Mata Hari est un nom que l'on connaît, qui évoque généralement des horizons exotiques, une danseuse troublante de la Belle Epoque, mais l'on ignore bien souvent qui était réellement cette femme. Une bonne occasion de combler cette lacune !
Margaretha Zelle est née en 1876 à Leeuwarden, dans les Pays-Bas, d'un père hollandais et d'une mère javanaise. Sa jeunesse est marquée par son apparence métissée, inhabituelle aux Pays-Bas : son père la chérit et la gâte beaucoup, et on lui reconnaît une silhouette élancée, un corps svelte, et une tendance naturelle pour charmer son entourage. Quelques années après la mort de sa mère, son père connaît des revers de fortune : c'est ainsi qu'à l'âge de 18 ans, en 1894, Margaretha entre à l'école normale afin de devenir institutrice. Elle est renvoyée pour avoir séduit le directeur de l'établissement, qui perd lui aussi sa place.
Peu de temps après, elle se marie avec Rudolf MacLeod, un capitaine de vaisseau de la marine hollandaise beaucoup plus vieux qu'elle, rustre et porté sur la bouteille, avec qui elle part s'installer dans les Indes néerlandaises (actuelle Indonésie), pays natal de sa mère. Elle y reste pendant neuf années, au cours desquelles elle connaît un drame : ses deux enfants sont empoisonnés par une servante, et l'un d'eux meurt intoxiqué. Dans le même temps, sa vie exotique est des plus exaltantes, et c'est dans cet état d'esprit qu'elle rentre en Europe en 1903. Elle divorce très rapidement, est contrainte de laisser sa fille en garde à son désormais ex-mari (faute d'argent), et se rend à Paris.
C'est là qu'elle fait ses débuts comme "danseuse de charme", et est rapidement remarquée pour son talent. Elle s'est inventé une personnalité extraordinaire : elle est une princesse indonésienne du nom de Mata Hari ("l'oeil de l'aube" en malais), a appris les secrets de la danse auprès d'un prêtre de Shiva... L'écrivain Colette dit en parlant d'elle :
Elle ne dansait guère, mais elle savait se dévêtir progressivement et mouvoir son long corps bistre, mince et fier.
C'est ainsi qu'elle parcourt l'Europe, de succès en succès : France, Allemagne, Espagne, Angleterre, Pays-Bas, Autriche, Egypte... Mata Hari collectionne les soirées prestigieuses, les protecteurs influents et les amants richissimes.
En 1916, alors que la guerre sévit depuis deux ans, Mata Hari s'éprend d'un jeune lieutenant russe au service de la France, nommé Vladim Maslov : alors qu'elle lui rend visite à Vittel, elle est contactée par un membre du contre espionnage français, le capitaine Ladoux. Mata Hari, grâce à ses nombreux déplacements et ses contacts mondains et internationaux, pourrait servir la France : elle peut en effet circuler librement en Europe, en tant qu'artiste et ressortissante des Pays-Bas, un pays neutre.
On la charge d'aller collecter des informations par l'entremise de l'une de ses connaissances personnelles : Guillaume de Prusse, le
Kronprinz de l'empire allemand
[1]. Afin d'éviter les combats, elle rallie tout d'abord l'Espagne, puis gagne l'Angleterre où elle est interrogée par les services secrets britanniques, l'
intelligence service. Sans plus de conséquence, elle ne peut toutefois plus gagner la Prusse : elle retourne donc en Espagne, s'établit à Madrid, et séduit le major Kalle, l'attaché militaire du consulat allemand. Ce dernier transmet à Berlin un message crypté dans lequel il décrit certaines informations d'importance, précisant que « l'agent H-21 a été très utile ». Mais le cryptage utilisé est connu des services français (volontaire de la part des allemands ou non ?), et l'agent H-21 est rapidement identifié comme étant Mata Hari.
Au mois de janvier 1917, Mata Hari rentre à Paris pour y retrouver son amant, le lieutenant Maslov. Un mois plus tard, elle est arrêtée dans un luxueux hôtel par les services français : on l'accuse de jouer double jeu, et d'espionner pour le compte de l'ennemi. On la questionne longuement dans des conditions assez humiliantes, on fouille ses affaires, mais hormis quelques peccadilles, l'on ne trouve rien de sérieux accréditant la trahison.
Sous la pression d'une population exaspérée par les mauvaises nouvelles du front, les mutineries et les innombrables morts de la guerre, Mata Hari est condamnée à mort après un procès expéditif et inique, pour intelligence avec l'ennemi. Le 15 octobre 1917, elle est fusillée : elle refusa qu'on lui bande les yeux, et quelques instants avant qu'on la passe par les armes, elle envoya du bout des doigts un baiser à ses bourreaux...
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1. Guillaume de Prusse rendit hommage à la valeur militaire du commandant Raynal et des héroïques défenseurs du fort de Vaux, en leur remettant un poignard allemand, ne retrouvant pas le sabre que le capitaine français avait remis à un officier allemand lorsqu'il s'était rendu. Pourtant, cet acte d'honneur ne présageait pas de la fin de ce prince : après de multiples compromissions avec le pouvoir nazi dans l'entre deux guerres, il finira noyé dans la frivolité et piteusement entretenu par sa femme. Le général de Lattre de Tassigny dira de lui : « Monsieur, vous êtes lamentable » !