Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
Ça c'est
balot...
Malheureusement, l'Humanité noie parfaitement l'intelligence. Par là même, l'Histoire s'oublie, se précipitant vers l'enfer de l'individualisme
Saint Tobustin ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

28 Novembre 2007 ::

« Funk-tionnaire ! »

:: Métroboulododo

Mon con frère draleuq et moi-même pourrions sans doute faire un concours... Tandis que lui fustige l'imbécillité d'un service du Conseil Général, au détour d'une tranche de vie ordinaire, je me permets de vous livrer ici un épisode véritable de mon activité professionnelle.




Sur mon bureau, une note prise par l'autre moitié de mon couple :

Monsieur Bozo, DDAF[1] de l'Isère
Dossier de Floumier-sur-Croutemolle : quelle est la date de fin des travaux du parc éolien ?
Rappeler cet après-midi au XX.XX.XX.XX.XX


14h00, j'appelle :

— [45 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip


14h30, je rappelle :

— [45 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip


15h00, je rarappelle :

— [30 secondes] Biiiiip... biiiiiip... biiiiiip
— Direction de l'Agriculture, bonjour.
— Bonjour madame ; finipe, pour la société Schmurtz & associés. Je devais rappeler monsieur Bozo à propos du dossier de Floumier-sur-Croutemolle.
— Vous êtes ? Vous m'avez dit ?
— Je suis finipe, pour la société Schmurtz & associés. Au sujet du dossier de Floumier-sur-Croutemolle. Monsieur Bozo souhaitait connaître la date de fin des travaux du parc éolien.
— Un instant, je vous voir si monsieur Bozo est là.
— [Musique d'attente, en l'occurrence l'increvable « Printemps » de Vivaldi, en version « orgue Bontempi joué par Jean-Michel Jarre ». C'est dire la médiocrité de la chose !]
— Allô ? Désolée monsieur, mais je n'arrive pas à trouver monsieur Bozo.
— Ah, c'est embêtant... Savez-vous à quelle heure il sera joignable, s'il vous plaît ?
— Aujourd'hui ?
— Eeeuh oui, oui aujourd'hui.
— Aujourd'hui je ne sais pas.
— En fin d'après-midi peut-être ?
— En fait, je ne sais pas du tout où est monsieur Bozo. C'était à quel sujet ?
— [agacement contenu] Au sujet du dossier de Floumier-sur-Croutemolle, à propos duquel monsieur Bozo souhaitait connaître la fin des travaux du parc éolien.
— Ah oui. Je peux prendre un message ?
— Non laissez, je rappellerai demain.
— Ah c'est impossible, monsieur Bozo ne travaille pas demain.
— Bon, bon, je rappellerai un autre jour alors...



_________________________________
1. Direction Départementale de l'Agriculture et des Forêts

finipe, 01h19 :: :: :: [4 poignants panégyriques]

26 Novembre 2007 ::

« Jules Bonnot, anarchiste assiégé »

:: Histoire contemporaine, 1912

Après l'exécution de Ravachol, voici une autre histoire d'anarchistes célèbres... Bigre, ces gens-là ne plaisantaient pas !


De l'enfance misérable au crime

Né en 1876 à Pont-de-Roide (département du Doubs) dans une famille misérable et analphabète, Jules Bonnot se montre dès son plus jeune âge rétif à l'autorité, insolent et bagarreur. Il entame un apprentissage à 14 ans, et ne cesse de s'opposer à ses patrons. Il est condamné pour la première fois à 15 ans (pour « pêche avec engin prohibé »...), puis de nouveau à 19 ans pour une bagarre au cours d'un bal. Bonnot commence rapidement à militer pour l'anarchisme : il est renvoyé de son emploi de mécanicien aux chemins de fer. A 25 ans, il se marie avec Sophie, une jeune couturière, et part en Suisse. Les dix années qui vont suivre seront pour lui un longue suite de déménagements, de déceptions, et de luttes...

Doué pour la mécanique, il trouve facilement du travail en Suisse. Mais, toujours agitateur et anarchiste, il finit par être expulsé du pays. Entre temps, sa femme a accouché d'une fille qui n'a survécu que quelques jours. Le couple se retrouve ensuite à Lyon (où Sophie accouche d'un deuxième enfant, un fils), puis doit partir pour Saint-Etienne, fuyant l'ire du patronnat que Jules Bonnot combat avec une hargne toujours croissante. A Saint-Etienne, le couple est logé chez un certain Besson, le secrétaire syndicaliste de Jules : Besson séduit Sophie, et le couple illégitime s'enfuit en Suisse. Malgré plusieurs lettres désespérées, Jules Bonnot ne reverra jamais plus sa femme ni son fils. En 1906, il est licencié, et sombre dans la misère.

C'est alors qu'il applique vraiment ses convictions illégalistes[1], en s'associant notamment avec un italien du nom de Sorrentino, surnommé Platano : de retour à Lyon, il commet quelques casses avec succès, et, dans le même temps, monte deux ateliers de mécanique, art pour lequel il a décidément un véritable don. Au début de l'année 1910, il fait un court passage à Londres, où il est notamment employé comme chauffeur de l'écrivain Arthur Conan Doyle. Puis, Bonnot est de retour à Lyon, où il pratique assidument vol, braquage, recel, et faux monnayage en compagnie de son complice Platano.

Les « bandits tragiques »

A la fin de 1911, Bonnot quitte Lyon pour Paris : en chemin, Platano se tue accidentellement d'un coup de revolver[2]. Rendu dans la capitale, il fait la connaissance de tout un groupe d'hommes plus jeunes que lui, mais tous aussi convaincus par l'anarchisme. Ils se fréquentent tout d'abord au journal "l'Anarchie", et ont une vision commune de ce que doit être un anarchiste : sobres, végétariens, ils entretiennent une hygiène de vie irréprochable, et ont tôt fait de rejoindre Bonnot, dans cette fameuse "bande" qui ne tardera pas à faire parler d'elle en mettant en pratique l'illégalisme. Leurs noms sont Raymond Callemin (surnommé « Raymond la science » en raison de son érudition), Edouard Carouy, Eugène Dieudonné, André Soudy, Octave Garnier, Antoine Monier, René Valet, Paul Metge ; la bande à Bonnot, les « bandits tragiques » ainsi que la presse les surnomme rapidement, se distingue également en étant la première à utiliser la voiture comme outil, et Jules Bonnot profite à ce titre de son expérience dans ce domaine.


