 1547

Ce billet fait partie d'un sujet composé de trois parties :

1. Le coup de Jarnac - 1ère partie
2. Le coup de Jarnac - 2ème partie
3. Le coup de Jarnac - 3ème partie




Le long processus vers le duel

Après la mort de François Ier (31 mars 1547), Henri II monte sur le trône. Dès lors, Vivonne renouvelle sa demande d'un duel à outrance contre Guy Chabot, réaffirmant vivement dans plusieurs lettres adressées au roi que Guy Chabot avait « meschamment menty » en réfutant ses dires. Chabot, de son côté, écrit lui aussi au roi en renouvelant avec vigueur son démenti sur les rumeurs faisant état du fait qu'il aurait couché avec sa belle-mère ; il accepte le duel à outrance contre Vivonne afin de réparer l'offense et de laver son honneur. Plusieurs courriers sont ainsi échangés entre les deux protagonistes et le roi, ainsi qu'entre les différents témoins, qui se chargent de porter les nombreux plis.

Le roi étudie la demande avec minutie, entouré par de nombreux gentilshommes de haute lignée, qui s'accordent presque tous pour tenter de convaincre le roi d'empêcher ce duel, reconnaissant notamment l'irréprochable courtoisie des réponses de Jarnac, et la grossièreté de celles de La Châtaigneraie, qui réaffirme sans relâche ses accusations. Henri II accepte cependant que le duel ait lieu : le roi, en effet, est à ce moment précis probablement embarrassé par la reconnaissance tacite qu'il doit à La Châtaigneraie pour avoir endossé des calomnies qui venaient en fait de lui et de sa maîtresse, et ce duel règle la situation de façon claire et nette...

Commence alors un complexe jeu d'échange entre Vivonne et Chabot par l'intermédiaire de leurs témoins et seconds : Guy Chabot, en tant qu'offensé, a le choix des armes, et communique une liste impressionnante de chevaux, armes et matériels divers à prévoir pour le duel. Tout est prévu jusque dans les plus infimes détails : combat à pied, combat à cheval, avec ou sans gantelet, avec un petit bouclier, une targe, un caparaçon, avec ou sans harnais, un vêtement de cuir descendant à mi-cuisse mais pas plus... François de Vivonne se plaint de la somme exhorbitante qu'il devra engager pour se pourvoir de tout cela, mais il bénéficie rapidement du soutien inconditionnel du roi, qui l'appuie sans discrétion particulière : Vivonne se trouve ainsi fourni en armes et chevaux, et plusieurs semaines avant la date du duel, ne sort jamais sans une escorte d'une centaine d'hommes en arme !

De son côté, Jarnac, plutôt que de poitriner dans les rues, prend des leçons d'escrime avec un grand maître italien nommé Caize. C'est ainsi, et sur les conseils avisés de ses proches, qu'une nouvelle clause est introduite dans le duel : les combattants devront porter un brassard au bras gauche porteur du bouclier, qui entravera sévèrement les mouvements. Vivonne avait en effet quelques temps auparavant subi une blessure assez sérieuse au bras droit, et il en était encore diminué : cette nouvelle clause l'handicaperait donc lors du combat.

Des préparatifs interminables

Le combat est fixé au 10 juillet. Dans les jours qui le précèdent, La Châtaigneraie se montre d'une vantardise et d'une outrecuidance sans mesure : il prie à peine, parade dans les rues, poitrine à la cour, affirme qu'il vaincra son adversaire sans effort... Jarnac en revanche, se comporte très humblement : il reste discret, et ne fait que « hanter les églises, les monastères, les couverts, faire prier pour luy et se recommander à Dieu ». Quelques jours avant le duel, Henri II décide que celui-ci aura lieu au chateau de Saint-Germain-en-Laye. Ainsi, le 10 juillet au matin, une foule immense se presse vers Saint-Germain, dans l'espoir d'assister à ce combat qui fait beaucoup parler de lui. Le champ clos a été sciemment préparé selon les consignes données par Jarnac, et les plus grands du royaume sont présents.


