Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
C'est ce qu'on dit
Paradoxalement, la Femme noie parfaitement la morale. C'est pourquoi la justice se délite en évitant la fin du post-modernisme
La Rochefaucud ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

1er Octobre 2007 ::

« Un espion dans les toilettes de l'URSS »

:: Histoire contemporaine, 1981

Après les histoires de Mata Hari et d'Amy Elizabeth Thorpe, voici de nouvelles anecdotes d'espionnage, des plus savoureuses s'il en est...



A la fin de l'année 1979, la situation politique internationale est plutôt tendue. Pourtant, la guerre froide s'était quelque peu calmée peu de temps auparavant, et les relations entre l'est et l'ouest étaient devenues plus cordiales : le 18 juin, Jimmy Carter et Leonid Brejnev, présidents des Etats Unis et de l'URSS, avaient même signé le traité SALT II[1], visant à poursuivre le désarmement nucléaire. Mais le 24 décembre, l'armée soviétique envahit l'Afghanistan pour essayer de sauver le pouvoir communiste en place, provoquant la colère des pays occidentaux. SALT II n'est pas ratifié, et les relations entre américains et russes se détériorent à nouveau. Dans le même temps, Deng Xiaoping, habile réformateur de la Chine, s'éloigne progressivement de l'URSS et se rapproche des Etats-Unis.

C'est dans ce contexte qu'il convient de faire connaissance avec le comte Alexandre de Marenches. Cet officier français du contre espionnage, de noblesse ancienne, né en 1921, est déjà un homme d'expérience : combattant en Afrique du Nord dès 1942, en Italie en 1943 sous les ordres du général Juin, puis officier de liaison entre de Gaulle et Eisenhower, il est depuis 1970 le chef du SDECE[2], nommé à ce poste par feu le président Georges Pompidou. Farouche anticommuniste, il côtoie les plus grands dirigeants du monde et se trouve dans la confidence de nombreux secrets d'Etat.

En 1979, l'affaire des otages américains à Téhéran secoue les Etats Unis : 63 personnes sont retenues par des étudiants islamiques dans l'ambassade américaine de la capitale iranienne, alors que l'Ayatollah Khomeini est au pouvoir depuis quelques mois seulement. Les américains sollicitent le conseil d'Alexandre de Marenches, qui suggère purement et simplement de kidnapper Khomeini pour l'échanger contre les otages ! Il déclare ainsi : « Quand on négocie avec des marchands de tapis, on a besoin de quelque chose à échanger ». Après des semaines de reconnaissance, les hommes de Marenches mettent sur pied un plan détaillé, consistant à atterrir en hélicoptère près de la résidence de l'Ayatollah, neutraliser ses gardes, et filer en douce. Bien que la CIA semble apprécier l'idée, Jimmy Carter la refuse : « On ne peut pas faire ça à un vieux prêtre », déclare-t-il...

Marenches s'entend mieux avec Ronald Reagan, arrivé au pouvoir en 1981. « Pas un intellectuel, mais un type bien » dira-t-il de l'ancien acteur devenu président des Etats-Unis... Toujours soucieux de nuire aux soviétiques qui s'embourbent en Afghanistan, Marenches propose l'Operation Mosquito aux américains, ainsi nommée car, selon le rusé français, « un simple moustique peut rendre un ours dingue ». Il s'agit de passer en Afghanistan diverses marchandises en contrebande, à destination de l'armée soviétique : drogues, alcool, et littérature séditieuse notamment. La CIA et Reagan approuvent l'idée, et demandent à Marenches de s'en charger. Celui-ci demande au directeur de la CIA, William Casey : « Peux-tu me garantir qu'il n'y aura aucune fuite et que ma photo ne se retrouvera pas à la une du Washington Post ? », et Casey de répondre : « Non, Alex, je ne peux pas ». Marenches refuse donc de se charger de la mission.

En 1981, comme de nombreux pays occidentaux, la France est curieuse de connaître l'état de santé exact de Leonid Brejnev. Profitant d'une visite d'état du président russe au Danemark, Alexandre de Marenches met sur pied un plan des plus farfelus : à l'hôtel d'Angleterre, à Copenhague, ses hommes louent la suite située juste en dessous de la chambre de Brejnev, et démontent la plomberie. Ils récupèrent ainsi toutes les matières fécales du vieux soviet, et les envoient à Paris pour des analyses ! Les résultats sont d'ailleurs conformes aux soupçons : Brejnev, grand amateur de vodka, souffre de graves dommages au foie[3].

Le comte Alexandre de Marenches, quant à lui, démissionne de son poste en juin 1981, refusant de servir le nouveau président socialiste français, François Mitterrand. Il meurt en 1995 d'un infarctus[4].


_________________________________
1. Strategic Arms Limitation Talks

2. Service de Documentation Extérieure et de Contre Espionnage — Ce service sera remplacé en 1982 par la DGSE.

3. Leonid Brejnev meurt d'ailleurs l'année suivante, le 10 novembre 1982.

4. Pour en savoir plus sur Alexandre de Marenches, lire « Dans le secret des princes », un ouvrage recueillant ses mémoires, sous forme d'un entretien avec Christine Ockrent. James Bond n'a qu'à bien se tenir !

finipe, 00h14 :: :: :: [3 soupirs de satisfaction]