Jules Bonnot

Ainsi, dans les mois qui suivent, la bande à Bonnot terrorise la France et la Belgique en se livrant à de nombreux braquages, vols et cambriolages en tout genre. A plusieurs reprises, des meurtres sont commis : rentier, servante, policiers, gendarmes, boulanger, vieillards... Plus rien n'effraie les anarchistes, qui ont toutes les audaces, et ont définitivement oublié toute limite ! Mais cette course folle ne dure pas : les têtes des bandits sont mises à prix, et dès avril 1912, les premières arrestations ont lieu, notamment sous l'impulsion des célèbres "brigades du Tigre" — ancêtres de la police nationale — fondées par Clémenceau.

Bonnot, bête traquée

Après Soudy, Carouy, Callemin et Monier, qui sont arrêtés la plupart du temps dans la douleur (aucun ne se laisse faire !), Bonnot est finalement coincé à Choisy-le-Roi, alors qu'il avait trouvé refuge chez un de ses amis, un militant anarchiste du nom de Jules Dubois, garagiste de son état. Ainsi, le dimanche 28 avril, au petit matin, le pavillon de Dubois est cerné par la police : Dubois tire sans sommation sur tout ce qui porte un uniforme, et est immédiatemment abattu. Bonnot s'est barricadé à l'étage, et tire à feu nourri sur les policiers : ceux-ci, échaudés par la sulfureuse réputation et le jusqu'au-boutisme de l'individu, préfèrent attendre des renforts. C'est le préfet en personne, Louis Lépine[3], qui mène les opérations : pas moins de deux compagnies de la garde républicaine et un régiment d'artillerie arrivent sur les lieux ! De partout, des milliers de badauds accourent pour assister au spectacle...

Bonnot tire sur tout ce qui bouge, tant et si bien que décision est prise de dynamiter le pavillon : l'explosion souffle l'étage, mais Bonnot, réfugié entre deux matelas est toujours vivant, malgré de graves blessures. Se sachant perdu, il entame la rédaction de son testament. Dehors, c'est la curée, la foule hurle : la police dynamite une seconde fois le pavillon, puis entre dans le bâtiment mal en point. Bonnot, à bout de forces et acculé, tire encore trois fois en criant « Salauds ! », puis reçoit six balles dans le corps et rend l'âme.

Destins des autres membres de la bande

Au mois de mai, les deux derniers complices de la bande à Bonnot encore en cavale, Garnier et Valet, meurent à Nogent-sur-Marne sous les balles de la police, après un incroyable siège de neuf heures, qui mobilise plusieurs centaines de zouaves et d'artilleurs, des explosifs, des mitrailleuses... Dans la poche de Garnier, le mot suivant est griffonné :

Réfléchissons. Nos femmes et nos enfants s'entassent dans des galetas, tandis que des milliers de villas restent vides. Nous bâtissons les palais et nous vivons dans des chaumières. Ouvrier, développe ta vie, ton intelligence et ta force. Tu es un mouton : les sergots sont des chiens et les bourgeois sont des bergers. Notre sang paie le luxe des riches. Notre ennemi, c'est notre maître. Vive l'anarchie.

Après un procès retentissant et un immense écho dans les journaux, Callemin, Soudy, et Monier sont guillotinés devant la prison de la Santé, le 21 avril 1913. Dieudonné, disculpé par Bonnot dans son testament, voit sa peine de mort commuée en travaux forcés à perpétuité[4]. Carouy et Metge sont également condamnés aux travaux forcés à perpétuité.


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1. L'illégalisme est un mouvement qui considère que les actes illégaux sont un moyen de mener à la révolution : il légitime le vol, le cambriolage, voire le meurtre, et se distingue à cet égard difficilement du plus élémentaire des banditismes...

2. Cette thèse n'a jamais pu être totalement accréditée : il paraît également fort possible que Bonnot ait assassiné son comparse.

3. Créateur du célèbre concours éponyme.

4. Eugène Dieudonné s'évadera à 6 reprises du bagne de Cayenne, et sera finalement grâcié en 1927, avec l'aide notamment d'une campagne du célèbre journaliste Albert Londres.

finipe, 03h05 :: :: :: [8 injures]

21 Novembre 2007 ::

« Mons-en-Pévèle & le Lys d'Arfeuil »

:: Histoire médiévale, 1304

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. La bataille des éperons d'or
2. Mons-en-Pévèle & le Lys d'Arfeuil



Le contexte

Après le désastre de la bataille des éperons d'or, Philippe le Bel est fou de rage : alors que son armée devait venger l'affront des « Matines de Bruges », elle a été massacrée, et de nombreux grands seigneurs y ont trouvé la mort... Le roi de France ne peut laisser pareil camouflet sans réponse, aussi entreprend-il de préparer minutieusement sa revanche. Durant l'année 1303 et les premiers mois de 1304, de nombreux raids à la frontière du comté de Flandre et de l'Artois ont lieu, afin d'affaiblir les forces adverses, mais surtout d'amasser suffisamment d'argent pour mettre sur pied sa propre armée. Gui de Dampierre, seigneur de Flandre toujours emprisonné dans les geôles du roi de France, est libéré afin d'essayer de trouver une conciliation avec les flamands, mais les négociations n'aboutissent pas et Gui de Dampierre revient se constituer prisonnier.