Guy Chabot, seigneur de Jarnac

La cohue est telle que l'indécision dure toute la journée, sous une chaleur indisposante. Dans ses quartiers, La Châtaigneraie a fait préparer un souper somptueux pour fêter une victoire qu'il considère comme acquise, preuve supplémentaire de son arrogance. Le souper est malheureusement pris d'assaut et pillé par une troupe de pique-assiette : les plats sont engloutis, les vaisselles volées, et quelques-uns des voleurs rudement bastonnés par la garde, plutôt débordée par ce mouvement de foule... C'est seulement en milieu de soirée que les deux champions entrent en lice, pour se diriger vers le tref dans lequel ils vont se préparer[1] : l'un et l'autre sont précédés de centaines de gentilshommes vêtus de livrées aux couleurs du camp dans lequel ils défilent, au son des clameurs populaires, des trompettes et des tambours. De nombreux palabres ont encore lieu entre les représentants des deux combattants, ayant pour but de vérifier la conformité des équipements de chacun, de mesurer leur bonne longueur, d'évaluer leur légalité ; on tergiverse encore et encore, les uns contestant l'utilisation d'un certain type de bouclier, les autres la forme d'un brassard ou d'un gantelet...

Enfin, passé dix heures du soir, les deux camps sont d'accord, et Jarnac a décidé que le combat se déroulerait à pied. Chacun s'avance au devant d'un prêtre, au centre de la lice, tambours battants, puis les deux combattants prêtent serment sur la Saint Bible, en ces termes :

François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraie
Moy, François de Vivonne, jure sur les saincts Évangiles de Dieu, sur la vraye croix de Nostre-Seigneur, et sur la foy de baptesme que je tiens de luy, qu'à bonne et juste cause je suis venu en ce camp pour combattre Guy Chabot, lequel a mauvaise et injuste cause de se défendre contre moi. Et outre que je n'ay sur moy ny en mes armes paroles, charmes ny incantations desquels j'aye espérance de grever mon ennemy et desquels je me veuille aider contre luy, mais seulement en Dieu, en mon bon droit, en la force de mon corps et de mes armes.

Guy Chabot, seigneur de Jarnac
Moy, Guy Chabot, jure sur les saincts Évangiles de Dieu, sur la vraye croix de Nostre-Seigneur et sur la foy du baptesme que je tiens de luy, que j'ay bonne et juste cause de me défendre contre François de Vivonne, et outre que je n'ay sur moy ny en mes armes paroles, charmes ny incantations desquels j'aye espérance de grever mon ennemy, et desquels je me veuille aider contre luy, mais seulement en Dieu, en mon bon droit et en la force de mon corps et de mes armes.


_________________________________
1. Le tref est une petite tente médiévale de forme conique. Notons au passage que l'aucube est une autre tente médiévale, à deux pans.

finipe, 01h32 :: :: :: [6 éclaircissements pompeux]

:: COMMENTAIRES

 sthéouriz, le 08/06/2007 à 09h24

C'est bien d'ajouter la petite note... Je pensais que c'était une contre pétrie... oup's!

 finipe , le 08/06/2007 à 13h55

Il est vrai qu'à l'occasion je contrepète volontiers, mais ce n'est présentement pas le cas. Ceci dit, une contrepétrie avec "le tref et l'aucube", c'est vrai qu'il y a du potentiel :)

 POIZE Georges, le 08/06/2007 à 22h57

.... je fais aussi partie des "ceusses" qui ont cherché le sens de "tref et aucube".... j'avais pas trouvé malgré des visites à plusieurs dicos ....j'avais - aussi - envisagé un contrepêt ; en vain .... merci d'avoir éclairé ma lanterne ....

 finipe , le 08/06/2007 à 23h05

Pour donner un peu toute l'histoire, j'ai découvert ces deux mots (parmi beaucoup d'autres) en lisant la saga médiévale de Pierre Naudin « Le Cycle d'Ogier D'Argouges », une suite de 7 livres épais et assez ardus, mais passionnants, et fourmillant de détails sur le XIVème siècle. Au départ, ce site devait être un "petit journal sous la tente", mais les choses ont un peu évolué, et du coup le titre n'est plus vraiment en rapport avec le contenu.

 sthéouriz, le 09/06/2007 à 18h43

Alors à quand une biographie de Josquin Desprez pour rester dans la période du tref et de l'aucube et à la cour du Roi Louis XII, par exemple...

 finipe , le 10/06/2007 à 22h31

J'ai déjà évoqué Louis XII ici, cf. notamment [http]

Quant à Desprez, comme ça au débotté, je peux juste dire que "Mille regretz" était la chanson préférée de Charles Quint !

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