Le contexte de l'intervention française au Mexique
Nous sommes au Mexique, en 1861 : depuis le 28 septembre 1821, le pays s'est affranchi du joug espagnol, après une pénible guerre d'indépendance de onze années. Mais pendant les quarante années suivantes, aucun pouvoir stable n'a su rester en place, et les gouvernements se sont succédés, renversement après renversement. Les coups d'état se succédant ainsi à un rythme soutenu, la guerre civile est quasiment continuelle, et le Mexique est écrasé sous les dettes : le pays doit plusieurs millions de pesos à la France, l'Espagne, mais surtout à l'Angleterre. Benito Juarez, le président au pouvoir, décide en juillet 1861 de suspendre le remboursement de sa dette, les caisses de l'état étant vides.
C'est dans ces conditions que Napoléon III se lance dans un plan audacieux. Utilisant le prétexte de cette suspension des paiements de la dette, il décide d'intervenir militairement au Mexique, avec une idée bien précise derrière la tête : favoriser un état mexicain stable, impérialiste et d'une certaine façon inféodé à la France, et créer ainsi un nouvel El Dorado en Amérique qui serait en mesure de tenir tête à la puissance montante des Etats-Unis, alors empêtrés dans la guerre de Sécession.
Le siège de Puebla de Los Angeles
Le 5 mai 1862, après quelques escarmouches contre les juaristes, les troupes françaises essuient une cuisante défaite à Puebla de Los Angeles, laissant près de 500 morts sur le champ de bataille, écrasés par les terribles cannonades de l'artillerie ennemie. Mais en mars de l'année suivante, après quelques modifications d'état-major, les soldats français reprennent les hostilités et assiègent la ville de Puebla qui les avait si durement battus. Le siège dure deux mois en tout, et verra finalement la victoire de l'armée française. C'est dans ce contexte que la bataille de Camerone se déroule, un épisode somme toute secondaire de la prise de Puebla de Los Angeles, mais qui reste dans l'Histoire comme le plus haut fait d'arme de la Légion Etrangère.
Tandis que le siège de Puebla se déroule, les renforts sont envoyés depuis les lignes arrières : vivres, munitions, artillerie, autant d'éléments indispensables au bon fonctionnement de l'armée. Un de ces convois part de Veracruz le 29 avril 1863. Mais un renseignement recueilli par l'état major français révèle que des soldats juaristes seraient en route pour intercepter le convoi : afin de le protéger, on dépêche alors une troupe du Régiment Etranger de la Légion Etrangère, composée de 62 légionnaires et 3 officiers. L'un d'eux, le capitaine Jean Danjou, commandant du détachement, est un militaire d'expérience : un dur à cuire dont la main articulée en bois fait sensation...
Résistance héroïque à Camerone
Le 30 avril 1863, à l'aube, et après une nuit de marche forcée, le détachement de légionnaires se trouve face-à-face avec une troupe mexicaine : formant le carré, ils parviennent tout d'abord à briser deux charges de cavalerie, puis sont contraints de se replier et se retrancher dans une hacienda proche, dans le village de Camerone, et ce en devant abandonner leurs vivres et leurs munitions. Les tables, les chaises, tout ce qui leur tombe sous la main leur permet d'organiser des barricades de fortune, et chacun s'apprête à tenir bon, coûte que coûte : en face des légionnaires, c'est près de 2000 soldats juaristes qui arrivent !
Le capitaine Danjou fait jurer à ses hommes
de combattre jusqu'au bout
A 10 heures du matin, les mexicains allument des incendies, hésitant à prendre l'hacienda d'assaut. A midi, voyant que les français tiennent bon, l'ennemi passe à l'attaque, mais sans parvenir à conquérir tout le bâtiment : le capitaine Danjou meurt dans l'assaut, frappé d'une balle dans la poitrine. Le sous lieutenant Jean Vilain, un combattant expérimenté lui aussi, prend la relève du commandement, mais pour peu de temps : deux heures après, il tombe à son tour, la tête percée par une balle. C'est au tour du sous lieutenant Clément Maudet, un vieux briscard bardé de médailles militaires, de prendre le commandement. Au milieu de l'après-midi, il ne reste plus que douze hommes debouts autour de lui : les autres sont morts ou trop gravement blessés pour se battre. Tous sont accablés par la chaleur, tourmentés par la soif et la faim, étouffés par les fumées des feux ennemis.
Résistance désespérée des légionnaires dans l'hacienda
Enfin, vers la fin de l'après-midi, après plus de huit heures de combats héroïques, il ne reste plus que le sous lieutenant Maudet et 4 hommes encore en état de se battre, et ils tiennent toujours les juaristes en respect. Dans une ultime bravade, les légionnaires chargent l'ennemi, baïonnette au canon ! Après cet assaut, deux hommes de plus ont trouvé la mort : le colonel Angel Cambas, un officier mexicain qui avait été élevé en France, conjure les survivants de se rendre. Maudet transige et fait jurer à Cambas que les prisonniers seront bien traités et pourront conserver leurs armes et leurs effets : Cambas accepte. En voyant la poignée de combattants français, le colonel Francesco Milan, qui commande les juaristes, n'en revient pas, et s'exclame : « Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! ».
Bilan & postérité
A l'issue de cette incroyable journée, 34 légionnaires sont morts. Sur les 31 rescapés, quasiment tous sérieusement blessés, 19 meurent des suites de leurs blessures, dont le vaillant sous lieutenant Maudet. De leur côté, les juaristes déplorent la perte de plus de 300 hommes. Quelques semaines plus tard, les 12 survivants sont progressivement échangés contre des prisonniers mexicains, après avoir semble-t-il été particulièrement bien traités par leurs adversaires victorieux. Sur une décision de Napoléon III, les noms de Danjou, Vilain, Maudet et Camerone sont gravés sur le mur des Invalides...
Aujourd'hui, tous les drapeaux de la légion étrangère portent l'inscription "Camerone 1863", et lors des cérémonies de commémoration de la légion, on présente la main en bois du colonel Danjou, telle une véritable relique. L'expression "Faire Camerone" signifie désormais "se battre jusqu'au sacrifice ultime". Enfin, un monument en hommage aux français comme aux mexicains s'élève sur les lieux de la bataille ; érigée en 1892 et restaurée en 1965, cette stèle voit tous les ans l'armée mexicaine y commémorer la bravoure de tous ceux qui sont tombés là, et l'on peut y lire ces mots inscrits dans le marbre :
Ils furent ici moins de soixante
Opposés à toute une armée
Sa masse les écrasa
La vie plutôt que le courage
Abandonna ces soldats français
Le 30 avril 1863