Le 20 juin 1304, Philippe le Bel convoque l'Ost royal pour de bon. Jusqu'au mois d'août, les flamands résistent avec une grande détermination et parviennent à gêner considérablement l'avancée de l'armée française, qui doit de nombreuses fois battre en retraite et trouver de nouvelles routes pour avancer. Le 11 août, la flotte flamande est totalement anéantie devant le port de Zierikzee, en Zélande (actuelle Hollande) : les espoirs d'émancipation de la Flandre deviennent dès lors quasiment nuls...

Du 14 au 16 août, les deux armées se retrouvent à Mons-en-Pévèle pour des négociations, mais aucun accord n'est trouvé entre les deux parties. Le 17, l'Ost royal tente de rejoindre Pont-à-Vendin, tenu par les flamands, pour libérer la route d'Arras et ainsi régler de graves problèmes d'approvisionnement : mais l'armée flamande barre la route des français, qui cette fois-ci font face pour de bon.

Le 18 août 1304, sous un soleil de plomb et une chaleur écrasante, plus de 150.000 hommes s'affrontent ! 70.000 français font face à 80.000 flamands, et durant toute la journée, on se bat : arbalètes contre frondes, charges de cavalerie, contre-offensive flamande, échec de nouveaux pourparlers, destruction de catapultes françaises, prise du camp flamand par la cavalerie française, coup de force du camp flamand sur le camp royal (nous y reviendrons plus bas), et enfin charge décisive de la cavalerie française, qui met l'armée de Flandre en déroute.


La « Bataille de Mons-en-Pévèle », par Charles-Philippe Larivière (XIXème siècle)

Le lys d'Arfeuil

Au cours de la bataille, l'espoir a fini par quitter le camp flamand : privés d'eau et de nourriture, ils tentent un ultime coup de force en se ruant par surprise sur le camp royal de Philippe le Bel, pendant une trève. Le roi de France s'y repose, il a ôté son armure... Se relevant en catastrophe, il saisit une arme, se précipite vers son cheval, tandis que plusieurs hommes se font tuer en le protégeant, puis en l'aidant à se hisser sur sa monture.

Philippe le Bel se bat alors avec l'énergie du désespoir, et fait preuve d'un grand courage. A ses côtés, plusieurs hommes se distinguent également au cours de l'affrontement, qui, malgré la supériorité numérique et l'effet de surprise des flamands, voit finalement la victoire des français. Parmi les survivants s'étant distingués dans la mêlée figure un chevalier du nom de Mourin d'Arfeuil, originaire de la Haute Marche (actuel département de la Creuse). Philippe le Bel, afin de le récompenser pour sa bravoure, arrache une des fleurs de lys ornant son tabard, et la donne à Mourin d'Arfeuil : « désormais, tu pourras la faire figurer dans tes armes », lui dit-il.

Insigne honneur que celui-ci, puisqu'en théorie, seuls le roi et les membres de la famille royale peuvent arborer le lys dans leur blason ! Aujourd'hui encore, une fleur de lys figure au centre du blason d'Arfeuil[1], dont la famille a pour devise Virtus Astra Petit : « le courage monte jusqu'aux cieux ».

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1. D'azur à une fleur de lys d'or, accompagnée de trois étoiles du même, posées deux en chef et une en pointe

finipe, 03h06 :: :: :: [0 sarcasme grinçant]

17 Novembre 2007 ::

« La bataille des éperons d'or »

:: Histoire médiévale, 1302

Ce billet fait partie d'un sujet composé de deux parties :

1. La bataille des éperons d'or
2. Mons-en-Pévèle & le Lys d'Arfeuil



En ces temps d'instabilité chez nos voisins Belges, je vous propose ici un épisode historique que certains historiens considèrent comme l'un des actes fondateurs de la Belgique.



Les Matines de Bruges

A la fin du XIIIème siècle, Bruges, riche cité du comté de Flandre (l'industrie textile y est florissante), est agitée par des divisions. D'un côté, les Leliaert (« lei » : le Lys), partisans du roi de France. De l'autre, les Clauwaert (« clauw » : les Griffes — du lion de Flandre, bien sûr), farouchement attachés à leur indépendance. En 1280, une révolte des Leliaert échoue. Entre 1297 et 1301, Philippe IV le Bel envahit la Flandre, prenant prétexte que le comte de Flandre, Gui de Dampierre, a fiancé sa fille Philippa au fils du roi d'Angleterre, le futur Edouard II[1].

Mais en ce tout début du XIVème siècle, la France a malgré tout perdu une grande partie de la puissance qu'elle possédait en Europe durant le siècle précédent : l'Angleterre, qui possède l'Aquitaine, est un vassal remuant et indocile. Le commerce de la laine que les anglais entretiennent avec la Flandre est un pactole qui pousse Gui de Dampierre à solliciter toujours plus de rapprochement avec l'Angleterre, et Philippe le Bel voit la chose d'un bien mauvais oeil : il attire le comte de Flandre à Paris, le fait emprisonner, puis nomme Jacques de Châtillon gouverneur de Bruges[2]. En 1301, le roi et la reine de France font une entrée triomphale dans Bruges : Jeanne de Navarre, impressionnée par les ors de la cité, déclare : « Je me croyais seule reine, et j'en vois des centaines autour de moi ». De fastueuses libations s'ensuivent, mais les Brugeois haïssent bel et bien les français qui occupent leur ville...

Ainsi, au petit matin du 18 mai 1302, des Clauwaert menés par Pieter de Coninck et Jan Breydel, et largement soutenus par les fils de Gui de Dampierre, pénètrent dans les maisons occupées par la garnison, et massacrent ainsi un bon millier de soldats français[3] : Jacques de Châtillon parvient in extremis à fuir la ville, avec une poignée de Leliaert déconfits...

