Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

J'en ai
vraiment
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De temps en temps, l'Humanité répudie joyeusement la morale. Par là même, la piété filiale se délite, se précipitant vers l'au-delà du rationalisme
Confunius ::
Le lion & le rat (Le Tref & l'Aucube)

26 Novembre 2007 ::

« Jules Bonnot, anarchiste assiégé »

:: Histoire contemporaine, 1912

Après l'exécution de Ravachol, voici une autre histoire d'anarchistes célèbres... Bigre, ces gens-là ne plaisantaient pas !


De l'enfance misérable au crime

Né en 1876 à Pont-de-Roide (département du Doubs) dans une famille misérable et analphabète, Jules Bonnot se montre dès son plus jeune âge rétif à l'autorité, insolent et bagarreur. Il entame un apprentissage à 14 ans, et ne cesse de s'opposer à ses patrons. Il est condamné pour la première fois à 15 ans (pour « pêche avec engin prohibé »...), puis de nouveau à 19 ans pour une bagarre au cours d'un bal. Bonnot commence rapidement à militer pour l'anarchisme : il est renvoyé de son emploi de mécanicien aux chemins de fer. A 25 ans, il se marie avec Sophie, une jeune couturière, et part en Suisse. Les dix années qui vont suivre seront pour lui un longue suite de déménagements, de déceptions, et de luttes...

Doué pour la mécanique, il trouve facilement du travail en Suisse. Mais, toujours agitateur et anarchiste, il finit par être expulsé du pays. Entre temps, sa femme a accouché d'une fille qui n'a survécu que quelques jours. Le couple se retrouve ensuite à Lyon (où Sophie accouche d'un deuxième enfant, un fils), puis doit partir pour Saint-Etienne, fuyant l'ire du patronnat que Jules Bonnot combat avec une hargne toujours croissante. A Saint-Etienne, le couple est logé chez un certain Besson, le secrétaire syndicaliste de Jules : Besson séduit Sophie, et le couple illégitime s'enfuit en Suisse. Malgré plusieurs lettres désespérées, Jules Bonnot ne reverra jamais plus sa femme ni son fils. En 1906, il est licencié, et sombre dans la misère.

C'est alors qu'il applique vraiment ses convictions illégalistes[1], en s'associant notamment avec un italien du nom de Sorrentino, surnommé Platano : de retour à Lyon, il commet quelques casses avec succès, et, dans le même temps, monte deux ateliers de mécanique, art pour lequel il a décidément un véritable don. Au début de l'année 1910, il fait un court passage à Londres, où il est notamment employé comme chauffeur de l'écrivain Arthur Conan Doyle. Puis, Bonnot est de retour à Lyon, où il pratique assidument vol, braquage, recel, et faux monnayage en compagnie de son complice Platano.

Les « bandits tragiques »

A la fin de 1911, Bonnot quitte Lyon pour Paris : en chemin, Platano se tue accidentellement d'un coup de revolver[2]. Rendu dans la capitale, il fait la connaissance de tout un groupe d'hommes plus jeunes que lui, mais tous aussi convaincus par l'anarchisme. Ils se fréquentent tout d'abord au journal "l'Anarchie", et ont une vision commune de ce que doit être un anarchiste : sobres, végétariens, ils entretiennent une hygiène de vie irréprochable, et ont tôt fait de rejoindre Bonnot, dans cette fameuse "bande" qui ne tardera pas à faire parler d'elle en mettant en pratique l'illégalisme. Leurs noms sont Raymond Callemin (surnommé « Raymond la science » en raison de son érudition), Edouard Carouy, Eugène Dieudonné, André Soudy, Octave Garnier, Antoine Monier, René Valet, Paul Metge ; la bande à Bonnot, les « bandits tragiques » ainsi que la presse les surnomme rapidement, se distingue également en étant la première à utiliser la voiture comme outil, et Jules Bonnot profite à ce titre de son expérience dans ce domaine.


