Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

Il faut essayer d'obliger tout le monde
Et ta soeur ?
Parfois, l'esprit répudie amoureusement l'art. Ainsi, la sagesse s'échappe en évitant le futur de l'existence
Nabot Léon ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

1er Novembre 2007 ::

« Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie »

:: Histoire contemporaine, 1934

Ce billet fait partie d'un sujet composé de quatre parties :

1. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 1ère partie
2. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 2ème partie
3. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 3ème partie
4. Engelbert Dollfuss, dictateur anti nazi - 4ème partie



De la chancellerie à la dictature

Les premiers mois de gouvernance sont délicats pour Dollfuss : pour obtenir une majorité très courte au parlement, il tente successivement de fonder une coalition avec les sociaux-démocrates — qui ont la majorité et qui veulent de nouvelles élections, puis avec le parti de l'Union nationale — qui veut l'unification à l'Allemagne, ce dont Dollfuss ne veut plus après l'accession d'Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933. Outre la grave crise financière dans laquelle l'Autriche se débat, une autre chose inquiète fortement le chancelier Dollfuss : la montée du parti national socialiste autrichien. Il décide donc de faire alliance avec les quelques députés de la Heimwehr de Starhemberg, et obtient ainsi une toute petite majorité au parlement.

Et c'est finalement par un incroyable concours de circonstances que le chancelier Dollfuss va réussir à conserver le pouvoir et éviter l'arrivée en force des nazis autrichiens au pouvoir. Après une grève des cheminots, un référendum doit fixer un nouveau statut pour les employés du chemin de fer : mais alors que l'on vote au parlement, un bulletin socialiste est perdu, tandis qu'un autre est compté double. Les socialistes arguent du fait que les deux bulletins s'annulent, mais un tombereau d'insultes les accable de toute part : le président du parlement Renner, socio-démocrate, démissionne. Puis, c'est le vice président Ramek, un chrétien-social, qui subit le même sort sans parvenir à mettre tout le monde d'accord. Le second vice président, Straffner, membre de l'Union nationale, se voit lui aussi contraint à la démission dans les mêmes circonstances... Incroyable ! Plus personne ne peut assurer les débats, et c'est le chaos le plus complet au parlement...

Dollfuss profite de l'occasion et déclare par proclamation : « L'assemblée législative de la république autrichienne s'est mise d'elle-même hors d'état d'exercer ses fonctions ». Les parlementaires tentent de réagir en proposant de se réunir le 15 mars 1933, mais Straffner se trompe d'horaire, et les parlementaires n'arrivent pas à se rencontrer ! Cette fois-ci, le parlement est non seulement incohérent, mais il vient en plus de sombrer dans le plus complet ridicule... Dollfuss a le champ libre, et devient l'homme fort du pays. C'est ainsi qu'au même moment, deux dictatures s'imposent dans les deux grandes capitales germaniques d'Europe : Hitler à Berlin, et Dollfuss à Vienne. Tous deux sont autrichiens, mais alors que l'un rêve de l'Anschluss[1], l'autre le refuse catégoriquement.

La lutte contre les nazis

Dès 1931, Hitler a désigné un député du Reichstag allemand, le docteur Habicht, comme "inspecteur général du parti national-socialiste autrichien". Habicht est allemand, mais Hitler n'a cure de désigner un allemand pour inspecter un parti autrichien : la grande nation germanique est au-delà de ces considérations. Les nazis autrichiens, quant à eux, haïssent Dollfuss, du simple fait qu'il refuse l'Anschluss : ils s'entraînent dans un camp allemand situé non loin de Munich, afin de constituer les "légions autrichiennes" qui aideront un jour Hitler à annexer l'Autriche. Rapidement, la situation dégénère et l'on en vient à des actions terroristes de la part des nazis sur le sol autrichien, et Habicht, nommé attaché de presse à l'ambassade allemande de Vienne, coordonne les opérations. Dollfuss, excédé, réagit vite et fort : il fait arrêter et expulser Habicht, interdit le parti national socialiste autrichien, et fait arrêter pas moins de 5000 militants nazis.

C'est un scandale en Allemagne : Dollfuss est injurié de toute part, qualifié de "demi-juif", de persécuteur et d'ennemi numéro un de l'Allemagne. Le 3 octobre 1933, à 14h30, alors qu'il quitte le parlement, un homme court vers lui un revolver au poing et tire deux fois : Dollfuss est blessé légèrement au bras, mais s'en sort sain et sauf. Interrogé, le tireur déclare s'appeler Robert Dertil : à la question « Pourquoi avez-vous fait cela ? », il répond « Parce que je suis membre du parti nazi »... Mais grâce au soutien indéfectible de Mussolini[2], grand ami de Dollfuss, l'Autriche est protégée des appétits pangermanistes d'Hitler et de sa minuscule armée, tout juste tolérée par le traité de Versailles.