La bataille des éperons d'or

Philippe IV le Bel, apprenant le massacre de sa garnison à Bruges, est furieux : quelques semaines plus tard, il envoie une armée en Flandre pour laver cet affront dans le sang. Plusieurs grands seigneurs du royaume sont là : Jean de Burlas, Renaud de Trie, Guy de Nesles, Raoul de Nesles, Louis de Clermont, Jacques de Châtillon, Jean d'Aumale, Jean d'Eu, Mathieu de Lorraine, Renaud de Boulogne et le commandant en chef, Robert II d'Artois[4]. Ce sont 7.000 chevaliers, 10.000 arbalétriers et près de 30.000 piétons qui composent cette impressionnante armée.

Le 11 juillet 1302, près de Courtrai les attendent les miliciens flamands, en infériorité numérique : composés de paysans et de miliciens, à peine soutenus par quelques chevaliers, les flamands et le comté de Namur (actuelle Wallonie) n'ont ni l'expérience ni l'armement des français. Ils sont environ 20.000, stationnés sur des hauteurs, à l'abri derrière des fosses.

La bataille s'engage avec les arbalétriers, qui prennent l'initiative et font basculer dès le départ la bataille du côté français... Rapidement, les fantassins avancent pour en découdre avec les miliciens flamands, mais la chevalerie française s'impatiente : Robert d'Artois donne l'ordre de charger, quitte à pousser les fantassins qui gênent... Et comme à Crécy 38 ans plus tard, c'est la catastrophe ! La lourde et orgueilleuse cavalerie se brise sur les fossés et les flèches de l'armée flamande, qui se rue sur les cavaliers gisant au sol, vulnérables : plutôt que de capturer les chevaliers pour les rançonner, l'armée de Flandre les massacre sans pitié à coup de barres !

Lorsque les brumes de la bataille sont dissipées, des milliers de cadavres jonchent le sol boueux, dont Robert d'Artois et Jacques de Châtillon. En guise de trophée, les flamands ramassent les éperons dorés des chevaliers, pour les accrocher dans l'église Notre-Dame de Courtrai.


La « bataille des éperons d'or », par Nicaise de Keyser (XIXème siècle)



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1. Qui, nous l'avons déjà vu ici et ici, se mariera avec Isabelle de France, et finira très mal sa vie !

2. Jacques de Châtillon (ou Jacques de Saint-Pol) était l'oncle de la reine de France, Jeanne.

3. Afin de reconnaître les français avec certitude, les flamands auraient demandé à chacun de prononcer les mots Schield en vriend (« Bouclier et ami »), que seul un flamand peut prononcer sans accent.

4. C'est son fils, Robert III, qui sera aux prises avec Mahaut pour la succession de l'Artois dont Maurice Druon nous narre les aventures dans les « Rois maudits ».

finipe, 01h10 :: :: :: [3 vilénies]

14 Novembre 2007 ::

« De l'art de faire une bonne grève »

:: Métroboulododo

Dans la lignée de « l'art de faire un bon film », voici un petit mode d'emploi à l'usage des grévistes inconditionnels qui emmerdent tout le monde en ce moment :)



Tout d'abord, lorsque l'on aspire à être responsable d'un mouvement de grève, il est très important de choisir avec soin les termes que l'on emploie. Car, malheureusement, les temps sont durs : la population mécréante ne croit plus guère aux idéaux d'antan, les bonnes vieilles ritournelles de lutte des classes, où l'on savait facilement dans quels camps et qui étaient les gentils et les méchants. Les temps sont durs car désormais, les comportements moutonniers et la médiocrité endémique, véritable catastrophe collective qui fournissait le gros des troupes contestataires, sont investis par la population dans d'autres passe-temps certes aussi stupides, mais beaucoup moins utiles à la cause de la grève (nous laisserons ici le soin à chacun de jauger lesdits passe-temps, et leurs stupidités relatives).

Ainsi, la population française s'avère beaucoup plus réfractaire à toutes ces joyeuses manifestations, ces beuglements collectifs et ces drapeaux bigarrés qui ornent habituellement la remuante cohue des cortèges. Ils se lassent très rapidement des désagréments que la grève leur cause, et même, parfois, se rebiffent ! Voilà qui est extravagant, j'en conviens, mais hélas vrai. Nous pourrions pérorer fort longtemps sur le désintérêt et le manque d'investissement du salarié moyen vis-à-vis des syndicats, ces « fers de lance de la contestation » qui ont toujours tenu à bout de bras les grèves de tout genre... Aussi, puisque l'on est minorité risible, il faut faire contre bonne fortune mauvais coeur, et protester plus fort que tout le monde pour se faire entendre.

Il convient donc de trier ses mots avec soin. Prenons, par exemple, le cortège : il faut bien dire que le terme de cortège est particulièrement adapté à la grève. Il peut à l'envi exprimer la componction inhérente à tout défilé, l'aspect sinistre de l'enterrement, ou la gaieté d'un carnaval. Il FAUT parler de cortège pour souligner le caractère sérieux mais non rebutant de la manifestation. Les étudiants pourront éventuellement user du terme manif, subtile apocope de la manifestation, mais avec précaution : celui-ci est en effet très connoté "Mai 68", et, nous l'avons vu précédemment, le français moyen est assez réticent à ces effusions de la chienlit.

Le terme grève étant mal vu, il faut lui trouver un remplaçant plus politiquement correct, qui choquera moins les sensibles oreilles du peuple. Le délicat euphémisme de mouvement social est à cet effet très indiqué : on est pour le social (social, c'est bien, c'est bénéfique pour les pauvres), et on est en mouvement (on n'est donc pas forcément contre tout). Etre "contre tout", c'est un peu ce qui agace le peuple (alors que lui-même est souvent contre beaucoup de choses, paradoxalement), il sera donc plus avantageux d'être "pour quelque chose".

