Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Faut pas se
mettre la rate
au court-bouillon
Dans tes
rêves
Malheureusement, Dieu dévore doucement son destin. Par là même, la mort s'évade en rampant depuis le bonheur de l'imagination
Jean-Sol Partre ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

16 Décembre 2007 ::

« Salauds de patrons »

:: Métroboulododo

De la Bohème...

Autrefois, j'étais artiste. Un vrai de vrai, vivant aux crochets de la société sur des fonds publics dispendieusement distribués par diverses collectivités à grands coups de subventions, et inféodé aux tergiversations journalistiques locales, véritable rebut de Presse. Pendant une année et demi, je touchai le fond du parasitisme en obtenant le statut tant décrié d' « intermittent du spectacle ». Comme son nom l'indique, l'artiste jouissant de ce statut crée et participe à des spectacles, et ce par intermittence. Car, soyons sérieux, il n'est pas possible de créer ou participer à des spectacles 35 heures par semaine. Bref, je fus l'un de ces rares élus, grâce à la magie des combines bureaucratiques d'une grande association nantaise notamment. Pendant ces mois de bohème, je pus voir combien ceux qui méritaient vraiment le statut peinaient à l'obtenir et le conserver (puisqu'il est chaque année remis en cause, pas de CDI chez les artistes !), et surtout combien une petite partie de fumistes qui ne le méritaient pas du tout trichait, profitait et parasitait le système.

Puis, ô miracle, j'eus l'insigne honneur de signer un CONTRAT. Un vrai, avec un nombre d'heures fixe, des défraiements de déplacement et de repas. Consécration suprême, je commençai dès lors ma lente et périlleuse remontée vers la respectabilité ! C'est ainsi que, cumulant dans ma plus folle année jusqu'à sept emplois à temps partiels dans diverses associations, écoles de musique et conservatoires, je parvins péniblement à me hisser vers une hypothétique berge sèche, hors du marais infect de la marginalité artistique. Mais la fange reste longtemps collée à la semelle du plus volontaire des hommes de bien, et jamais je ne pus me départir de cette pénible étiquette d'artiste.

— Vous faites quoi dans la vie ?
— Je suis musicien, ma bonne dame.
— Ah, c'est bien, ça. Et sinon, votre vrai métier c'est quoi ?

...à la respectabilité

C'est alors que la grâce divine me toucha, un beau matin, alors que je venais de me gratter une fesse : accompagné par l'autre moitié de mon couple, je co-créai une entreprise. Pari fou, idée insensée, motivée principalement par la possibilité de pouvoir travailler chez soi, et ainsi éviter de devoir patauger dans la boue avec les autres, les gens, ceux qui remplissent toujours maladroitement et péniblement chaque espace qu'on tente paisiblement d'occuper seul. Ainsi fîmes nous, et, bon gré mal gré, les choses avancèrent petitement. Aujourd'hui, nous ne sommes certes pas riches, loin de là, mais avons de quoi manger, nous loger, et même parfois de quoi acheter la dernière compil' de Tecktonik en regardant la Star Academy.

Dans ma vie antérieure, je ne savais pas d'où venait l'argent de mon salaire. Enfin si, je savais que c'était des histoires de subventions, untel du Conseil Général qui faisait partie du bureau de l'association, et qui était copain avec unetelle de la direction. Mais cela m'était égal. En outre, personne dans ma famille n'avait d'expérience similaire à celle dans laquelle je me lançais : ils étaient fonctionnaires ou employés d'entreprises gigantesques quasi-assimilables à des administrations. Il nous fallut donc tout découvrir seuls, mais nous ne tardâmes pas à comprendre l'essence même d'une petite entreprise : l'ARGENT. Moi qui suis tout sauf vénal, je fus contraint de parler d'argent, souvent, et beaucoup.

Je m'aperçus que gagner de l'argent, pour de vrai, en allant chercher soi-même le travail, pour le faire ensuite le mieux possible, puis devoir pleurer pour obtenir son paiement, c'était difficile. Je m'aperçus en outre qu'une fois cet argent difficilement gagné, il fallait en redonner la moitié à l'Etat, pour qu'il en distribue ensuite une partie à des collectivités, afin qu'une poignée d'artistes véritables vivote difficilement et qu'une louchée de parasites en profite. Et surtout, je m'aperçus que, comme quand j'étais intermittent, j'étais condamné au CDD perpétuel : si un jour les affaires devaient connaître une petite baisse, alors l'argent n'arriverait plus, et je devrais cependant toujours en donner la moitié et même plus à l'Etat et aux banques, sans délai, sans contrepartie, sans faute, sans me plaindre et sans faire la grève.

Aujourd'hui, je fulmine quand j'entends le discours simpliste et affligeant de la LCR. Je peste contre les « grands patrons » qui empochent des millions, simplement parce qu'ils ont été licenciés. Je conchie les journalistes qui continuent d'entretenir le mythe délirant du jeune patron dynamique qui gagne forcément beaucoup d'argent, qui prend des cours privés de tennis le soir et qui participe à des cocktails, un verre de champagne dans la main gauche, et un contrat prêt à être signé dans la main droite.

Car après avoir bu dans les deux verres, je peux affirmer qu'être patron ou artiste, c'est presque pareil : dans les deux cas, une petite poignée de parasites fait du tort à ceux qui ont du mérite. La seule différence, c'est que les artistes passent pour être du côté de Cosette, quand les patrons passent pour être du côté des Thénardier.

C'est une erreur grave de croire que le socialisme ne s'intéresse qu'à une classe, la classe des ouvriers, des producteurs manuels. S'il en était ainsi, il remplacerait simplement une tyrannie par une tyrannie, une oppression par une oppression. [...] Le socialisme vrai ne veut pas renverser l'ordre des classes ; il veut fondre les classes dans une organisation du travail qui sera meilleure pour tous que l'organisation actuelle. Je sais bien que les meneurs du socialisme le réduisent trop souvent, par des déclamations violentes et creuses, à un socialisme de classe, d'agression, de convoitise ; mais je sais aussi que la vraie doctrine socialiste, telle que les esprits les plus divers l'ont formulée, les Louis Blanc, les Proudhon, les Fourier, est bien plus large et vraiment humaine : c'est le bien de la nation tout entière, dans tous ses éléments sains et honnêtes, qu'elle veut réaliser.

En fait, si l'on va au fond des choses, le système d'individualisme à outrance, d'âpre concurrence, de lutte sans merci qui régit aujourd'hui la production, fait presque autant de mal à la classe bourgeoise dans son ensemble qu'à la classe ouvrière. Le patronnat a ses misères qui ne sont pas les mêmes que celles de l'ouvrier, qui sont moins apparentes, moins étalées, mais qui souvent sont poignantes aussi.

Jean Jaurès, dans le journal La Dépêche, 28 mai 1890.

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