Deux ennemies
Dans les années 1540, tandis que le règne de
François Ier est déjà commencé depuis de nombreuses années, la cour est le siège d'une bien étrange jalousie entre deux femmes. La première est Anne de Pisseleu, duchesse d'Étampes, et maîtresse du roi. C'est une femme d'une grande intelligence, issue d'une famille de haute et vieille noblesse, qui a reçu de nombreuses marques d'honneurs de la part de son royal amant, François Ier. Elle a beaucoup oeuvré et oeuvre toujours en faveur des arts et de la littérature, et est à ce titre indéniablement une femme de la Renaissance. Mais au-delà de cette érudition, la duchesse d'Etampes déteste cordialement le dauphin, futur
Henri II, qu'elle n'a de cesse de contredire. Le dauphin, malgré son mariage avec Catherine de Médicis, a lui aussi une maîtresse : elle se nomme Diane de Poitiers, et est de 20 ans son aînée. Toujours séduisante à 40 ans passés, spirituelle et pleine de charmes, Diane de Poitiers a un ascendant certain sur Henri II.
A gauche : Anne de Pisseleu, duchesse d'Etampes
A droite : Diane de Poitiers
Ainsi, ces deux femmes influentes et ambitieuses entretiennent une jalousie tenace l'une envers l'autre. Les rivales ont chacune un cercle de proches, sorte de cour personnelle : lorsqu'un adversaire de la duchesse d'Etampes se présente, Diane de Poitiers s'empresse de l'accueillir dans son cercle de proches, tandis que la duchesse d'Etampes protège à son tour le moindre ennemi de Diane de Poitiers...
Deux amis
Dans ces cours, on distingue deux hommes, liés par une amitié franche et courtoise, tous deux favoris du roi François Ier : François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraie, et Guy Chabot, seigneur de Jarnac.
François de Vivonne est un solide gaillard, fort et très renommé pour son grand talent dans le maniement des armes. Il s'est d'ailleurs plusieurs fois distingué à ce titre, et tout le monde s'accorde à voir en lui un gentilhomme affable, sympathique, quoique peut-être parfois un peu trop querelleur et bagarreur. Né en 1520, élevé à la cour depuis l'âge de 10 ans comme « enfant d'honneur », il est le filleul de François Ier, qui l'aime beaucoup notamment pour son goût de l'exercice physique et de l'escrime, domaines que le roi apprécie lui-même tout particulièrement. Plus encore que François Ier sans doute, Henri II apprécie François de Vivonne : celui-ci se montre en effet souvent à la cour de Diane de Poitiers, la maîtresse du dauphin.
A gauche : François Ier - A droite : Henri II
Guy Chabot, seigneur de Jarnac, est un peu plus âgé que François de Vivonne, et moins habile aux armes que son puîné. Il s'est toutefois distingué pendant les guerres d'Italie, et son courage n'a rien à envier à celui de Vivonne. Guy Chabot a lui aussi grandi à la cour en tant qu'enfant d'honneur. Lui aussi est très aimé de François Ier, qui le surnomme affectueusement
Guichot. Depuis 1540, il est également l'époux de Louise de Pisseleu, la soeur de la duchesse d'Etampes : c'est à ce titre que, contrairement à Vivonne qui fréquente le cercle de Diane de Poitiers, Guy Chabot paraît fréquemment aux côtés de sa belle-soeur, la duchesse d'Etampes, sans que son amitié avec François de Vivonne n'en souffre le moins du monde.
Jalousie & calomnie
C'est au cours d'un banal séjour à Compiègne que l'affaire démarre. Tandis que Guy Chabot marche en compagnie du dauphin Henri II et de François de Vivonne, il affirme en toute naïveté que sa belle mère est très aimable et très prévenante envers lui, et qu'il obtient ainsi facilement de l'argent, sans arrière-pensée. Henri II, influencé par sa maîtresse Diane de Poitiers qui voit là une occasion rêvée de médire sur le beau frère de son ennemie jurée, fait courir la rumeur en la déformant, affirmant que Guy Chabot obtient toutes les grâces qu'il souhaite auprès de sa belle mère, et qu'il « paillardoit et couchoit avec elle »... La rumeur enfle, et c'est au désespoir que Guy Chabot se rend devant son père, pour lui jurer bien solennellement que tout cela n'est que pure invention.
Il apparaît alors clairement que la rumeur ne peut provenir que du dauphin Henri II : Guy Chabot, n'osant porter l'accusation ouvertement, déclare que quiconque a propagé pareille rumeur « estoit meschant et en avoit vilainement menti ». Henri II, ne voulant pas endosser un rôle infâmant de calomniateur, refuse toutefois d'avouer que c'est Diane de Poitiers qui est à l'origine de ces mensonges. C'est alors que François de Vivonne, embarrassé par la douloureuse situation du dauphin, décide de laisser de côté son amitié pour Guy Chabot : le seigneur de la Châtaigneraie affirme devant tous que c'est lui qui est à l'origine des propos incriminés, et qu'il les tient de la bouche même du seigneur de Jarnac.
L'amitié est donc rompue, et Guy Chabot demande à laver l'affront par un duel contre son calomniateur, François de Vivonne. Les choses sont faites dans les règles très strictes de la chevalerie, et le roi François Ier réfléchit longuement pour se décider à accorder ou non ce duel entre deux de ses favoris. Il finit par refuser, visiblement bien conscient que tout cela n'est que l'effet de la jalousie qui oppose Diane de Poitiers et la duchesse d'Etampes.
Mais le 31 mars 1547, François Ier meurt : Henri II devient roi de France, et le contentieux qui oppose les deux anciens amis peut enfin se régler...