Prenons un exemple très actuel : un cheminot part à la retraite après 37,5 ans de travail, alors que la plupart des autres salariés doivent travailler 40 ans. Le nerf de la grève concerne donc un privilège, et nous savons que la France, dernier des grands pays communistes, coupeuse de tête chevronnée, hait profondément les privilèges, qu'elle assimile à l'aristocratie avec un atavisme national toujours surprenant[1]. Aussi pour maintenir une ligne de lutte solide, il faut retourner l'argument : plutôt que de ramener la toute petite minorité de privilégiés au même régime que l'immense majorité des autres, et ainsi respecter le sacrosaint égalitarisme, il est nettement plus profitable de demander que tout le monde passe à 37,5 années de travail ! La motivation initiale est bien entendu la même — conserver son privilège — mais le gréviste passe pour un philanthrope.

Et puis, finalement, on oublie trop souvent que 100% des gens travaillent pour gagner de l'argent : il en va de même pour les grévistes, qui finissent la plupart du temps par obtenir quelques compensations financières pour rentrer dans le rang. C'est ainsi que les gouvernements, pour faire passer la pilule en attendant la prochaine grève, fabrique des cons primés.

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1. N'oublions pas que le terme "grève" vient de la place de Grève à Paris, sur laquelle les travailleurs désoeuvrés venaient chercher une activité, mais aussi sur laquelle on a décapité à tour de bras tout au long de l'Histoire de France.

finipe, 20h16 :: :: :: [3 cris de désespoirs]

11 Novembre 2007 ::

« Les aventures du lion : le générateur ! »

:: Les aventures du lion

GRAND JEU CONCOURS

pour l'arrivée du générateur des aventures du lion




  • Chaque participant a le droit de créer autant de BD qu'il le désire, avec toutefois une limite raisonnable, fixée arbitrairement, tyranniquement et à la discrétion de finipe.

  • Chaque BD est susceptible d'être purement et simplement supprimée, si son contenu contrevient à la plus élémentaire des courtoisies que l'on est censé attendre en un lieu civilisé.

  • Chaque BD doit être signée et disposer d'une adresse email valide pour pouvoir être acceptée ; l'email n'apparaît pas, il ne sert que de contact entre le jury et le participant.

  • Le règlement est susceptible d'être modifié à tout instant, sans consultation préalable, parce que.

  • A l'issue du concours, fixée au 20 décembre, les meilleures créations seront récompensées — en guise de cadeau de Noël — par divers lots (livres, surprises variées...). Le jury hautement partial est composé de finipe.



J'ai bien lu, et je souhaite ardemment participer au concours !



BONNE CHANCE À TOUS :)



finipe, 20h15 :: :: :: [10 éclaircissements pompeux]

8 Novembre 2007 ::

« Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 4ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1934

Ce billet fait partie d'un sujet composé de quatre parties :

1. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 1ère partie
2. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie
3. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 3ème partie
4. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 4ème partie



L'interminable agonie

Comme le prévoyait le plan des nazis, au moment où le premier commando investissait le palais de la chancellerie, un second commando envahissait l'immeuble de la radio, et faisait diffuser le communiqué suivant : « Le chancelier Dollfuss a donné sa démission. Le docteur Rintenlen a été chargé de former le nouveau gouvernement ». Mais tout ceci n'est que posture vaine ! La police arrive très rapidement, et cerne l'immeuble : on se bat, des coups de feu claquent, et les nazis sont pris...

La chancellerie fait également l'objet d'un gros dispositif policier. A l'intérieur sont retranchés les nazis du premier commando, et le malaise est tangible : l'un des putschistes s'avance vers un des policiers retenus en otage, et, honteux, il admet que le chancelier Dollfuss a été « blessé ». Le sergent de la police est conduit près du chancelier, qui baigne dans son sang, allongé par terre, inconscient : le sergent insiste pour que Dollfuss soit secouru, mais le capitaine Holzweber, chef du premier commando nazi, refuse de faire quoique ce soit. On finit cependant par porter le chancelier sur un canapé, on éponge le sang qui continue de s'écouler à grosses gouttes, on humecte son front : il revient à lui.


Un panzerwagen de la police devant la chancellerie,
dans laquelle sont retranchés les conjurés nazis

Dollfuss demande comment vont les ministres, dit qu'il ne sent plus ses jambes et qu'il doit être paralysé... Il dit qu'il n'a toujours voulu que la paix, qu'il n'a fait que se défendre, qu'il n'a jamais attaqué, puis, faiblement, il ajoute : « Que Dieu leur pardonne ». Après quelques instants de flottement, c'est le major Fey qui s'avance vers le chancelier moribond, qui parle les yeux clos :

— Je n'en ai plus pour bien longtemps. Je voudrais, avant de mourir, te demander deux choses. La première est celle-ci : dis à Mussolini de prendre soin de ma femme et de mes enfants.
— Je te le promets Engelbert.
— Quant à ma succession, je confie à Kurt Schuschnigg le soin de former le nouveau cabinet. Si jamais il lui arrivait malheur, je veux que Skubl devienne chancelier.[1]


Engelbert Dollfuss, gisant dans un canapé

Bien sûr, ni Schuschnigg ni Skubl ne sont pro-nazi : les putschistes présents bondissent, brandissant leurs armes et hurlant que c'est Rintenlen qui doit être proclamé chancelier. Mais Dollfuss réitère son propos, et ne cède pas : Fey, quant à lui, joue un jeu trouble, en essayant de transiger avec les nazis. C'est d'ailleurs lui qui est chargé de négocier la reddition du commando : la chancellerie est cernée par la Police, et partout en ville, le putsch est maîtrisé. Les nazis ont échoué. Sur son canapé, Dollfuss s'étouffe, et d'une voix difficilement perceptible, il murmure :

J'ai soif... Plus de sang, plus de sang, plus de sang... J'embrasse ma femme et mes enfants...

Enfin, un flot de sang jaillit de sa bouche : il pousse un râle puissant qui épouvante ceux qui l'entendent, et s'éteint. Son agonie aura duré trois longues heures, au cours desquelles aucun soin ne lui a été prodigué.