Jules Bonnot

Ainsi, dans les mois qui suivent, la bande à Bonnot terrorise la France et la Belgique en se livrant à de nombreux braquages, vols et cambriolages en tout genre. A plusieurs reprises, des meurtres sont commis : rentier, servante, policiers, gendarmes, boulanger, vieillards... Plus rien n'effraie les anarchistes, qui ont toutes les audaces, et ont définitivement oublié toute limite ! Mais cette course folle ne dure pas : les têtes des bandits sont mises à prix, et dès avril 1912, les premières arrestations ont lieu, notamment sous l'impulsion des célèbres "brigades du Tigre" — ancêtres de la police nationale — fondées par Clémenceau.

Bonnot, bête traquée

Après Soudy, Carouy, Callemin et Monier, qui sont arrêtés la plupart du temps dans la douleur (aucun ne se laisse faire !), Bonnot est finalement coincé à Choisy-le-Roi, alors qu'il avait trouvé refuge chez un de ses amis, un militant anarchiste du nom de Jules Dubois, garagiste de son état. Ainsi, le dimanche 28 avril, au petit matin, le pavillon de Dubois est cerné par la police : Dubois tire sans sommation sur tout ce qui porte un uniforme, et est immédiatemment abattu. Bonnot s'est barricadé à l'étage, et tire à feu nourri sur les policiers : ceux-ci, échaudés par la sulfureuse réputation et le jusqu'au-boutisme de l'individu, préfèrent attendre des renforts. C'est le préfet en personne, Louis Lépine[3], qui mène les opérations : pas moins de deux compagnies de la garde républicaine et un régiment d'artillerie arrivent sur les lieux ! De partout, des milliers de badauds accourent pour assister au spectacle...

Bonnot tire sur tout ce qui bouge, tant et si bien que décision est prise de dynamiter le pavillon : l'explosion souffle l'étage, mais Bonnot, réfugié entre deux matelas est toujours vivant, malgré de graves blessures. Se sachant perdu, il entame la rédaction de son testament. Dehors, c'est la curée, la foule hurle : la police dynamite une seconde fois le pavillon, puis entre dans le bâtiment mal en point. Bonnot, à bout de forces et acculé, tire encore trois fois en criant « Salauds ! », puis reçoit six balles dans le corps et rend l'âme.

Destins des autres membres de la bande

Au mois de mai, les deux derniers complices de la bande à Bonnot encore en cavale, Garnier et Valet, meurent à Nogent-sur-Marne sous les balles de la police, après un incroyable siège de neuf heures, qui mobilise plusieurs centaines de zouaves et d'artilleurs, des explosifs, des mitrailleuses... Dans la poche de Garnier, le mot suivant est griffonné :

Réfléchissons. Nos femmes et nos enfants s'entassent dans des galetas, tandis que des milliers de villas restent vides. Nous bâtissons les palais et nous vivons dans des chaumières. Ouvrier, développe ta vie, ton intelligence et ta force. Tu es un mouton : les sergots sont des chiens et les bourgeois sont des bergers. Notre sang paie le luxe des riches. Notre ennemi, c'est notre maître. Vive l'anarchie.

Après un procès retentissant et un immense écho dans les journaux, Callemin, Soudy, et Monier sont guillotinés devant la prison de la Santé, le 21 avril 1913. Dieudonné, disculpé par Bonnot dans son testament, voit sa peine de mort commuée en travaux forcés à perpétuité[4]. Carouy et Metge sont également condamnés aux travaux forcés à perpétuité.


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1. L'illégalisme est un mouvement qui considère que les actes illégaux sont un moyen de mener à la révolution : il légitime le vol, le cambriolage, voire le meurtre, et se distingue à cet égard difficilement du plus élémentaire des banditismes...

2. Cette thèse n'a jamais pu être totalement accréditée : il paraît également fort possible que Bonnot ait assassiné son comparse.

3. Créateur du célèbre concours éponyme.

4. Eugène Dieudonné s'évadera à 6 reprises du bagne de Cayenne, et sera finalement grâcié en 1927, avec l'aide notamment d'une campagne du célèbre journaliste Albert Londres.

finipe, 03h05 :: :: :: [8 élucubrations]