Dollfuss pendant sa convalescence, après la tentative d'assassinat.
A son chevet, l'archevêque de Vienne, le cardinal Innitzer

Dérive autoritaire & bain de sang

Pour tenter de conserver le contrôle de la situation, Dollfuss décide d'éliminer les partis définitivement : le 20 mai 1933, il fonde le "Front Patriotique", parti unique destiné à devenir l'armature de l'Etat corporatiste chrétien dont il rêve. Mais le vice chancelier, le major Emil Fey, incite Dollfuss à aller beaucoup plus loin : les opposants au régime sont internés dans des camps de concentration. C'est ainsi qu'après les nazis, c'est au tour des militants de gauche d'être persécutés : on arrête les militants, on perquisitionne les syndicats, on remplace les chambres syndicales élues par des commissions nommées par le gouvernement. Naturellement, la colère ouvrière monte vite...

Le 19 janvier 1934, un journal socialiste ne craint pas de titrer : « Qu'on ne s'y trompe pas ! Aujourd'hui, la grève générale mène irrémédiablement à une décision par les armes, c'est-à-dire à la guerre civile ». La Heimwehr, fidèle bras droit du gouvernement, remplace un peu partout les gouvernements locaux par des systèmes plus "énergiques". Les pouvoirs de police sont confisqués par le major Fey, qui déclare lors d'une harangue : « Les déclarations que m'a faites hier soir et avant hier le chancelier Dollfuss m'ont donné la conviction qu'il est entièrement avec nous ». La conviction, mais pas l'assurance : Dollfuss paraît dépassé par les ambitions du major Fey.


Major Emil Fey

Les militants socialistes n'ont cependant pas tous dit leur dernier mot : un groupe armé, le Schutzbund, refuse de baisser les bras. Le 12 février, la police affronte quelques militants socialistes à Linz, et plusieurs d'entre eux y trouvent la mort. C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres : partout, des camions bourrés d'hommes armés du Schutzbund convergent vers la capitale. Dans le quartier Heiligenstadt, les militants socialistes ont littéralement fortifié plusieurs bâtiments, en particulier le Karl-Marxhof, une masse de béton percées de fines ouvertures, derrière lesquelles des mitrailleuses attendent la police de pied ferme !


Le Karl-Marxhof

La ville est en état de siège. Pour l'occasion, Dollfuss revêt son vieil uniforme de lieutenant des chasseurs tyroliens, et, après un court conseil de guerre, ordre est donné de mener l'assaut : pas moins de 40.000 soldats et 30.000 miliciens de la Heimwehr sont envoyés par Starhemberg, ministre de l'intérieur, et Fey, ministre de la police, qui dirigent eux-mêmes les opérations ! C'est un véritable déluge de feu qui s'abat sur les bâtiments fortifiés. Fusils, grenades, mitrailleuses, chars, artillerie... Les obus et les balles pleuvent sur les forcenés, qui défendent leurs positions centimètre par centimètre, dans les caves, dans les couloirs, dans les escaliers, au corps-à-corps !

Ainsi, les 12, 13 et 14 février 1934, le centre de Vienne est en état de guerre : mais à un contre dix, les membres du Schutzbund n'ont aucune chance. Au matin du 15, les dernières poches de résistance sont annihilées par l'armée : les morts se comptent par centaines, un bain de sang. La répression qui s'ensuit est implacable : de nombreux militants socialistes sont enfermés dans des camps de concentration, dont le régime n'a rien à envier à celui de Dachau en Allemagne[3], et trois chefs du Schutzbund sont condamnés à mort et pendus. Désormais, entre le pouvoir et les socialistes, la haine est irréductible...


Défilé de la Heimwehr, à Vienne



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1. Dans Mein Kampf, Hitler dit à propos de l'Anschluss : « c'est le but de ma vie, à poursuivre par tous les moyens ».

2. A ce moment précis, Mussolini n'a que du mépris pour Hitler : mais après l'invasion de l'Ethiopie en 1935, la Société Des Nations prendra des sanctions contre l'Italie, jetant pour ainsi dire Mussolini dans les bras d'Hitler...

3. Le camp de Dachau avait été créé à l'initiative d'Himmler dès 1933.

finipe, 15h50 :: :: :: [6 éclaircissements pompeux]