Le major Emil Fey au balcon de la chancellerie,
négociant avec la police la reddition des nazis

Les suites du putsch manqué

L'assassinat de Dollfuss met Mussolini dans une colère noire. Il qualifie les nazis d' « assassins » et de « pédérastes », mais ne se contente pas de ces mots : il envoie quatre divisions (32.000 hommes !) vers le col du Brenner, qui sépare l'Autriche de l'Italie, pour protéger le pays de feu son ami Dollfuss. Pour Hitler, c'est une catastrophe, et il désavoue immédiatement l'action des nazis autrichiens[2]. Il envoie l'habile diplomate Franz von Papen comme ambassadeur à Vienne[3], et renonce solennellement à l'Anschluss qu'il appelait tant de ses voeux.

Parmi les conjurés, le capitaine Franz Holzweber, Otto Planetta ainsi qu'onze autres nazis sont condamnés à mort et pendus le 31 juillet. Tous meurent en criant « Vive le peuple allemand ! Heil Hitler ! ». 60 autres condamnés à mort sont graciés et voient leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Le docteur Rintenlen, quant à lui, tente de se suicider en se tirant une balle dans la tête, mais se rate : il est condamné à 25 ans de travaux forcés.


Otto Planetta et Franz Holzweber

Kurt Schuschnigg, comme l'avait souhaité Dollfuss avant de mourir, devient chancelier d'Autriche. En 1935, Mussolini subit les sanctions de la Société Des Nations pour avoir annexé l'Ethiopie : il n'est dès lors plus en mesure de protéger l'Autriche, et se jette dans les bras des nazis et de l'Allemagne hitlérienne. Enfin, en 1938, Hitler a remilitarisé son pays, et est devenu fort : le 13 mars 1938, après l'invasion de l'Autriche par les chars allemands, l'Anschluss est officiellement proclamé, bien que Schuschnigg ait fait tout son possible pour résister aux nazis.

Outre la libération des nazis autrichiens, l'un des premiers gestes d'Hitler en entrant à Vienne est de débaptiser la "place Engelbert Dollfuss" pour la renommer "place Otto Planetta"...


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1. Schuschnigg était le ministre de l'Instruction publique, et Skubl le préfet de police.

2. Le docteur Habicht est à cette occasion destitué avec éclat.

3. Von Papen était un catholique conservateur, qui avait des liens très forts avec le Vatican : outre son habileté dans la diplomatie, il était donc la personne idéale pour apaiser les consciences dans une Autriche très catholique et très conservatrice...

finipe, 02h55 :: :: :: [7 injures]

5 Novembre 2007 ::

« Savoir dissimuler est le savoir des rois »

:: Les aventures du lion





Note : le titre m'a été obligemment prêté par le cardinal de Richelieu. Merci Armand !

finipe, 13h02 :: :: :: [5 réflexions sagaces]

4 Novembre 2007 ::

« Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 3ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1934

Ce billet fait partie d'un sujet composé de quatre parties :

1. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 1ère partie
2. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie
3. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 3ème partie
4. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 4ème partie



L'impatience des nazis autrichiens

Après les massacres de février, l'opposition socialiste n'existe plus, mais Dollfuss sent confusément qu'on l'a poussé à aller trop loin : il tente de trouver des compromis avec les syndicats, mais c'est trop tard. Partout en Europe, on considère Dollfuss comme un dictateur sanguinaire, et le chancelier se retrouve ainsi totalement isolé, autant sur le plan intérieur qu'extérieur. Le 1er mai 1934, Dollfuss promulgue cependant la nouvelle constitution qu'il appelait de ses voeux, formant un nouvel Etat corporatif. A la fin d'un discours fleuve, il déclare : « Restons unis dans l'amour de notre petit, mais beau pays ! ».

Cependant, Hitler tente de convaincre Mussolini que Dollfuss est un homme dangereux. Le Führer se rend en visite diplomatique à Venise pour rencontrer le Duce, mais Mussolini ne veut rien entendre : il demeure un ami de Dollfuss, et n'aime pas Hitler, notamment en raison des exactions commises par les commandos nazis en Allemagne[1]. Pendant ce temps, les nazis autrichiens n'en peuvent plus d'attendre : ils ne rêvent que de l'union de l'Allemagne et de l'Autriche, et Hitler ne fait rien. La vérité, c'est qu'Hitler n'est pas encore en état de réaliser cet Anschluss dont il rêve tant : son armée n'est pas en état, le service militaire n'est pas rétabli, Mussolini ne le soutient pas. Si, pour les diplomates, cette situation est claire, elle l'est moins pour les militants nazis autrichiens.

Devant la menace des nazis, Dollfuss prend une décision curieuse : il retire à Emil Fey ses prérogatives, et les confie à un certain baron Karwinski, qui n'a aucune étiquette politique. Ainsi, si la situation tournait mal, Dollfuss pourrait peut-être faire appel aux socialistes, qui refuseraient toute aide à Emil Fey, le boucher du Karl-Marxhof... La Heimwehr, la police et l'armée n'entendent pas cette subtilité, et cette décision suscite l'incompréhension : les nazis en profitent pour passer à l'action.

La conjuration

Le 16 juillet, une réunion secrète se tient chez le docteur Habicht, à Munich. Leur plan est audacieux : 150 hommes, tous nazis autrichiens, devront revêtir un uniforme de l'armée fédérale, envahir la chancellerie lors d'un conseil des ministres, puis s'emparer de Dollfuss. Aussitôt, le docteur Rintenlen — un ancien de la Heimwehr, évincé par Starhemberg — devra former un nouveau gouvernement favorable aux nazis. Dans le même temps, la radio sera occupée, et le président Miklaus séquestré. L'action est planifiée pour le 24 au matin.

Des rumeurs de ce coup d'Etat parviennent cependant aux oreilles de Dollfuss, mais il refuse d'y croire : il part en Italie rejoindre sa famille, tous invités par son ami Mussolini. Le 24 au matin, premier grain de sable : le conseil des ministres est reporté au lendemain. Le plan est donc également décalé d'un jour, mais ce répit donne des scrupules à l'un des conjurés, un certain Johann Dobler : il avertit les autorités de l'imminence d'un coup d'Etat. Emil Fey, prévenu en premier lieu, devrait réagir immédiatement, alerter la police et l'armée, mais il n'en fait rien : une heure avant le coup d'Etat, il mobilise des miliciens de la Heimwehr et attend l'heure fatidique, persuadé de pouvoir réprimer seul le putsch et en tirer toute la gloire !

Le 25 juillet à 11 heures, le conseil des ministres se réunit comme prévu. Quelques centaines de mètres plus loin, dans un gymnase, les conjurés passent leurs faux uniformes et se préparent. A peine quelques minutes plus tard, Fey entre dans la salle du conseil, et informe Dollfuss de l'imminence d'un coup d'Etat : le conseil est suspendu, et, à 12h30, un coup de téléphone d'un policier paniqué prévient Dollfuss que des camions viennent de quitter le gymnase. Le ministre de l'intérieur, le baron Karwinski, donne l'ordre de boucler le quartier, d'envoyer des hommes armés, mais il est trop tard. Quelques minutes plus tard, les conjurés sortent des camions, maîtrisent les quelques gardes d'honneur et pénètrent dans le palais les armes à la main. Dollfuss, Karwinski et Fey doivent fuir...

Poursuite dans le palais

Les trois hommes cherchent tout d'abord à rejoindre le troisième étage, où Karwinski s'est souvenu qu'il existait une tapisserie derrière laquelle on pouvait se dissimuler. Après une course dans le palais, Dollfuss est interpelé par un vieux portier du nom d'Hedvicek, qui affirme connaître une issue plus sûre. Après une longue hésitation, le chancelier décide de le suivre, tandis que Fey et Karwinski lui emboîtent le pas, contraints. Les fuyards aboutissent ainsi devant une lourde porte, celle qui donne sur le salon du président de la république : Dollfuss, hors d'haleine, s'évertue à essayer de l'ouvrir, mais elle est malheureusement fermée à clef.

Il est 13h30. Derrière le chancelier, on entend les bruits des bottes des nazis qui arrivent en courant. Dollfuss secoue la poignée de la porte avec désespoir, mais rien n'y fait : les rebelles entrent dans la pièce, l'air victorieux. Fey et Karwinski se rendent, tandis qu'un sous officier nazi, Otto Planetta, s'avance et lève son arme vers le chancelier : il lui tire deux fois dans le dos.

Dollfuss s'écroule, sa tête frappe violemment le sol, et ses plaies — au cou et sous l'aisselle — commencent à saigner abondamment. Il gémit : « Au secours... Au secours... ». Autour de lui, les nazis forment un cercle, mais personne n'intervient...

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1. C'est au cours de ce voyage qu'Hitler commet la maladresse de parler à Mussolini de la "supériorité de la race nordique", ce à quoi Mussolini répond que si tel était vraiment le cas, les Lapons devraient dominer le monde depuis longtemps...

finipe, 18h00 :: :: :: [2 interventions abstruses]

1er Novembre 2007 ::

« Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1934

Ce billet fait partie d'un sujet composé de quatre parties :

1. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 1ère partie
2. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie
3. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 3ème partie
4. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 4ème partie



De la chancellerie à la dictature

Les premiers mois de gouvernance sont délicats pour Dollfuss : pour obtenir une majorité très courte au parlement, il tente successivement de fonder une coalition avec les sociaux-démocrates — qui ont la majorité et qui veulent de nouvelles élections, puis avec le parti de l'Union nationale — qui veut l'unification à l'Allemagne, ce dont Dollfuss ne veut plus après l'accession d'Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933. Outre la grave crise financière dans laquelle l'Autriche se débat, une autre chose inquiète fortement le chancelier Dollfuss : la montée du parti national socialiste autrichien. Il décide donc de faire alliance avec les quelques députés de la Heimwehr de Starhemberg, et obtient ainsi une toute petite majorité au parlement.

Et c'est finalement par un incroyable concours de circonstances que le chancelier Dollfuss va réussir à conserver le pouvoir et éviter l'arrivée en force des nazis autrichiens au pouvoir. Après une grève des cheminots, un référendum doit fixer un nouveau statut pour les employés du chemin de fer : mais alors que l'on vote au parlement, un bulletin socialiste est perdu, tandis qu'un autre est compté double. Les socialistes arguent du fait que les deux bulletins s'annulent, mais un tombereau d'insultes les accable de toute part : le président du parlement Renner, socio-démocrate, démissionne. Puis, c'est le vice président Ramek, un chrétien-social, qui subit le même sort sans parvenir à mettre tout le monde d'accord. Le second vice président, Straffner, membre de l'Union nationale, se voit lui aussi contraint à la démission dans les mêmes circonstances... Incroyable ! Plus personne ne peut assurer les débats, et c'est le chaos le plus complet au parlement...

Dollfuss profite de l'occasion et déclare par proclamation : « L'assemblée législative de la république autrichienne s'est mise d'elle-même hors d'état d'exercer ses fonctions ». Les parlementaires tentent de réagir en proposant de se réunir le 15 mars 1933, mais Straffner se trompe d'horaire, et les parlementaires n'arrivent pas à se rencontrer ! Cette fois-ci, le parlement est non seulement incohérent, mais il vient en plus de sombrer dans le plus complet ridicule... Dollfuss a le champ libre, et devient l'homme fort du pays. C'est ainsi qu'au même moment, deux dictatures s'imposent dans les deux grandes capitales germaniques d'Europe : Hitler à Berlin, et Dollfuss à Vienne. Tous deux sont autrichiens, mais alors que l'un rêve de l'Anschluss[1], l'autre le refuse catégoriquement.

La lutte contre les nazis

Dès 1931, Hitler a désigné un député du Reichstag allemand, le docteur Habicht, comme "inspecteur général du parti national-socialiste autrichien". Habicht est allemand, mais Hitler n'a cure de désigner un allemand pour inspecter un parti autrichien : la grande nation germanique est au-delà de ces considérations. Les nazis autrichiens, quant à eux, haïssent Dollfuss, du simple fait qu'il refuse l'Anschluss : ils s'entraînent dans un camp allemand situé non loin de Munich, afin de constituer les "légions autrichiennes" qui aideront un jour Hitler à annexer l'Autriche. Rapidement, la situation dégénère et l'on en vient à des actions terroristes de la part des nazis sur le sol autrichien, et Habicht, nommé attaché de presse à l'ambassade allemande de Vienne, coordonne les opérations. Dollfuss, excédé, réagit vite et fort : il fait arrêter et expulser Habicht, interdit le parti national socialiste autrichien, et fait arrêter pas moins de 5000 militants nazis.

C'est un scandale en Allemagne : Dollfuss est injurié de toute part, qualifié de "demi-juif", de persécuteur et d'ennemi numéro un de l'Allemagne. Le 3 octobre 1933, à 14h30, alors qu'il quitte le parlement, un homme court vers lui un revolver au poing et tire deux fois : Dollfuss est blessé légèrement au bras, mais s'en sort sain et sauf. Interrogé, le tireur déclare s'appeler Robert Dertil : à la question « Pourquoi avez-vous fait cela ? », il répond « Parce que je suis membre du parti nazi »... Mais grâce au soutien indéfectible de Mussolini[2], grand ami de Dollfuss, l'Autriche est protégée des appétits pangermanistes d'Hitler et de sa minuscule armée, tout juste tolérée par le traité de Versailles.


Dollfuss pendant sa convalescence, après la tentative d'assassinat.
A son chevet, l'archevêque de Vienne, le cardinal Innitzer

Dérive autoritaire & bain de sang

Pour tenter de conserver le contrôle de la situation, Dollfuss décide d'éliminer les partis définitivement : le 20 mai 1933, il fonde le "Front Patriotique", parti unique destiné à devenir l'armature de l'Etat corporatiste chrétien dont il rêve. Mais le vice chancelier, le major Emil Fey, incite Dollfuss à aller beaucoup plus loin : les opposants au régime sont internés dans des camps de concentration. C'est ainsi qu'après les nazis, c'est au tour des militants de gauche d'être persécutés : on arrête les militants, on perquisitionne les syndicats, on remplace les chambres syndicales élues par des commissions nommées par le gouvernement. Naturellement, la colère ouvrière monte vite...

Le 19 janvier 1934, un journal socialiste ne craint pas de titrer : « Qu'on ne s'y trompe pas ! Aujourd'hui, la grève générale mène irrémédiablement à une décision par les armes, c'est-à-dire à la guerre civile ». La Heimwehr, fidèle bras droit du gouvernement, remplace un peu partout les gouvernements locaux par des systèmes plus "énergiques". Les pouvoirs de police sont confisqués par le major Fey, qui déclare lors d'une harangue : « Les déclarations que m'a faites hier soir et avant hier le chancelier Dollfuss m'ont donné la conviction qu'il est entièrement avec nous ». La conviction, mais pas l'assurance : Dollfuss paraît dépassé par les ambitions du major Fey.


Major Emil Fey

Les militants socialistes n'ont cependant pas tous dit leur dernier mot : un groupe armé, le Schutzbund, refuse de baisser les bras. Le 12 février, la police affronte quelques militants socialistes à Linz, et plusieurs d'entre eux y trouvent la mort. C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres : partout, des camions bourrés d'hommes armés du Schutzbund convergent vers la capitale. Dans le quartier Heiligenstadt, les militants socialistes ont littéralement fortifié plusieurs bâtiments, en particulier le Karl-Marxhof, une masse de béton percées de fines ouvertures, derrière lesquelles des mitrailleuses attendent la police de pied ferme !


Le Karl-Marxhof

La ville est en état de siège. Pour l'occasion, Dollfuss revêt son vieil uniforme de lieutenant des chasseurs tyroliens, et, après un court conseil de guerre, ordre est donné de mener l'assaut : pas moins de 40.000 soldats et 30.000 miliciens de la Heimwehr sont envoyés par Starhemberg, ministre de l'intérieur, et Fey, ministre de la police, qui dirigent eux-mêmes les opérations ! C'est un véritable déluge de feu qui s'abat sur les bâtiments fortifiés. Fusils, grenades, mitrailleuses, chars, artillerie... Les obus et les balles pleuvent sur les forcenés, qui défendent leurs positions centimètre par centimètre, dans les caves, dans les couloirs, dans les escaliers, au corps-à-corps !

Ainsi, les 12, 13 et 14 février 1934, le centre de Vienne est en état de guerre : mais à un contre dix, les membres du Schutzbund n'ont aucune chance. Au matin du 15, les dernières poches de résistance sont annihilées par l'armée : les morts se comptent par centaines, un bain de sang. La répression qui s'ensuit est implacable : de nombreux militants socialistes sont enfermés dans des camps de concentration, dont le régime n'a rien à envier à celui de Dachau en Allemagne[3], et trois chefs du Schutzbund sont condamnés à mort et pendus. Désormais, entre le pouvoir et les socialistes, la haine est irréductible...


Défilé de la Heimwehr, à Vienne



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1. Dans Mein Kampf, Hitler dit à propos de l'Anschluss : « c'est le but de ma vie, à poursuivre par tous les moyens ».

2. A ce moment précis, Mussolini n'a que du mépris pour Hitler : mais après l'invasion de l'Ethiopie en 1935, la Société Des Nations prendra des sanctions contre l'Italie, jetant pour ainsi dire Mussolini dans les bras d'Hitler...

3. Le camp de Dachau avait été créé à l'initiative d'Himmler dès 1933.

finipe, 15h50 :: :: :: [6 lettres de suicide]